Affaire Gfi / Newedge : un SMS est-il présumé professionnel ou personnel ?

La production en justice de SMS, messages téléphoniquement écrits, comme mode de preuve est reconnue par la jurisprudence, notamment dans le domaine répressif où la preuve est libre, ou encore en droit civil et droit du travail lorsqu’il s’agit de prouver un fait juridique.

     Alors que ce mode de preuve était habituellement cantonné au contentieux impliquant des personnes physiques entre elles ou entre un salarié et son employeur, un arrêt de la Chambre commerciale du 10 février 2015 (n°13-14.779) nous apprend que les SMS sont également recevables en justice pour démontrer le comportement déloyal du concurrent.

La jurisprudence a reconnu la loyauté probatoire des SMS, notamment à travers l’arrêt de la Chambre sociale du 23 mai 2007. La Chambre commerciale s’aligne sur cette jurisprudence.

Les Chambres de la Cour de cassation cherchent de manière évidente à harmoniser leurs solutions sur la question de la recevabilité en justice des SMS comme mode de preuve. La confrontation de deux libertés fondamentales rend cette harmonisation plus nécessaire encore.

C’était le cas de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 10 février 2015 où la liberté du travail et la liberté de la concurrence étaient en jeux. La décision a pour cette raison été rendue après avis conforme de la Chambre sociale.

Les circonstances de l’arrêt

La société Newedge reproche à la société GFI, les deux sociétés intervenant dans le domaine du courtage d’instruments financiers, d’avoir provoqué la désorganisation de son activité en débauchant un nombre important de ses salariés.

Une ordonnance sur requête l’a autorisé sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile à faire procéder à un constat au siège de la société GFI ainsi que sur les outils de communication mis à la disposition des salariés.

La société GFI a alors saisi le juge des référés en rétractation de cette ordonnance. Elle soutenait que la production par Newedge de SMS émanant d’anciens salariés et conservés dans les serveurs informatiques de cette société, doit être qualifiée de procédé déloyal, de sorte que ces SMS ne peuvent constituer un motif légitime pour bénéficier de la mesure d’instruction préventive prévue à l’article 145 du CPC.

La cour d’appel rejette la demande de rétractation de l’ordonnance ayant autorisé la mesure d’instruction. Le pourvoi formé par la société GFI comportait deux points intéressants.

La cour d’appel avait retenu que « tant les courriels que les SMS à caractère non marqué « personnel » étaient susceptibles de faire l’objet de recherches par l’employeur pour des motifs légitimes, alors selon le pourvoi qu’il est impossible d’identifier un SMS comme personnel, de tels messages ne comportant pas de champ « objet ».

Le pourvoi soutenait encore que la société Newedge n’avait pas interdit l’utilisation des téléphones professionnels à ses salariés et que par conséquent l’enregistrement de SMS à leur insu constituait un procédé déloyal.

La décision de la Chambre commerciale

Dans un très long attendu la Chambre commerciale approuve les juges du fond d’avoir retenu le caractère loyal de la production en justice des SMS comme motif légitime pour la mise en œuvre de l’article 145 du CPC.

La Cour de cassation considère en effet que les SMS sont présumés avoir un caractère professionnel, autorisant l’employeur à les consulter en dehors de la présence du salarié, dès lors qu’ils ont été envoyés ou reçus par le salarié au moyen du téléphone professionnel, à moins qu’ils ne soient identifiés comme personnels.

Elle ajoute que ces messages ne peuvent être assimilés à l’enregistrement d’une communication téléphonique privée effectué à l’insu de l’auteur des propos invoqués, dans la mesure où ces messages non identifiés comme personnels par le salarié étaient susceptibles de faire l’objet de recherches de la part de l’employeur pour des motifs légitimes.

L’attendu reprend avec soins les différents éléments dégagés par la jurisprudence en matière de droits fondamentaux des salariés au regard des NTIC. On pourra d’ailleurs noter l’insistance de la Chambre commerciale et donc l’importance qu’elle y accorde, sur l’identification comme personnels ou pas des messages par les salariés.

1/ Le caractère présumé professionnel des SMS

Les messages écrits sont créés à l’aide de téléphones portables qui sont aujourd’hui très couramment mis à la disposition des salariés par l’entreprise pour les besoins de leur fonction.

Par conséquent, si la Chambre commerciale présume du caractère professionnel des SMS envoyés par le salarié, c’est par référence à l’outil de communication mis à sa disposition par l’employeur pour les besoins professionnels.

Les premières lignes de l’attendu de l’arrêt viennent d’ailleurs le rappeler « Mais attendu que les messages écrits envoyés ou reçus par le salarié au moyen du téléphone mis à sa disposition par l’employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel…).

L’irruption des nouvelles technologies (courriels, BYOD…) sur le lieu de travail a nourri le contentieux du droit du travail. Les tribunaux ont dégagé une jurisprudence cherchant à concilier les droits des salariés à une vie privée et les droits de l’employeur à défendre les intérêts et secrets de l’entreprise.

Ainsi, l’employeur est autorisé en vertu de son pouvoir disciplinaire à consulter librement les fichiers informatiques présents sur les postes de travail de ses salariés, sauf si ceux-ci sont estampillés personnels.

Puis, concernant des fichiers, non identifiés comme personnels et contenus sur une clé USB appartenant au salarié, ceux-ci sont présumés professionnels dès lors que la clé est connectée à un ordinateur professionnel et l’employeur peut y avoir accès hors la présence du salarié (Chambre sociale 12 févr. 2013 n° 11-28.649).

En matière de SMS, la Chambre sociale a rendu un arrêt sans équivoque en décidant que les SMS envoyés aux temps et lieu de travail à l’aide d’un téléphone professionnel sont présumés professionnels, dès lors que leur contenu est en rapport avec l’activité professionnelle, de sorte que l’employeur peut y avoir accès librement et les invoquer à l’appui d’une sanction disciplinaire (Chambre sociale, 28 septembre 2011 n° 10-16.995).

Par conséquent, rien de surprenant à voir aujourd’hui la Chambre commerciale présumer du caractère professionnel des SMS adressés ou reçus par les salariés de la société Newedge à l’aide du téléphone professionnel mis à leur disposition par l’employeur pour les besoins de leur fonction.

La qualification des SMS de messages écrits à caractère professionnel, à défaut d’avoir été identifiés comme personnels, permet ainsi à la société Newedge de les produire en justice sans que ceux-ci puissent être critiqués de procédé déloyal.

2/ Le SMS est susceptible d’être identifié comme personnel

Le pourvoi soutenait l’impossibilité d’identifier comme personnel un SMS envoyé par téléphone mobile car ces messages ne comportent pas de champ « objet ». L’absence de champ objet sur le téléphone mobile permettrait donc à l’employeur, d’après l’état de la jurisprudence, d’accéder librement aux messages des salariés, ce qui constituerait une atteinte à leur vie privée.

La Cour de cassation n’a pas répondu à l’argument technique de l’absence de champ « objet »sur les mobiles mais elle a implicitement admis que les SMS étaient susceptibles d’être identifiés comme personnels : « la production en justice des messages (écrits) n’ayant pas été identifiés comme personnels » ou encore « les SMS à caractère non marqué personnel ».

On le voit la Chambre commerciale prend pour acquis qu’un SMS puisse être identifié comme personnel sans pour autant apporter de précision concrète sur la façon de marquer un SMS comme personnel. Ce qui veut dire qu’il appartient au salarié, par tous moyens, d’identifier comme personnel les SMS qu’il émet ou reçoit sur du matériel appartenant à l’entreprise.

Le moyen le plus simple reste celui de la mention « PERSONNEL » en début de chaque message écrit. Le pouvoir de contrôle de l’employeur sur le travail de ses salariés lui permettra toujours néanmoins de prendre connaissance de ces messages marqués personnels mais il ne pourra pas les invoquer à l’appui d’une sanction disciplinaire.

Dans ces conditions il est certain que la vie privée du salarié n’est que faiblement protégée. Cela est le cas notamment lorsque l’activité professionnelle considérée, comme ici en matière de courtage d’instruments financiers, exige de contrôler étroitement les communications des salariés.

Le présent arrêt étend ainsi ce pouvoir de contrôler les communications téléphoniques des salariés aux messages écrits envoyés ou reçus à l’aide du matériel professionnel.

L’arrêt de la Chambre commerciale vient ainsi rappeler les salariés à la prudence dans l’usage  qu’ils font à titre privé des téléphones professionnels mis à disposition par l’employeur pour l’accomplissement des tâches professionnelles.