Formation à la conduite: eldorado pour certains, calvaire pour d'autres

Lois, procès et ubérisation... revenons sur les différentes changements qu'a connu la formation à la conduite automobile.

Si un secteur connaît de multiples bouleversements, c'est bien celui de la formation à la conduite automobile. La première réglementation de l'exploitation et de l'enseignement de la conduite est introduite en 1958. Elle permet d'appliquer de lourdes sanctions à ceux qui n'ont pas d'autorisation administrative pour l'enseignement, à titre onéreux, de la conduite des véhicules terrestres (cf Article L. 29 Enseignement de la conduite des véhicules terrestres à moteur et de la sécurité routière). En effet, ces hors-la-loi risquent une amende allant jusqu'à 100 000 F et un an d'emprisonnement. C'est aussi à cette époque que le terme de "moniteur d'enseignement de la conduite" apparaît.

L'arrêté du 8 janvier 2001 crée un registre national de l'enseignement de la conduite des véhicules à moteur et de la sécurité routière. Les auto-écoles entrent dans la catégorie des professions réglementées et ainsi, les moniteurs diplômés du Brevet pour l'Exercice de la Profession d'Enseignant de la Conduite Automobile et de la Sécurité Routière (B.E.P.E.C.A.S.E.R.) n'ont plus la liberté de passer des contrats avec les apprentis conducteurs. Les élèves doivent obligatoirement s'inscrire dans un établissement agréé, caractérisé par un exploitant et un local d'activité. Les auto-écoles se retrouvent alors, en France, en situation de monopole.

En 2015, l'appellation "candidat libre" fait son apparition : les candidats peuvent apprendre à conduire par l'intermédiaire de toute personne titulaire de la même catégorie de permis, depuis au moins 5 ans mais sans qu'il y ait rémunération. Il est ainsi désormais officiellement possible d'apprendre à conduire avec l'aide, par exemple, de son oncle. Cependant, l'enseignement contre rémunération reste l'exclusivité des auto-écoles et la loi de 2001 continue à s'appliquer. La subtilité ne saute pas aux yeux de tout le monde et c'est ainsi que des personnes pensent pouvoir enseigner la conduite contre rémunération sans avoir pour autant d’agrément préfectoral, c'est à dire sans avoir de local. Ils se retrouvent en infraction et déchantent rapidement comme Mme Djamila Boutarfa. Cette dernière avait investie dans un véhicule à double commande et effectuée l'ensemble des démarches pour déclarer son activité auprès de l'URSSAF et du répertoire des entreprises. Moins d'une semaine après le début de son activité elle s'est vu notifier son infraction.

Si cette nouvelle possibilité limitée de "candidat libre" érode à la marge le monopole des auto-écoles, ce dernier continue à bénéficier d'un avantage non négligeable : l'attente à l'examen. Elle est alors d'un an, en moyenne, pour les candidats libres contre deux mois pour les candidats présentés par une auto-école.

De nouveaux acteurs sur le marché

Depuis le 1er janvier 2017, un nouveau volet de la loi Macron pour les auto-écoles (Arrêté du 21 juillet 2016) instaure une égalité de traitement entre candidats libres et auto-écoles pour la présentation aux examens, avec un plafonnement à deux mois. Les auto-écoles descendent dans la rue, au mois d'avril 2017, pour défendre leur modèle. Elles anticipent une libéralisation complète de leur activité et surtout son ubérisation du fait de l'apparition de plateformes internet. Outre l'argument d'une nécessaire juste rétribution de leur activité, elles évoquent le caractère pédagogique essentiel des formations qu'elles pourvoient au regard des enjeux de la sécurité routière.

Ornikar, créé en 2013, est un nouvel acteur emblématique de l'ubérisation du secteur. Son modèle économique repose sur une mise en relation des élèves et des moniteurs indépendants. Le modèle économique est juteux pour Ornikar qui prélève une commission de 25% par heure de conduite sans avoir 1 seul enseignant salarié tout comme Uber n'a pas de chauffeur salarié mais concurrence directement les taxis. Nous pouvons citer d'autres plateformes comme En Voiture Simone, Le Permis Libre et Auto-école.net. Apparaît en réaction le collectif Ouetdonk qui dénonce ces moniteurs indépendants travaillant dans l’illégalité. Dans une moindre mesure, mais tout aussi emblématique, La Poste est également, depuis le 13 juin 2016, un nouvel acteur sur le marché en proposant le passage de l’examen du code de la route dans ses locaux.

Le procès

Un représentant de la lutte contre l’ubérisation de l'enseignement de la conduite est M. Philippe Colombani. Il est le président fondateur de l'Union Nationale des Indépendants de la Conduite (U.N.I.C.), membre du Conseil Supérieur de l'Education Routière et ancien Inspecteur Départemental de Sécurité Routière. Il monte régulièrement au front pour combattre les nouveaux modèles économiques d’apprentissage de la conduite.

C'est ainsi qu'en 2015 la société Ornikar est assignée en justice par l'U.N.I.C. pour "exercice illégal de l'enseignement de la conduite". L’arrêt rendu par la Cour d'Appel de Paris juge que le modèle que tente d’imposer ORNIKAR est contraire aux dispositions légales en vigueur (voir la publication du 4 décembre 2015 de philippe-colombani-unic). Vainqueur, M. Colombani déclare "Cette décision de la cour d’appel de Paris est un indéniable encouragement à persévérer dans le combat contre les hors-la-loi de la profession."

En Voiture Simone est également jugée en 2016 pour "mise en cause de la territorialité de l’agrément". Le modèle économique de la structure est de proposer un service de formation à l'épreuve pratique de l'enseignement de la conduite, partout en France, sans s'astreindre à respecter la localité géographique de l'auto-école mère. A la suite de ce jugement le président de l'U.N.I.C. se félicite d'avoir fait appliquer la loi en maintenant l’agrément au niveau départemental alors que la partie adverse prétendait que l’agrément avait une portée nationale.

Les acteurs qui accompagnent la modernisation

La disruptivité économique proposée par les nouveaux acteurs sur le marché de la formation à la conduite automobile consiste à prélever des commissions allant de 15 à 30 % sur les réservations de conduite entre élèves et moniteurs indépendants. Ces moniteurs sont privés de leur autonomie financière et les auto-écoles voient le marché se transformer. En parallèle, le secteur se réorganise avec l’apparition de nouveaux services qui offrent la souplesse de la réservation en ligne, sans la disruptivité, et qui permettent aux auto-écoles de conserver leur indépendance et de développer leur chiffre d'affaires; il s'agit de Drivup et de ReservationAutoEcole.com

La formation à la conduite automobile connait aujourd'hui une véritable remise en question. Suite à la refonte de la législation, assisterons-nous à un véritable changement de paradigme ou à une simple modernisation des pratiques grâce aux nouvelles technologies ? Après les taxis hier, les auto-écoles aujourd'hui, quel sera le prochain secteur d'activité à subir l'arrivée de start-ups proposant de dynamiter le modèle en place ? Nos modèles sociaux et nos niveaux de sécurité en seront-ils préservés ?