ENQUÊTE 
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Olivier Gorce (co-scénariste)
"Nous avons discuté des heures et des heures avec des consultants"

Pour préparer le film, l'équipe s'est imergée dans le monde du consulting. Un véritable choc des cultures.
(février 2004)

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Refus de la complexité, déresponsabilisation... Olivier Gorce, co-scénariste de Violence des échanges en milieu tempéré, ne mache pas ses mots. Son film ne doit pourtant pas être pris comme une critique du consulting en lui-même, mais plus largement de la violence de l'affrontement social.

"Violence des échanges en milieu tempéré" est un film très réaliste. Comment vous êtes-vous documenté ?
Olivier Gorce. Nous avons rencontré des consultants de manière confidentielle et nous avons étudié des documents de travail. Pendant la période de documentation et de rencontre, nous avons orienté la présentation du projet pour que les consultants l'accueillent mieux. Nous avons discuté des heures et des heures avec eux. Ils étaient capables de stigmatiser leurs excès tout en les accomplissant. Nous avons aussi suivi une mission de plusieurs jours dans une petite usine dans l'Est. Enfin, nous avons assisté à un séminaire de formation et de motivation.

Votre film est-il une critique destinée aux consultants ?
L'objet de notre film n'est pas de critiquer le métier de consultant. Nous avons choisi une situation de rachat car elle exacerbe les conflits et les choix. En réalité, les questions que nous soulevons, tout le monde doit se les poser, y compris par exemple les producteurs d'un film. Il s'agit d'une problématique universelle de découverte du travail. Certaines circonstances concentrent toute la violence de l'affrontement social. C'est le cas lors de la rencontre entre des jeunes de 23 ans qui ne connaissent pas la réalité du travail, et des personnes plus âgées ayant très peu de formation. Ces jeunes débutent une réussite sociale très rapide et conditionnée par la découverte d'un monde très dur. Cela provoque une fracture.

Lors des entretiens, avez-vous ressenti un désir de changement de la part des consultants ?
J'ai senti plusieurs fois que certains souhaitaient changer les choses mais ne savaient pas comment faire. Beaucoup de consultants ont raconté très sincèrement leur première restructuration, leur "dépucelage". Pendant cette première expérience, plusieurs ont pleuré et se sont effondrés, notamment à cause de l'isolement. Depuis la sortie du film, j'ai rencontré des consultants qui avaient été formés pour ce métier mais n'ont pas supporté l'épreuve de la restructuration et ont démissionné. Par ailleurs, j'ai observé plus de motivation et de crédulité chez les jeunes. Beaucoup de chefs d'entreprise étaient également désabusés. Ils disaient avoir cru au fonctionnement de l'entreprise, avant d'avoir été eux aussi des victimes dans le cadre d'un rachat ou d'une restructuration.


Le refus de la complexité"

Ce film a-t-il eu un écho dans les grands cabinets ? Pensez-vous que le métier évolue ?
A la demande du département des ressources humaines d'un grand cabinet, nous avons organisé la projection du film. Cette séance prouve que la volonté d'humaniser ce métier existe. Cependant, si les ressources humaines ont besoin de ce film pour aborder la question, c'est qu'on en est encore loin. Je pense que les choses sont en train de bouger, mais qu'il faudra beaucoup de temps.

On parle souvent d'une nouvelle génération de jeunes diplômés, plus attentive aux conditions de travail et à l'éthique. Avez-vous eu des retours d'étudiants en management ?
Nous avons aussi projeté le film dans plusieurs écoles de commerce. Les réactions ont été variées. Certains ont apprécié le film et nous ont remerciés car ils estimaient que leur formation était le moment ou jamais pour se poser des questions et faire ensuite leur choix. D'autres ne voulaient pas y croire. Le dernier groupe reprenait à son compte tous les arguments économiques : licencier 80 personnes pour en sauver 300, il faut bien que quelqu'un le fasse, etc.

Par quel mécanisme le jeune consultant rentre-t-il finalement dans le moule ?
Je pense personnellement qu'il s'agit d'une entreprise de déresponsabilisation. Le consultant junior se laisse convaincre qu'il n'est pas lui-même directement responsable des licenciements. C'est une négation de la responsabilité individuelle. La confrontation avec les ouvriers est humainement très difficile à vivre. La légitimité du jeune consultant se crée car il trouve une distance, il se détache de tout jugement humain. Dans le film, il va boire un verre avec le cuisinier de l'usine. C'est une erreur qu'il ne reproduira pas lors d'une deuxième mission. La déresponsabilisation s'accompagne d'un processus de ségrégation sociale, auquel les ouvriers participent aussi.

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La découverte du milieu du conseil vous a-t-elle réservé des surprises ?
J'avoue que j'avais un certain a priori. Ce qui m'a sidéré, c'est la rapidité de fonctionnement. Tout est organisé, tout doit rentrer dans les cases, rapidement. Pour moi, il s'agit d'un refus de la complexité. J'ai aussi été surpris par la simplicité du jargon. Nous avons travaillé sur des documents de travail pour nous en imprégner. Avec un peu de bon sens, ce langage n'est pas si dur à maîtriser. Ceux qui ont vu le film ont reconnu la justesse des dialogues. Cela me parait effrayant d'avoir réussi en si peu de temps à connaître ce jargon. Le métier serait-il moins complexe que ce que l'on veut nous faire croire ?

Echanges de ressources ?

Ceux qui ont vu le film auront remarqué une certaine ressemblance avec Ressources humaines de Laurent Cantet. Ce film aurait-il influencé Jean-Marc Moutout, le réalisateur du film. Voici sa réponse, dans le dossier de presse : "L'origine de Violence des échanges... remonte à cinq ans. Quand j'ai vu Ressources humaines, j'ai constaté que d'un point de départ assez proche, à savoir les premiers pas en entreprise d'un jeune diplômé, nous allions dans des directions différentes. Parce que le rapport au père est central chez Laurent Cantet, alors que mon personnage, dans le film, est sans relation avec sa famille, et qu'il n'a pas de passé ouvrier. Et puis ma question était de savoir comment on va au bout de ce type de boulot (...). En revanche, le deuxième film de Laurent Cantet, L'emploi du temps, me semble avoir plus de points communs avec le mien, en particulier sur la question du masque social, sur ce que cela signifie dans l'intimité, dans la psychologie de quelqu'un. Comment l'homme construit son identité sur son statut social et ne sait plus qui il est en dehors de ça."


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Rédaction, Le Journal du Management
   
 
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