Solutions de paiement : plus que l'innovation c'est l'ampleur de son déploiement qui compte
On observe une explosion de belles inventions dans le domaine du paiement. Pourtant le véritable enjeu n’est pas là… Le véritable combat ne devrait pas être mené sur le terrain de l’ingéniosité et de l’innovation technologique. Il se situe au niveau de la « stratégie de déploiement ».
L’innovation est la capacité à créer de la
valeur en apportant quelque chose de nouveau dans un domaine spécifique, tout
en s’assurant de l’appropriation de cette nouveauté par les usagers : elle
s'inscrit donc dans une perspective applicative (Source Wikipedia).
Qu’observons-nous du côté des paiements ?
A
priori une explosion de belles inventions : nous pouvons désormais payer
avec notre mobile, bientôt avec notre doigt, avec ou sans carte, avec ou sans
contact, avec un QR code ou une simple photo de sa carte bancaire, en ville, à
distance, dans le bus, dans le métro, devant son ordinateur, derrière sa
télévision, etc. Des innovations souvent
technologiques qui permettent de simplifier la vie de l’utilisateur et de temps
en temps celle du commerçant mais aussi de renforcer la sécurité, l’immédiateté
ou la mobilité des paiements.
Une quantité impressionnante de ressources est
investie pour construire la « killer app » du paiement, l’innovation dans
le vent qui saura remplacer cartes bancaires, chèques et billets et qui
s’imposera de fait mondialement. Plus les innovations sont dans le vent d’ailleurs
et plus les levées de fonds semblent importantes…
Pourtant le véritable enjeu n’est pas là… Le véritable combat ne devrait pas être mené sur le terrain de l’ingéniosité et de l’innovation technologique. Il se situe au niveau de la « stratégie de déploiement ». La question ne doit pas être « quelle est votre innovation ? » mais bien « quelle est votre stratégie pour assurer un déploiement efficace de votre innovation ? ». Il faut passer 1 % de son temps sur la première question et 99 % sur la 2ème !
Et cette
2ème question dans le monde du paiement est d’autant plus complexe
que :
1/ il
y a deux déploiements à assurer simultanément: un déploiement auprès des
utilisateurs, ceux qui payent, et un déploiement auprès des commerçants qui se
font payer. Pour être rapide il faut s’adapter aux usages existants et être le
plus « technologiquement compatible » avec les systèmes en place. Bien
évidemment usages et compatibilités technologiques différent en fonction des
régions et des pays, il est nécessaire de s’adapter à chaque cas.
2/ ces deux déploiements dépendent l’un de l’autre et des masses critiques d’utilisateurs (payeur et payés) convertis de part et d’autre: pour que les « clients payeurs » utilisent un nouveau moyen de paiement, il faut qu’il soit accepté après d’un maximum de « clients commerçants », et pour s’installer chez ces commerçants, il va falloir prouver que ce moyen de paiement est déjà utilisé par un maximum de « clients payeurs ».
Dans
le cas du paiement mobile, les smartphones, ouverts, compatibles et déjà utilisés
par près de la moitié de la population française simplifient les déploiements
mais cela ne suffit pas.
Imaginons
une nouvelle application de paiement dans le vent qui permette de payer avec
son mobile dans tous les magasins, sans contact, de façon sécurisée, sans avoir
à saisir de longs codes ennuyeux, imaginons qu’elle soit téléchargeable en 2
secondes, compatible avec tous les smartphones, avec en guise de bonus de
bienvenue 10 € de réduction offerts pour les 137 prochains paiements. Cette
nouvelle application a des chances de générer un gros buzz et d’être beaucoup
téléchargée.
En revanche, si pour le commerçant, accepter ce nouveau paiement
dans le vent nécessite l’installation d’un nouveau module sur sa caisse
enregistreuse, ce qui d’ailleurs n’est peut-être pas possible sans changer de
caisse enregistreuse, que cela nécessite peut-être aussi la mise à jour de sa
flotte de TPE existants ou pire encore leur remplacement, ou que cela implique
le raccordement d’un nouveau dispositif
d’encaissement qu’il faudra relier à son système comptable … et bien disons
qu’il est fort possible que les commerçants mettent du temps à adopter ce
nouveau système, certainement plus d’une année.
Pendant ce temps les clients
attendent, dépensent l’intégralité des 137 réductions dans les quelques
commerçants « pilotes » puis passeront à un nouveau système de
paiement… encore plus dans le vent … c’est un déploiement raté.
Alors
oui, la technologie est importante mais le véritable combat, les efforts de
R&D, l’innovation elle-même doit résider dans la stratégie de déploiement
et que ce soit sur Internet ou dans le monde physique, il faut savoir répondre aux
questions suivantes:
1/ pour
quelles raisons le commerçant fera-t-il l’effort d’installer le nouveau système
de paiement: combien de nouveaux clients cela lui apportera-t-il et
quand, combien de chiffre d’affaires supplémentaire peut-il en attendre ? Quelle
amélioration de son taux de transformation ou quelle augmentation de son panier
moyen, quelles fonctionnalités de fidélisation ou de communication cela lui
apporte-t-il ? Plus le commerçant est gros plus les freins à
l’installation seront importants et plus la valeur ajoutée devra être prouvée.
2/ En quoi ce système de paiement peut-il être rapidement adapté techniquement ? Est-il immédiatement compatible avec son système comptable ? Son système d’encaissement ? Qu’il soit en franchise, ou indépendant, online, offline ou les deux, l’usage est-il très différent de l’usage des systèmes d’encaissement traditionnel ? etc.
Si
Apple et Amazon voulaient demain faire accepter leur moyen de paiement chez un
grand nombre de commerçants, leur déploiement serait facilité par le fait
qu’ils ont déjà atteint une masse critique d’utilisateurs payeurs. Ils
n’auraient plus qu’à convaincre les sites marchands.
C’est
les cas également pour flash’N pay de Oney Banque Accord
permettant le paiement par mobile via QR code développé par et pour Auchan.
Auchan équipe à la fois ses caisses et ses clients avec ce nouveau wallet ...
Dans le domaine des paiements physiques on peut prendre l’exemple du succès US de Square. Ils ont équipé les commerçants avec un système de paiement par carte bancaire peu cher à l’usage, aussi simple d’utilisation qu’un TPE, mais sans avoir à acheter ce TPE : le seul outil nécessaire pour accepter des paiements est un smartphone ou une tablette. Square est dédié à des professionnels souvent autonomes et sans équipement d’encaissement. La magie du système repose sur le fait que les acheteurs, à savoir les payeurs, sont eux tous déjà équipés de cartes bancaires : il n’y a eu donc aucun double déploiement à assurer, aucune masse critique à atteindre puisqu’elle était déjà là, et cela n’entraine aucune complication dans l’expérience de paiement pour eux, etc.
Sur Internet le déploiement rapide des nouveaux moyens de paiement innovants sur plusieurs enseignes, dans plusieurs pays, et avec de nouvelles règles de paiement peut s’apparenter à un véritable chemin de croix.