Internet, vie privée et vie professionnelle. Comment les concilier ?

La Cour de cassation vient de se prononcer sur l'utilisation de la messagerie électronique professionnelle à des fins personnelles et sur les séances de surf perso sur le Net au bureau durant le temps de travail. Passage en revue des droits et devoirs des employeurs et salariés.

Commençons par un truisme : Internet a une place de plus en plus importante dans notre vie qu’elle soit personnelle ou professionnelle. Le droit a du s’adapter pour définir les conditions dans lesquelles un salarié peut, sur le lieu et pendant le temps de travail, utiliser à des fins personnelles d'une part la messagerie électronique de l'entreprise et d'autre part l’accès à internet. 

La CNIL pose le principe suivant : « L’utilisation, sur les lieux de travail, de ces outils informatiques à des fins autres que professionnelles est généralement tolérée. Elle doit rester raisonnable et ne doit pas affecter la sécurité des réseaux ou la productivité de l’entreprise ou de l’administration concernée ».
En principe c’est la charte informatique qui détermine les droits et obligations du salarié. À défaut de charte ou dans des situations non prévues dans ladite charte, les tribunaux devront arbitrer entre d’une part les libertés fondamentales dont dispose tout citoyen et donc tout salarié (il s’agit principalement du droit au respect à l'intimité de la vie privée et de la liberté d'expression) et d’autre part le pouvoir de direction et de contrôle qui est reconnu à l'employeur. 

On rappellera les principes applicables et les décisions récentes en la matière:

1/ Utiliser à des fins personnelles la messagerie professionnelle
D’après la CNIL, l’employeur doit respecter le secret des correspondances privées émises ou reçues par un employé sur sa messagerie professionnelle. La violation du secret des correspondances est une infraction pénalement sanctionnée par les articles L.226-15 (pour le secteur privé) et L.432-9 (pour le secteur public) du Code pénal.
D’après la jurisprudence (arrêt « Nikon 2 octobre 2001»), un employeur ne saurait prendre connaissance de messages personnels d’un employé sans porter atteinte à la vie privée de celui-ci (article 9 du code civil) et au principe du secret des correspondances (article 226-15 du code pénal), quand bien même une utilisation à des fins privées de la messagerie professionnelle aurait été interdire par l’employeur.

Dans une messagerie professionnelle, tout ce qui n’est pas identifié comme «personnel » est réputé être professionnel de sorte que l’employeur peut y accéder librement. La Cour de cassation considère qu’un message envoyé ou reçu depuis le poste de travail mis à disposition par l’employeur revêt un caractère professionnel, sauf s’il est identifié comme étant « personnel ».
Il s'est récemment posé le cas de messages qui n'étaient pas référencés comme étant personnels mais qui se sont avérés l’être.

La Cour de Cassation dans un arrêt du 5 juillet 2011 a jugé que si l'employeur peut toujours consulter les fichiers qui n'ont pas été identifiés comme personnels par le salarié, il ne peut pas les utiliser pour le sanctionner s'ils s’avèrent relever de sa vie privée. Le salarié en question avait été licencié pour avoir détenu dans sa messagerie professionnelle des messages à caractère érotique et entretenu une correspondance intime avec une salariée de l'entreprise. La Cour de cassation a considéré qu’il s’agissait de la vie privé du salarié. Or, le salarié a droit même au temps et au lieu de travail au respect de l'intimité de sa vie privée. Dans ces conditions, le licenciement a été déclaré  sans cause réelle et sérieuse.
La Cour avait relevé que les messages d'ordre privé échangés par le salarié avec une collègue de l'entreprise étaient pour la plupart à l'initiative de celle-ci, notamment celui contenant en pièce jointe non identifiées des photos érotiques et que l'intéressé s'était contenté de les conserver dans sa boîte de messagerie sans les enregistrer ni les diffuser.

2/ Surfer sur internet au travail à des fins personnelles

Le surf personnel pendant l’horaire de travail est une réalité. Selon l’étude Olfeo 2011, le temps moyen passé sur internet au bureau en 2010 est de 94 minutes par jour dont 59 minutes à des fins non professionnelles (soit 63% du temps passé sur internet) et 35 minutes par jour à des fins professionnelles.
D’après la CNIL, l’employeur peut fixer les conditions et limites de l’utilisation d’internet. Ces limites ne constituent pas, en soi, une atteinte à la vie privée des salariés. L’employeur peut interdire certains comportements (tels que l’interdiction de télécharger des logiciels compte tenu des risques de virus) ou mettre en place des dispositifs de filtrage de sites non autorisés (sites à caractère pornographique, pédophile, d’incitation à la haine raciale, révisionnistes, etc.).

Qu’il soit interdit ou pas par la charte, la consultation de sites de charme sur les lieux et pendant le temps de travail peut justifier le licenciement du salarié ; 

La Cour de cassation dans un arrêt du 21 septembre 2011 a considéré que les faits suivants constituaient des manquements graves du salarié à ses obligations découlant du contrat de travail, et étaient constitutifs d’une faute grave.
- D’une part, le fait par un salarié de consulter, sur le lieu de travail et pendant l’horaire de travail, des sites internet dont les plus nombreux étaient les sites " d’activité sexuelle et de rencontres". La Cour de cassation prend le soin de relever qu’il a été constaté que le tableau des permanences du salarié et la liste des heures de connexion sur les différents sites internet de l’ordinateur de l’agence révélaient que les heures de consultation des sites étaient celles où celui-ci s’y trouvait seul, chargé de la permanence téléphonique.
- D’autre part, le fait pour un salarié de télécharger sur l’ordinateur de l’employeur un logiciel « drive-cleaner » permettant d’effacer les traces de ses consultations par effacement des fichiers temporaires du disque dur. En conséquence, le salarié ne s’était contenté de supprimer l’historique de connexion sur son navigateur internet, il est intervenu directement sur l’ordinateur « au risque d’endommager le disque dur » comme le rappelait la lettre de licenciement.
 

Ces deux faits caractérisent la faute grave et le bien fondé du licenciement. Tout individu a le droit d'organiser librement sa vie sexuelle. Ce droit ne peut cependant pas être exercé au bureau en portant atteinte au matériel de l’entreprise.