Plan Paulson de sauvetage de la finance mondiale Jean-Luc Gréau : "La probabilité d'une étatisation des banques européennes est assez forte"

j-l. gréau : 'ce plan est arrivé trop tard'
J-L. Gréau : "Ce plan est arrivé trop tard" © C. Hélié / Gallimard

Jean-Luc Gréau est économiste, ancien expert auprès du Medef. Dans son dernier livre, "La trahison des économistes", paru chez Gallimard, il critique l'idéologie néolibérale qui domine la pensée économique actuelle. Et face à la crise, il préconise des solutions qui pourraient surprendre du côté du syndicat patronal. Il n'est pas tendre non plus avec le plan Paulson.

 

Le plan Paulson n'a pas rassuré les marchés, bien au contraire. Quelles sont, selon vous, ses faiblesses ?

Jean-Luc Gréau. D'abord, nous savons que les 700 milliards sont insuffisants car ils n'incluent pas les secours à apporter à Fannie Mae et Freddy Mac, à AIG ainsi qu'à des centaines de banques provinciales, nommées aux Etats-Unis les " small banks ", soit au total 1300 milliards de dollars, soit près de 10% du PIB américain. Ensuite, ce plan est arrivé trop tard. Il aurait dû être proposé dès le 14 mars, lors de la quasi-faillite de Bear Stearns. C'est à ce moment là qu'il fallait planter le couteau dans la plaie. Aujourd'hui, les économies américaines et européennes sont entrées de fait en récession, il est bien tard. Enfin, ce plan n'implique pas que l'Etat se décide à prendre le contrôle direct des établissements, en remplaçant notamment les dirigeants des établissements par des personnes de confiance.

Que devraient faire les Etats face à la crise ?

J.-L. G. La Suède, qui a connu entre 1990 et 1994 la faillite de son système bancaire, est l'exemple à suivre. Le système bancaire a été étatisé, l'Etat a confié les commandes à des personnes de confiance, a limité certaines activités des établissements et a convaincu les actionnaires privés de mettre de l'argent au pot. Or, ce n'est pas du tout ce qui se passe actuellement. L'Etat est devenu la poubelle des établissements, en récupérant les produits pourris, que les financiers anglo-saxons nomment les " toxic assets ".

" L'Etat est devenu la poubelle des établissements bancaires "

La question est aujourd'hui de savoir si les Etats qui font l'effort de sauver le système financier ont conscience qu'ils doivent devenir maîtres à bord, ou s'ils se laissent entraîner dans cette spirale du sauvetage en désespoir sans suivre un plan déterminé. L'Etat doit redéfinir son rôle, et en premier lieu fixer de nouvelles règles, comme la limitation de la titrisation. Car la meilleure définition de cette crise est qu'elle est la crise de la titrisation. Cette dernière a permis aux établissements bancaires de se défausser des risques, de la nécessité de vérifier la solvabilité des emprunteurs.

Une étatisation, n'est-ce pas excessif, et surtout inenvisageable vu le courant de pensée actuel ?

J.-L. G. Au contraire, la probabilité d'une étatisation des banques européennes est assez forte. Il faut regarder les faits : aujourd'hui, le marché du crédit est déjà étatisé dans les faits par l'intervention constante des banques centrales, mais cette étatisation n'est pas complétée par la nationalisation juridique des établissements que les banques centrales approvisionnent. Le néolibéralisme est en fait en train de se renier. Les agissements des banques centrales sont la première contradiction, avec l'injection quotidienne de milliards dans le système bancaire ou le rachat de créances pourries. Dans les faits, les banques sont devenues des agences ou des filiales des banques centrales.  

" La probabilité d'une étatisation des banques européennes est assez forte "

La deuxième contradiction tient en l'appel au trésor public, au contribuable, pour aider les banques, alors que le modèle néolibéral stipule qu'un établissement en difficultés devrait être abandonné à son destin. Le discours de Toulon de Nicolas Sarkozy sur l'interventionnisme de l'Etat est d'ailleurs une embardée considérable par rapport à sa propre idéologie économique.

 

Quelle est la part de responsabilité dans la crise actuelle de cette idéologie néolibérale et du modèle anglo-américain que vous dénoncez ?

J.-L. G. Elle est très lourde. Ce système a subordonné les grands marchés économiques de la production et de la consommation à des marchés financiers qui sont la bourse, le marché des devises, du crédit, des matières premières. Aujourd'hui, le crédit se tarit et les entreprises sont pénalisées, alors qu'il n'y aucune véritable raison de fond en dehors de la perte de confiance réciproque des banques sur le marché du crédit. Par principe, l'économie productive concurrentielle va de l'avant, à moins qu'elle ne soit confrontée à une crise ou à des entraves. C'est ce qui se passe aujourd'hui, l'entrave consiste dans la crise de confiance au sein de la sphère financière, crise de confiance qui asphyxie l'économie.

La nature de l'idéologie néolibérale rendait-elle cette crise prévisible ?

J.-L. G. Les économistes ont l'habitude de dire que la crise arrive toujours là où l'on ne l'attend pas. Ce n'est pas vrai cette fois-ci. Il y avait depuis longtemps ce que j'appelle l'anomalie américaine. Les Etats-Unis s'appuyaient sur une forte croissance de certains secteurs, comme l'informatique et l'aérospatial, mais aussi, pour doper cette croissance, sur l'endettement des ménages. Or cet endettement est devenu depuis longtemps du surendettement. Mais ce n'est qu'à l'automne 2006 que les ménages américains ont commencé à faire défaut. Des défauts de paiements qui continuent d'ailleurs d'augmenter chaque mois.

Comment, alors, les marchés n'ont-ils pas appréhendé le danger ?

" Le recours à la dette des ménages a conduit à des indicateurs abusivement favorables. "

J.-L. G. Les systèmes que sont la bourse, les marchés du crédit ou les marchés spéculatifs des monnaies se nourrissent de bonnes nouvelles. Le recours à la dette des ménages a conduit à des indicateurs abusivement favorables. Les marchés ont alors spéculé sur la croissance des pays industrialisés ainsi que sur la croissance des pays émergents. Ces derniers sont par ailleurs confrontés à un nouveau danger : le krach des matières premières. Il ne serait pas étonnant d'assister à de nouvelles crises du type de celles qu'ont déjà connues le Mexique et de l'Argentine

Pour reprendre le titre de votre livre, en quoi les économistes ont-ils trahi ?

J.-L. G. C'est assez simple : le rôle des économistes n'est pas de créer des modèles économiques. Il est d'interpréter des faits économiques et financiers. Un travail difficile, qui demande du sérieux, de la méthode et d'autoriser le débat. Or, nous avons assisté à une progression depuis 25 ans environ, en France depuis l'échec du socialisme à la française, des thèses néolibérales conçues dans les pays anglo-américains, à Londres, New-York et Washington. Ces thèses ont été très largement adoptées par les élites du monde entier. A tel point qu'il n'est plus possible aujourd'hui de créer un débat sur des questions aussi fondamentales que la parité des monnaies, le développement du libre-échange, la répartition de la charge de la dette entre Etats et ménages. Ces questions ont été purement mises de côté. Il faut désormais reconstruire une doctrine, plus pragmatique.

Propos recueillis par Jean-Etienne Juthier