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La "revenue recognition" face aux réformes de la gouvernance d'entreprise
Par Sabine Lipovetsky et Fabrice Perbost,
Avocats, Kahn & Associés
(septembre 2003)

Dossier

Les récentes faillites de groupes, gigantesques et symboliques de la vigueur du capitalisme américain, ont sérieusement entamé la confiance du public à l'égard des comptes des sociétés. Les scandales Enron et Worldcom, pour ne citer qu'eux, sont à cet égard en partie dus à une pratique légale de normes comptables américaines quelque peu permissive.

Dans ce contexte, la prudence et la sécurité semblent être désormais de mise concernant l'établissement de la comptabilité des sociétés. De nouvelles règles destinées à refondre les pratiques de contrôle et d'audit des comptes ont ainsi été établies aux Etats-Unis avec la loi dite "Sarbanes-Oxley" ou "SOx" (promulguée le 30 juillet 2002) et aussi en France, par l'adoption définitive le 17 juillet dernier par l'Assemblée nationale, du projet de loi sur la sécurité financière.

La loi Sarbanes-Oxley modifie sensiblement l'exercice d'une pratique comptable essentielle aux Etats-unis: la "revenue recognition". Rappelons que la "revenue recognition", qui est un des principes des Generally Accepted Accountant Principles, ou "GAAP" (principes comptables américains), consiste en un ensemble de règles permettant d'identifier et de comptabiliser correctement le revenu (bénéfice ou chiffre d'affaires) généré par une société côtée américaine.

Reconnaître le revenu, c'est considérer que le revenu provenant d'un contrat est légalement acquis par une entreprise américaine, que le client ait payé ou non, dès lors qu'un certain nombre de principes ont été suivies. Avant la fin de chaque trimestre ("quarter") se pose donc le problème de la reconnaissance comptable des revenus à l'occasion de la vente d'équipements (matériels ou logiciels) ou de services et de la négociation des contrats y afférents (contrat-clés en main, contrat de vente, contrat de licence, de maintenance, etc.).


Ces dispositions s'imposent à toute société française"


Le respect des règles de reconnaissance du revenu est essentiel tant pour des raisons comptables, légales que financières. Si ces dispositions doivent impérativement être respectées par les sociétés côtées américaines, elles s'imposent également, sans être obligatoires d'un strict point de vue légal, à toute société française souhaitant convaincre les marchés financiers de sa crédibilité et ainsi assurer sa croissance future, ce qui présente une importance toute particulière dans le domaine des nouvelles technologies.

Cette pratique a été, par ailleurs, le nerf de la capitalisation des sociétés de la "Nouvelle Economie" qui l'ont utilisé pendant un temps pour gonfler, parfois de façon outrancière, leurs états financiers. La reconnaissance des revenus a en effet été utilisée par les sociétés de nouvelles technologies pour anticiper leurs performances financières, aux seules fins de répondre à chaque trimestre aux attentes des investisseurs. Certaines sociétés ont même fait de cette possibilité de séduction à court terme l'unique priorité de la documentation fournie aux investisseurs, sacrifiant ainsi la crédibilité du secteur des nouvelles technologies sur l'autel de la capitalisation à court terme.

La reconnaissance des revenus est pourtant un enjeu majeur du retour du binôme vertueux "confiance/croissance" dans nos économies et qui est l'objectif principal des politiques économiques actuelles de tous les pays industrialisés. L'importance que prend la revenue recognition dans la mise en place des états financiers des sociétés est d'autant plus forte que cette pratique se doit d'être rigoureuse, dans le respect de règles complexes.


Une information sous la responsabilité des dirigeants sociaux"


C'est pourquoi, sans modifier le contenu même de la reconnaissance des revenus, la loi SOx établit des contrôles internes et externes des états financiers et rapports annuels et trimestriels des société cotées pour en rétablir la fonction initiale, à savoir une information fidèle à la réalité, sous la responsabilité des dirigeants sociaux.

La disposition la plus importante concernant la reconnaissance des revenus est sans nul doute la Section 404 de la loi SOx qui impose aux sociétés côtées d'inclure un rapport annuel de la direction sur les contrôles internes, certifié par un auditeur externe. Il est fondamental que les sociétés puissent fournir et certifier que leurs états financiers ont fait l'objet de contrôles clairs, documentés et vérifiés. Le rapport annuel de la Section 404 vise cet objectif en indiquant notamment que les responsabilités de la direction sur l'établissement et le maintien de contrôles internes adéquats et de méthodes de présentation de l'information financières de la société ainsi que l'évaluation de l'efficacité des contrôles et méthodes qu'a utilisées la direction à la fin du dernier exercice de la société doivent être établies.

La Section 404 remplit ainsi deux objectifs. D'une part, elle permet la responsabilisation, par le biais de sanctions, de dirigeants qui seraient tentés de laisser subsister des méthodes de reconnaissance des revenus floues, ou par trop optimistes. D'autre part, elle devrait favoriser le rétablissement de la confiance de tous les acteurs de la vie financière quant aux états financiers des entreprises.

Avec le projet de loi sur la sécurité financière, la France, qui avait moins de retard que son voisin d'outre atlantique, prend la même direction, en augmentant le contrôle, par les commissaires aux comptes, des méthodes de contrôles internes de l'information comptable et financière. L'article 76 de la loi sur la sécurité financière impose ainsi au président du conseil d'administration ou du conseil de surveillance d'une société anonyme de présenter aux actionnaires un rapport sur les procédures de contrôle interne mises en place par la société. L'Article 78 prévoit que les commissaires aux comptes devront établir un rapport incluant leurs observations sur le rapport mentionné à l'article 76 pour les méthodes de contrôle internes relatives à l'élaboration et au traitement de l'information comptable et financière.


Les directeurs généraux et financiers doivent certifier les informations financières"


La loi SOx prévoit également que les états financiers devront refléter les corrections et ajustements opérés en application des règles GAAP (Section 401). A ce titre, les directeurs généraux et financiers doivent désormais certifier personnellement dans chaque rapport annuel ou trimestriel qu'à leur connaissance, les informations financières contenues dans le rapport reflètent les résultats des opérations réalisées pendant la période considérée, que tous les faits établis dans le rapport ne sont pas trompeurs.

Ils doivent également mettre en place des procédures de contrôles internes pour assurer la transmission effective des informations comptables et financières, et avoir signalé aux auditeurs et au comité d'audit toute modification, déficience ou fraude affectant ces contrôles internes (Section 302). Enfin, ils doivent assurer que les informations contenues dans le rapport présentent avec exactitude les résultats d'exploitation de la société (Section 906). La responsabilité civile et pénale des dirigeants pourra d'ailleurs être engagée sur le non-respect d'une telle disposition. La reconnaissance des revenus ayant pour conséquence de comptabiliser un résultat, il est donc d'autant plus essentiel depuis la loi SOx de respecter avec rigueur les règles qui s'y appliquent.

Dossier

Les lois sur la gouvernance d'entreprise font donc passer la reconnaissance des revenus du statut de règles de bienséance comptable à l'égard des investisseurs au statut de règles contraignantes dont l'application est sérieusement contrôlée et sanctionnée. Ces pratiques comptables "prospectives" sont désormais considérées comme sources potentielles de danger et strictement encadrées.

Les dirigeants devront donc veiller à l'établissement d'états financiers et de rapports périodiques conformes à la réglementation comptable et financière, ce qui implique vérification de l'intégrité de ces états financiers et rigueur dans l'application des méthodes de revenue recognition. Ce faisant, l'espoir est grand d'un nouveau départ de la nouvelle économie, sur des bases saines, cette fois.

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Rédaction, Le Journal du Management
   
 
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