ENTREPRISE > Expert  
(octobre 2003).
.

Nous sommes le 9 octobre 2007,
le choc démographique a eu lieu...

Par Jean-Louis Mutte,
associé de Global People Matters.

Dossier

Nous sommes le 9 octobre 2007. Grégoire Dufeu contemple avec sérénité sa balanced scorecard personnelle dont la plupart des indicateurs sont au vert. Il est particulièrement rassuré par les chiffres concernant le turn-over du personnel qui reste largement en dessous de la moyenne du secteur, secoué par les turbulences dues au manque dramatique de main d'œuvre.

La création de valeur de son département affiche quant à elle une progression régulière depuis plusieurs mois, signe d'une bonne intégration des équipes dans les projets dont la rentabilité est parfaitement maîtrisée. Le programme "Diversité" mis en place par la DRH porte ses fruits : les différents groupes identifiés forment une mosaïque harmonieuse, les minorités ethniques et religieuses ne font l'objet d'aucune discrimination.

Grégoire est aussi particulièrement sensible aux nombres de seniors de son organisation, dont le taux de formation dépasse celui des nouveaux entrants. L'enquête de satisfaction met d'ailleurs ces éléments en valeur : pas de difficultés intergénérationnelles, un bon niveau d'adhésion à la stratégie, un fort sentiment d'appartenance.

Son souci vient plutôt de la hausse des prélèvements sociaux qui obère sa marge. Il faut dire que les cotisations retraite et santé pèsent lourd. Heureusement, la mise en place depuis plusieurs années d'un fonds de pension supplémentaire ainsi que d'une complémentaire santé permet d'éviter le pire. Les employés, conscients des efforts consentis, apprécient à sa juste valeur les avantages que procure une bonne anticipation de la part du management.


Faute d'anticipation, les entreprises n'ont pas su retenir leurs employés partant en retraite"


La situation est loin d'être aussi favorable chez ses concurrents. La plupart des entreprises du secteur ont pris de plein fouet les conséquences du retournement des courbes démographiques. Faute d'anticipation, elles n'ont pas su retenir leurs employés partant en retraite : perte de savoirs et d'expérience, absence de continuité dans la conduite des opérations, rappel chaotique de personnels partis pour certains depuis plusieurs années les ont sérieusement handicapées.

Les courbes étaient pourtant limpides : on allait dès 2005 manquer de main d'oeuvre dans certains domaines. La nécessité de mettre en place des plans de recrutement pour anticiper ce phénomène s'imposait et les quelques entreprises qui ont accepté une baisse temporaire de leurs résultats s'en félicitent aujourd'hui : elles disposent d'effectifs formés et compétents. Surtout, les nouveaux recrutés ont eu le temps de s'imprégner des méthodes et de la culture de la firme et travaillant en binôme avec les futurs partants, ils ont pu capitaliser le savoir détenu collectivement.

La DRH avait, dès 2003, défini les architectures Ressources Humaines adéquates. La mise en place de longue date d'un Campus manager renforçant les moyens du service recrutement avait permis de construire des relations durables avec écoles et universités. La création de cycle de formation par alternance avait également facilité l'intégration de personnes qui avaient pu atteindre de cette manière le niveau technique requis.


Le taux d'emploi atteignait son maximum et le chômage quant à lui touchait son plus bas"


Le Manager des Talents s'appuie quant à lui sur les réflexes créés au sein du personnel par un knowledge management particulièrement efficace. Couplant de manière quasi indissociable les savoirs collectifs et individuels avec la gestion des carrières, la société donnait à Grégoire une structure d'anticipation et de gestion de son personnel sans égale.

La situation générale le préoccupait néanmoins. Le nombre de départs en retraite était loin d'être compensé par l'arrivée des jeunes et le retour à l'emploi de ceux qui en étaient exclus. Le taux d'emploi atteignait son maximum et le chômage quant à lui touchait son plus bas. Où trouver la main d'œuvre ? Certainement pas à l'étranger où la situation était parfois pire. L'Italie ne perdrait-elle pas un tiers de sa population à l'horizon des prochaines décennies ?

Les nouveaux entrants dans l'Union Européenne n'avaient pas non plus amélioré les choses, leurs structures démographiques étant pour beaucoup d'entre eux encore plus défavorables… Ils avaient bien sûr apporté un peu d'espace dans les structures de coûts mais cela avait été vite compensé par l'élévation de leur niveau de vie. La mobilité inter pays n'avait pas non plus apporté de solutions viables, elle était en fait négligeable.

Certaines sociétés tentées par l'off shore avaient bien délocalisé leurs activités industrielles et de services vers l'Afrique ou l'Inde, mais là aussi les bénéfices avaient été de courte durée, sans parler que de tels mouvements avaient encore accentué les pertes de savoir et surtout participé à la détérioration des comptes sociaux.


Les quelques gains de productivité n'avaient fait que freiner le processus inéluctable"


Le casse-tête auquel Grégoire n'avait pas de réponses était : comment financer un système de santé en faillite ainsi que des systèmes de retraite totalement incapables de maintenir le niveau de pension des retraités ? Fin 2003, le déficit de la branche maladie frôlait les 30 milliards d'euros et cet écart n'avait aucune chance d'être comblé de si tôt. D'un ratio de 12 actifs pour 1 inactif il y quelques années, la population mondiale était sur une pente de 4 pour 1 à l'horizon de quelques dizaines d'années.

Grégoire se souvenait des prévisions de l'époque, prévisions qui n'avaient pas manqué de se réaliser : manque d'infirmières, de docteurs, d'aide soignantes, de professeurs, d'informaticiens, les postes non pourvus se chiffrent par centaines de milliers. Les quelques gains de productivité, dans les domaines où ils étaient possibles, n'avaient fait que freiner le processus inéluctable que la démographie imposait.

Dossier

Grégoire Dufeu avait toutes les raisons d'apprécier l'anticipation dont sa société avait fait preuve. Elle lui avait permis de garder son personnel, d'en trouver suffisamment en amont pour éviter les ruptures, de conserver les connaissances indispensables à la réalisation des projets chez les clients. Toutes les forces de la société étaient tournées vers un bon équilibre vie professionnelle-vie privée, gage de maintien du personnel. Cela suffirait-il à terme pour faire face à une situation qui mettait le management des organisations à rude épreuve ?

A noter : Jean-Louis Mutte interviendra lors du congrès "La fonction Ressources Humaines face aux enjeux démographiques" qui se tiendra les 23 et 24 octobre prochains à Lille. Cet événement est organisé par HR Architect et l'Apec.

PARCOURS
Associé de Global People Matters, société de conseil en ressources humaines, Jean-Louis Mutte possède plus de 25 années d'expérience dans les RH acquises dans des groupes du monde de la haute technologie et du conseil tels que Xerox, Nixdorf Computer, Electronic Data Systems ou Accenture. Il est diplomé de l'Ecole des hautes études commerciales du Nord, professeur au DESS MRH de l'Université de Lille 1, intervenant à l'EDHEC et membre du Advisory Committee de la première association de professionnels des Ressources Humaines du monde, la Society for Human Resource Management.

 

Rédaction, Le Journal du Management
   
 
Voir un exemple

Voir un exemple

Voir un exemple

Toutes nos newsletters
 
Revenir en haut