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Gérer l'embauche en CDD d'usage
Par Me Grégory Chastagnol (avocat à la Cour)
(mars 2004)

Le rapport Virville qui a été remis le 15 janvier 2004 à François Fillon, ministre des Affaires Sociales, propose la création d'un contrat de mission, nouveau type de CDD pouvant être conclu dans le cadre d'un projet, d'un événement ou d'un objectif déterminé et pour une durée de plusieurs années. Cette proposition a été contestée, d'abord du côté salarié, qui y a vu un instrument de précarité supplémentaire. L'analyse n'est pas exacte.

Ce contrat de mission n'aura pas une nature différente du CDD pour surcroît temporaire d'activité. Ce type de contrat est ensuite comparable au CDI conclu pour la durée d'un chantier, dans le secteur de la construction, qui peut être valablement rompu à la fin du chantier, et que les praticiens pourraient utiliser dans d'autres secteurs.

L'accroissement du nombre de licenciement pour motif personnel prouve enfin que CDI rime de moins en moins avec pérennité de l'emploi. Le salariat sous forme de missions, si elles sont de longue durée, fixe au contraire un avenir prévisible aux salariés, puisqu'en principe un CDD ne peut être rompu avant terme, et ne comporte pas l'aléa d'un licenciement parfois inattendu.

Le rapport Virville pourrait aussi être vivement critiqué du côté patronal. Une de ses propositions, moins connue, vise en effet à limiter la durée des CDD dits d'usage. Ces CDD tout à fait spécifiques et prévus par l'article L. 122-1-1 3° du Code du travail ne peuvent être conclus que :
- "pour certains secteurs d'activité [désignés par décret ou par conventions accords ou collectifs étendus (spectacles, audiovisuel, restauration…)]
- [dans lesquels] il est d'usage constant de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois".

Aucune disposition du Code du travail ne fixe de durée maximale pour ces CDD, qui peuvent également être conclus successivement sans limitation de nombre avec le même salarié. Ce régime d'exception s'explique juridiquement et économiquement.


L'employeur peut être confronté à un risque juridique de requalification de ces CDD en CDI"


Dans le spectacle ou l'audiovisuel, par exemple, les collaborateurs sont en effet habituellement embauchés pour une production précise. Ils acceptent ces conditions d'embauche qui leur permettent de choisir une mission à laquelle ils sont personnellement liés et dont ils assurent la réussite éventuelle. Le recours au CDD est donc parfaitement licite puisqu'il est lié à une tâche temporaire. Si la production fait de l'audience, elle peut conduire au renouvellement des CDD conclus. Une production qui était au départ temporaire peut au fur et à mesure des mois devenir permanente. Si, subitement, l'audience baisse, les CDD successifs ne sont, à leur terme, plus reconduits.

Autre cas de figure, un employeur peut recourir au même collaborateur pour diverses productions de nature similaire, toutes temporaires mais sur une longue période parce que ce type de productions ou la prestation du collaborateur correspond sur le moment aux attentes du marché. L'employeur peut alors à l'issue des CDD d'usage être confronté à un risque juridique de requalification de ces CDD en CDI.

En effet, l'article L. 122-1 alinéa 1 du Code du travail dispose que "le contrat de travail à durée déterminée, quel qu'en soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise".


Il doit être d'usage de ne pas recourir à un CDI pour l'emploi concerné"


Le collaborateur qui voyait ses CDD reconduits non renouvelés pouvait se prévaloir de ce texte pour demander la requalification de son CDD en CDI. Il n'avait qu'à indiquer que son emploi avait un caractère durable et était lié à l'activité de spectacle ou audiovisuelle de son employeur. Les chances de succès d'un tel argumentaire étaient jusqu'à présent assez élevées, ce qui exposait l'employeur à une grande insécurité juridique, compte tenu de la difficulté de distinguer le "temporaire" du "durable".

L'employeur pouvait malgré tout développer trois axes de défense. Le premier consistait à soutenir que la notion d'activité normale et permanente ne renvoyait qu'aux fonctions administratives et financières de l'entreprise, qui seules étaient pérennes. Le second consistait à souligner que l'emploi en cause et/ou le salarié lui-même étaient liés à une production ou à un type de production qui n'avait aucune pérennité puisque étant liée à l'audience. Le troisième axe de défense consistait à faire valoir que les emplois pouvant être pourvus par CDD d'usage sont par nature temporaires, comme l'article L. 122-1-1-3° du Code du travail l'indique, et respectent ainsi nécessairement l'article L. 122-1 alinéa 1 du Code du travail.

Par une série d'arrêts du 26 novembre 2003, que l'on peut qualifier de revirement, la Cour de cassation a retenu cette dernière interprétation et a résolu l'apparente contradiction de ces deux textes. La seule exigence de la Cour de cassation est qu'il soit d'usage constant de ne pas recourir à un CDI pour l'emploi concerné dans le secteur concerné.


Rien n'exclut que les juges continuent de requalifier certains CDD d'usage en CDI"


L'employeur peut en principe recourir sans limitation de temps, à une succession illimitée de CDD d'usage, avec le même salarié, dès lors que l'emploi en cause est habituellement pourvu par CDD. Cela est pour le moins simple à vérifier lorsqu'une convention collective le prévoit et est effectivement appliquée. Il est donc en théorie, et à l'heure actuelle, moins aisé de requalifier un CDD d'usage en CDI. Le rapport VIRVILLE, qui propose de limiter la durée des CDD d'usage est à cet égard tout à fait à contre-courant.

Néanmoins, cette proposition rappelle la portée toute relative des arrêts rendus le 26 novembre 2003 par la Cour de cassation. Même si cette juridiction considère en principe inutile toute démonstration par l'employeur du caractère temporaire de l'emploi pourvu par un CDD d'usage, cette exigence pourrait ressurgir.

D'abord, rien n'exclut que les juges du fond résistent à la Cour de cassation et continuent de requalifier certains CDD d'usage en CDI. Ensuite, il se peut que cette dernière limite sa jurisprudence en cas de fraude de l'employeur. Enfin, une intervention législative sur le sujet n'est pas à exclure, qui pourrait bien être moins favorable à l'employeur que la jurisprudence de la Cour de cassation du 26 novembre 2003.

L'embauche en CDD d'usage doit donc continuer à faire l'objet d'une attention maintenue, à tout le moins dans les cas limites. Tout n'est pas devenu possible avec les arrêts du 26 novembre 2003. Si des abus venaient à se multiplier, la jurisprudence aujourd'hui favorable aux employeurs ne manquerait pas de les sanctionner très durement, éventuellement au prix d'un nouveau revirement.


Les chefs d'entreprise doivent veiller à ne pas abuser de ce type de contrat"


Le durcissement de la jurisprudence ou de la législation pourrait avantageusement être anticipé. L'extrême formalisme du CDD, qu'il soit d'usage ou non (nécessité d'un écrit, remise du contrat au salarié dans les deux jours de l'embauche…), peut être l'occasion, si les impératifs de l'employeur s'y prêtent, de motiver expressément le recours au CDD et d'éviter tout risque juridique. A fortiori si la pratique du CDD est généralisée dans l'entreprise et qu'elle peut constituer un risque de masse.

En pratique, il ne peut qu'être conseillé de respecter les anciennes conditions de validité de ce type de contrat autant que les nouvelles. L'employeur vérifiera d'abord que son secteur d'activité est visé par un décret, par une convention ou par un accord collectif étendu et qu'il existe un usage constant de ne pas recourir au CDI pour l'emploi concerné. Cela sera quasiment tenu pour acquis si cet emploi est expressément visé notamment par la convention ou l'accord collectif étendu. L'emploi ou la prestation du collaborateur sera définie au contrat de travail, qui pourra rappeler et expliciter en quoi l'emploi ou cette prestation correspond à un "extra" ou est liée aux attentes temporaires du marché. Il serait alors plus aisé de démontrer, en cas de contentieux, que le CDD d'usage permettait de pourvoir un emploi temporaire.

Les praticiens, au premier rang desquels les chefs d'entreprise, doivent veiller à ne pas abuser de ce type de contrat pour éviter une intervention législative ou un nouveau revirement de la Cour de cassation. Il faut également réfléchir aux moyens de sécuriser le CDD d'usage en en faisant la promotion, et en faisant preuve de créativité, par exemple dans un cadre de négociation de branche ou d'entreprise.

   
Rédaction, Le Journal du Management
   
 
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