Où en est le mécénat d'entreprise en France ?

Bénédicte Menanteau, déléguée générale d'ADMICAL, analyse l'évolution et le poids du mécénat d'entreprise dans l'Hexagone.

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Bénédicte Menanteau, déléguée générale d'ADMICAL. © SdP

La Caisse des Dépôts, grand mécène du musée du Quai Branly, la fondation HSBC pour l'Education soutenant des projets qui facilitent l'accès à l'éducation pour des jeunes en milieux défavorisés, ou encore la fondation VINCI pour la Cité qui œuvre pour le retour à l'emploi et l'insertion professionnelle...

Le mécénat est une pratique désormais ancrée dans l'ADN des grands groupes et ne cesse de se développer parmi toutes les entreprises. Selon la dernière enquête menée par Admical[1] avec l'Institut CSA, près de 30% des entreprises françaises sont mécènes. Le mécénat recouvre des pratiques originales qui signent un engagement fort de l'entreprise.

Le mécénat, définition

Le mécénat est un engagement libre de l'entreprise au service de causes d'intérêt général, inscrit dans la durée, sous la forme d'un don financier, de produits, de technologie ou d'un apport de compétences, sans recherche d'impact sur ses activités marchandes. Le mécénat est une démarche d'attention et d'ouverture à la société qui éclaire et enrichit l'identité de l'entreprise. La fondation Orange, par exemple, en luttant contre l'autisme et la surdité, prolonge la mission de l'entreprise : permettre la communication entre les êtres. La relation entre l'entreprise mécène et le bénéficiaire ouvre un espace pour des actions nouvelles et permet la prise d'initiatives, l'expérimentation et l'innovation.

Le cadre légal

Les pouvoirs publics ont souhaité encourager le mécénat avec la loi du 1er juillet 2003, dite loi Aillagon, grâce à laquelle les entreprises mécènes bénéficient d'une réduction d'impôts équivalente à 60% du montant de leurs dons, pris dans la limite de 5 pour mille du chiffre d'affaires hors taxes. L'entreprise mécène bénéficie également de contreparties limitées à 25% de la valeur de son don ; par exemple, une entreprise soutenant un spectacle recevra un certain nombre d'entrées gratuites pour ce spectacle, ou pourra organiser une rencontre de ses salariés avec les artistes, etc. Les bénéficiaires du mécénat sont des organismes d'intérêt général : ONG, associations..., de gestion désintéressée, qui mènent une activité à but non-lucratif. Il existe également d'autres dispositifs fiscaux, notamment dans le domaine culturel, qui font de la France l'un des pays disposant de l'arsenal fiscal le plus incitatif au monde.

Les différentes formes de mécénat

La forme de mécénat la plus pratiquée est celle du don numéraire : 83% des entreprises le pratiquent, comme la fondation Total, engagée pour la rénovation du patrimoine de proximité. Dans le cadre de son partenariat avec la fondation du Patrimoine, elle soutient financièrement la restauration de nombreux monuments, par exemple à Marseille, l'hôpital Caroline et le fort d'Entrecasteaux.  

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Données ADMICAL -CSA 2010 © SdP

Les entreprises peuvent aussi mettre en œuvre des actions de mécénat sous la forme de dons en nature ; c'est le choix de 36% des entreprises mécènes. Dans le cadre de l'un de ses programmes de mécénat pour l'égalité des chances, la fondation RATP fait don à l'association Assoclic de ses ordinateurs, afin qu'elle puisse les recycler et en équiper des projets de solidarité.

Troisième type d'engagement : le mécénat de compétences. L'entreprise met à disposition des salariés sur leur temps de travail, au profit de bénéficiaires d'intérêt général. S'il n'est encore pratiqué que par 21% des entreprises mécènes, c'est la forme de mécénat qui provoque le plus d'engouement de la part des entreprises. En effet, elle leur permet d'associer leurs collaborateurs à leur démarche de mécénat. C'est le cas, par exemple, de la fondation Accenture qui soutient le projet " Passerelles numériques " d'accès à l'éducation au Cambodge, au Vietnam et aux Philippines avec la mise à disposition de consultants en mission.

Le mécénat et la crise économique

En 2010, on estime à 2 milliards d'euros le budget global du mécénat. Si la crise économique a eu un impact sur ce chiffre qui enregistre une baisse de 20% en deux ans, la proportion d'entreprises mécènes a sensiblement augmenté sur la même période. Par ailleurs, 83% des entreprises mécènes anticipent une augmentation ou un maintien de leurs actions d'ici deux ans. On observe déjà des signes de reprise avec l'augmentation du nombre de création de fondations et la hausse du budget de certaines d'entre elles. C'est le cas par exemple de la fondation VINCI pour la Cité qui a augmenté son budget très récemment, ou de la fondation SNCF, engagée dans la prévention de l'illettrisme, qui l'a multiplié par 1,5. La conséquence la plus notable de la crise aura été la modification des pratiques de mécénat : les entreprises plébiscitent toujours plus le domaine du social, de l'éducation et de la santé mais se détournent de la culture. 

La chute du mécénat culturel

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Données ADMICAL-CSA 2010 © SdP

La chute du mécénat culturel et patrimonial, avec un budget estimé à 380 millions d'euros contre 975 en 2008, est l'une des grandes tendances mises en évidence par l'enquête Admical-CSA. Ce recul, en partie dû à la crise et au repli vers le domaine de la solidarité, et s'explique également par une grande prudence des entreprises, notamment vis-à-vis de l'opinion. En effet, la culture étant parfois perçue comme un luxe, les entreprises ont eu peur qu'on leur reproche des dépenses plus difficiles à justifier en temps de difficultés économiques. Elles préfèreront soutenir l'accès à la culture plutôt que la création. Pourtant, les entreprises n'ont jamais eu autant de raisons de soutenir la culture ! En temps de crise, la culture reste un besoin fondamental : les salles de concert, de théâtre, de cinéma n'ont jamais été aussi remplies et vivantes. Par ailleurs, le mécénat culturel offre à l'entreprise la possibilité d'exprimer sa personnalité, son identité, et de développer sa créativité.

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Données ADMICAL-CSA 2010 © SdP

Les PME, vivier du mécénat
L''importance croissante des PME dans le paysage du mécénat est une autre tendance de fond à signaler. 85% des entreprises mécènes sont des PME : elles incarnent le mécénat de demain. Impliquées principalement au niveau local ; elles sont rejointes en cela par la majorité des entreprises mécènes françaises : 8 entreprises sur 10 affirment agir à l'échelle de leur commune, des communes alentours ou de leur région d'implantation.

Pourquoi faire du mécénat ?

Le mécénat donne du sens et de la personnalité à l'entreprise : en étant en lien avec le rôle de l'entreprise dans la société, le mécénat est à même d'apporter un supplément de sens au travail quotidien dans l'entreprise. Chaque domaine d'action du mécénat (social, éducation, santé, culture, sport, solidarité internationale, environnement, recherche...), chaque bénéficiaire, enrichissent l'entreprise d'une spécificité nouvelle. De plus, la relation avec le bénéficiaire ouvre l'entreprise à des interlocuteurs avec lesquels elle n'aurait pas naturellement été en contact. Le mécénat crée des passerelles et instaure un dialogue avec les parties prenantes qui renforce l'ancrage de l'entreprise dans son environnement ou son territoire. Il développe la fierté d'appartenance et l'épanouissement au sein de l'entreprise et joue un rôle dans le recrutement et la fidélisation des collaborateurs.

"Le mécénat d'entreprise n'a pas vocation à faire les fins de mois d'un Etat nécessiteux"

Enfin, le mécénat participe à la construction de la réputation de l'entreprise et instaure la confiance, car il s'inscrit dans une démarche de long terme. Pour la structure bénéficiaire, les moyens matériels apportés par l'entreprise au titre de mécénat lui permettent de développer son activité et d'élargir le champ de ses possibilités. Au-delà du soutien matériel, le mécénat est un accompagnement du bénéficiaire : forte de sa propre expertise professionnelle, l'entreprise mécène peut le conseiller, l'assister dans sa gestion, lui permettre d'accroître ses compétences dans des domaines souvent nouveaux pour lui. L'entreprise peut également participer à l'accroissement de la notoriété du bénéficiaire et de son projet, de son réseau, et réciproquement. Enfin, le mécénat peut également ouvrir une porte sur des collaborations inédites.

Les entreprises sont de plus en plus sollicitées par le monde associatif et certains sont tentés de croire que leur implication permettra de compenser la baisse des fonds publics. Il ne saurait en être question. Jacques Rigaud, ancien président d'ADMICAL, puis Olivier Tcherniak à sa suite, n'ont jamais cessé de le rappeler : "Le mécénat d'entreprise n'a pas vocation à faire les fins de mois d'un Etat nécessiteux". L'engagement d'une entreprise dans une action en faveur de l'intérêt général est un choix qui relève de sa liberté et ne saurait remplacer l'engagement de la puissance publique. En revanche, de plus en plus d'initiatives sont soutenues conjointement par des entreprises et des acteurs publics. De ces collaborations naissent des synergies et des dynamiques inédites, qui permettent de développer des projets forts et pérennes.

1. Admical-CSA, Le mécénat d'entreprise en France en 2010