Huawei ou la résistible progression du bulldozer chinois

L’équipementier de télécoms chinois Huawei, numéro deux mondial du secteur (avec 32 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2011), vient d’essuyer un revers cinglant en étant évincé, par décision du gouvernement australien, de l’énorme chantier NBN (National Broadband Network).

Canberra suit ainsi l’exemple de Washington, qui interdit depuis plusieurs années son marché au géant chinois. Dans le même temps, l’Union Européenne s’inquiète, mais, au nom du libéralisme, a laissé Huawei s’implanter au cœur des réseaux de certains de ses membres.
La couleuvre avalée cette semaine par Huawei a plutôt les dimensions d’un boa. C’est en effet du chantier du siècle pour l’Australie – la construction d’un réseau national haut débit, basé en grande partie sur la fibre optique, qui pourrait impliquer plus de 40 milliards de dollars d’investissements d’ici 2020 – que le groupe de Shenzhen s’est vu signifier son exclusion.
L’argument avancé est le même au nom duquel les États-Unis ont, depuis 2008, opposé leur veto à plusieurs acquisitions de sociétés locales par Huawei
 ; et interdit en 2011 au groupe de participer aux tests de la technologie LTE (télécommunications 4G) sur leur sol.
Les craintes associées à la sensibilité d’une infrastructure aussi stratégique que l’est un réseau de télécommunications aujourd’hui, sont attisées par la mise en avant d’une proximité avec l’Armée Populaire de Libération attribuée à Huawei.
Si l’Europe n’a pas repris ce discours, elle s’est par contre inquiétée des méthodes commerciales, qui ont fait de Huawei un concurrent redoutable pour certains de ses fleurons industriels (le groupe chinois talonne désormais Ericsson, et a largement dépassé Alcatel-Lucent et Nokia-Siemens). Un rapport de la Commission européenne a ainsi mis en cause, en 2011, une politique de crédit massive assimilable à des subventions, qui a grandement facilité sa progression fulgurante.
Mais l’Union Européenne, fidèle à son credo libéral, s’est bien gardée de toute intervention, et a laissé le géant chinois participer à des chantiers stratégiques. Dès 2005, Huawei est ainsi devenu l’un des fournisseurs principaux du XXIst Century Network déployé par British Telecom sur l’ensemble du Royaume-Uni. Et en 2012, le groupe est en train de construire le premier réseau LTE déployé à Londres.
Chacun s’en félicitera ou s’en désolera
, en fonction de ses convictions ; mais l’Europe apparaît de plus en plus comme la seule grande économie industrielle attachée à jouer le jeu du libéralisme face à la progression du bulldozer chinois.