Jean-Luc Delcuvellerie (Orano / ex-Areva ) "Il faut trouver l'équilibre entre culture de l'innovation et culture de la sûreté"

Alors que la Nuit du Directeur Digital se rapproche, le directeur du programme de transformation digitale d'Orano (ex-Areva) présente au JDN le chantier majeur qu'il conduit pour transformer le groupe.

Le JDN propose pour la quatrième année consécutive le 19 juin prochain un événement destiné à récompenser les meilleurs chief digital officers de France. Pour en savoir plus : la Nuit du Directeur Digital.

JDN. Vous êtes directeur du programme de transformation digitale d'Orano, l'ex-Areva. Quel est votre principal chantier en cours ?

Jean-Luc Delcuvellerie est le CDO d'Orano (ex-Areva) © Orano

Jean-Luc Delcuvellerie. Notre programme de transformation digitale a été formellement lancé début 2017. Nous étions alors en phase de profonde réorganisation (au lendemain d'un plan de licenciements comportant 5 000 départs, ndlr). Ce programme s'articule en quatre volets : le développement d'une plateforme collaborative pour un fonctionnement en entreprise étendue avec nos clients et partenaires, la mise en place d'une communication digitale envers notre écosystème et le public, la transformation de nos métiers dans un processus d'industrialisation 4.0 et, enfin l'accessibilité de nos collaborateurs à une plus grande mobilité et connectivité en toute situation. Ce dernier volet replace l'humain au centre de nos préoccupations et ce chantier majeur est déjà bien avancé.

Où en êtes-vous ?

L'objectif de ce volet, que l'on pourrait appeler "collaborateur mobile et connecté", est de leur donner le meilleur environnement de travail où qu'ils se trouvent : dans une usine, sur un chantier, un site minier, dans un bureau… Cette transformation digitale accompagne un programme d'excellence opérationnelle de type lean management dans l'ensemble du groupe, ce qui nous permet de nous concentrer sur la digitalisation des bonnes pratiques. Il y une phase de rattrapage avec la numérisation de documents, notamment sur les terminaux mobiles et les tablettes. Les autorités de sûreté requièrent encore une forme documentaire même si nous avons de plus en plus la possibilité de les dématérialiser.

Enfin, il y a aussi un enjeu de connectivité dans certains pays (Niger, Kazakhstan, Canada), surtout sur nos sites industriels où les infrastructures (murs en béton armé, ndlr) ne permettent pas d'utiliser les technologies habituelles (3G/4G, Wi-Fi, ndlr). Pour la maîtrise des objets connectés, nous avons recours à la technologie LoRa, exploitée par nous-mêmes sur nos sites.

Avez-vous rencontré des difficultés particulières durant ce chantier et comment les avez-vous surmontées ?

Le principal enjeu pour un acteur du cycle du combustible nucléaire, c'est l'équilibre entre la culture de l'innovation et la culture de la sûreté dans un cadre réglementaire très strict. Nous avons donc adopté une pratique de test and learn fast qui concerne tous les collaborateurs du groupe. Nous avons aussi formé environ 400 managers à la conduite du changement avec l'ESSEC, afin de mieux accompagner les équipes. Ce qui modifie nécessairement les responsabilités au sein de l'entreprise et aux équipes de se réapproprier l'innovation dans une démarche d'open innovation et de co-innovation en interne.

Comment êtes-vous organisé ? De quelle direction dépendez-vous ? Combien avez-vous de collaborateurs et avec quel budget ?

Une dizaine de collaborateurs composent l'équipe de coordination Transformation Digitale et représentent la DSI et notre GIE SInerGIE. Ce dernier est une structure commune avec Framatome pour nos systèmes d'information communs, l'excellence opérationnelle, la DRH, la communication et l'innovation. S'y ajoutent les responsables excellence opérationnelle et système d'information qui déclinent le programme dans chaque entité, soit une trentaine de personnes au total. Côté budget, la direction de l'innovation supporte les projets pendant la phase de proof of concept, l'essentiel des budgets d'industrialisation étant adossé aux entités métiers ou transverses qui les pilotent elles-mêmes. Pour d'autres types de projets, par exemple le cas de la robotique ou la fabrication additive, ce sont plutôt les directions techniques. Le budget est d'environ une dizaine de millions d'euros par an.

Avez-vous pris des initiatives spécifiques vis-à-vis de l'écosystème des start-up ?

Nous avons depuis 2013 un site portail baptisé Orano Innovation PME qui nous permet de détecter des partenaires dans de petites structures. Aujourd'hui, nous en avons identifié plus d'un millier dont une cinquantaine avec qui nous collaborons régulièrement. Nous avons aussi une démarche d'accompagnement interne de ces start-up vers les équipes métiers et organisons de plus en plus de journées et d'ateliers thématiques auxquels elles participent directement.

Résumé du projet

Pourquoi ce projet est-il innovant ?

"Sachant qu'il y peu d'acheteurs d'uranium dans le monde, nous cherchons d'abord à améliorer notre performance pour leur rendre le meilleur service possible avec les mêmes contraintes que les autres entreprises industrielles du secteur, c'est-à-dire de concilier une culture de l'innovation avec la nécessaire sûreté de nos activités".

Pourquoi ce projet est-il stratégique ?

"Le digital s'inscrit bien dans notre projet d'entreprise. Disons que d'une certaine manière, le CDO du groupe est finalement son président et son directeur général (respectivement Philippe Varin et Philippe Knoche, ndlr) et que ce sont eux qui défendent le mieux notre projet de transformation numérique".

Pourquoi ce projet est-il transformateur ?

"Nous venons de cette culture du nucléaire et de la sûreté où la prise d'initiative ne paraissait pas accessible à tous nos collaborateurs. Aujourd'hui, nous sommes en pleine transformation et avons réussi à diffuser beaucoup plus largement cette culture de l'innovation".

Pourquoi ce projet est-il accélérateur ?

"Nous sommes dans un cycle de projets souvent très longs. Nous voulons travailler de manière beaucoup plus agile et devons être capables de développer de nouveaux concepts en trois mois sans mettre le SI ou nos activités en risque. Nous sommes à présent plus performants et devons garder ce rythme dans sa mise en place industrielle".