Comment faire d'un morceau d'état un leader du privé
Par Eric
Dupuy (BearingPoint)
Le désengagement graduel de l'Etat de la sphère concurrentielle
a pris depuis 1986 des formes variées. Il vise dans tous les cas
à faire de l'entreprise un "champion national" ou, au moins, à lui
donner les moyens de rivaliser avec les meilleures entreprises du
secteur privé. Ce désengagement se matérialise par un retrait total
ou partiel de l'Etat du capital de l'entreprise et l'entrée de nouveau(x)
actionnaire(s).
Ce
désengagement capitalistique nécessite souvent, en préalable, un
changement de statut comme cela a été le cas pour France Télécom
au début des années 1990 et plus récemment pour l'ancienne Direction
des Constructions Navales du ministère de la défense (DCN). Plus
qu'un changement de nature juridique, le changement de statut est
une transformation profonde de la mission, de l'organisation et
des modes de fonctionnement.
Ces expériences permettent de tirer des enseignements pour réussir
un changement de statut, transformation qui touche à la structure
profonde d'une entité :
Vendre le changement de statut
Le changement de statut doit emporter l'adhésion du plus grand nombre :
des salariés à l'intérieur de l'entreprise mais aussi à l'extérieur
de l'entreprise des décideurs que sont les ministres, les parlementaires
et les élus locaux. Pour cela un véritable travail politique d'évangélisation
et de démythification doit être réalisé en amont de l'opération.
Ancrer le changement autour d'un "grand
soir"
Il convient d'établir un compte à rebours à partir d'une date butoir
annoncée conjointement par les principaux acteurs. L'engagement
des leaders sur le respect de cette échéance constitue un puissant
moteur pour les équipes et un solide levier pour les arbitrages.
La route vers ce "grand soir" est jalonnée de rendez-vous" rapprochés
qui rythment la vie du projet de manière visible pour les équipes.
Créer un "effet cliquet"
Il faut utiliser toutes les techniques permettant de rendre visible
la marche en avant de l'opération. On peut s'attaquer à des actions
à réalisation rapide, dites "quickwin ", en même temps qu'aux actions
de fond dont l'échéance sera nécessairement plus lointaine. On peut
également créer des rendez-vous intermédiaires sur la progression
des actions de fond. A titre d'exemple lors d'un récent changement
de statut, le document final épais de plus de 2,5 m a été produit
plus de sept fois en six mois. Chaque version matérialisant le travail
effectué et celui restant à faire avant le "grand soir". Ceci de
façon à avoir régulièrement l'occasion de communiquer et même de
célébrer, le franchissement d'une étape.
S'équiper des systèmes d'information performants
Le changement de statut nécessite de disposer d'un grand nombre
d'informations juridiques, comptables, financières et sociales de
l'entreprise et requiert souvent la mise en uvre d'outils informatiques
modernes pour disposer rapidement des informations nécessaires pour
préparer et réaliser la transformation.
Légitimer les décideurs "terrain" et les
épauler par des équipes d'arbitrage efficaces
Les décideurs doivent être désignés au niveau le plus opérationnel
de l'entreprise et les décisions prises selon le principe de subsidiarité.
Ces équipes terrains sont relayées en central par des équipes d'arbitrage
qui doivent maîtriser les aspects opérationnels de l'entreprise
mais disposer également de la capacité à s'en extraire pour défendre
au mieux les intérêts essentiels de l'entreprise ou de l'Etat.
Fonctionner en mode projet
Les équipes doivent être entièrement dédiées au projet et travailler
en un lieu unique. Il faut opter pour un mode de fonctionnement
en plateau projet qui facilite les échanges et raccourcit les cycles
de décision.
Définir en amont les principes de répartition
des actifs entre l'Etat et la future entreprise
Cette définition permet de structurer les discussions sur le partage
des actifs en tenant compte des intérêts de l'Etat et de l'entreprise
et évite de perdre du temps pour partager des listes des voitures
de fonction, vélos, tableaux, maquettes ou fax que le jeu de la
négociation rend souvent plus importants qu'ils ne sont.
Lutter contre la myopie de l'Etat
L'Etat a trop souvent tendance à prendre ses décisions en fonction
de contraintes budgétaires à très court terme au détriment des enjeux
capitalistiques de l'entreprise à moyen terme. L'impact des hypothèses
de travail sur l'équilibre financier, de l'entreprise doit être
matérialisé au travers d'un outil de business plan dynamique. Cet
outil contribue fortement à guérir l'Etat de sa myopie en lui donnant
une vision à moyen terme des conséquences de ses décisions.
Faire converger les différents acteurs
La future entreprise a face à elle de nombreux services de l'Etat
avec des logiques, des objectifs et des contraintes différentes.
Pour gagner en efficacité, l'Etat doit mettre en avant un "chef
d'orchestre" capable d'harmoniser les positions des services étatiques
pour parler d'une seule voix.
Eviter de s'enfermer dans un huis clos
paranoïaque entre serviteurs de l'Etat
Le dialogue entre une partie de l'Etat appelée à se transformer
et l'Etat gagne en pertinence, lorsqu'il s'agit de créer une entreprise,
avec l'intervention ponctuelle d'experts du monde du privé (expert
comptables, commissaires aux apports, consultants en gestion de
projet
). La sortie de la culture étatique doit se faire également
par le recrutement de spécialistes issus du secteur privé pour s'adjoindre
des compétences nouvelles en finances, droit ou fiscalité.
PARCOURS
|
Eric Dupuy est consultant senior chez BearingPoint, cabinet
de conseil en management et d'intégration de solutions, au sein
du secteur "défense, aéronautique, infrastructure et services
publics". Il intervient sur des opérations de transformation
et d'amélioration de la performance des entreprises publiques.
|
|