Post attentats : Focus sur le droit d’alerte des salariés

Depuis les attentats du 13 novembre,la population est tenue en état d’alerte. Un numéro vert a été créé «197 alerte attentat» afin de signaler des faits se rattachant aux attentats. Comment la situation se traduit-elle dans les entreprises ?

Si le Medef invite les employeurs à signaler les comportements de radicalisation des salariés, sans autre précision, ces salariés peuvent-ils exercer leur droit d’alerte au titre d’un danger qu’ils présupposeraient suite à une radicalisation de l’un des leurs ?

Droit d'alerte, que dit le Code du Travail ?

Le Code du Travail dispose que tout salarié bénéficie d’un droit d’alerte et de son corollaire, le droit de retrait. Sur ce fondement, un salarié signale immédiatement à son employeur, ou son représentant, une situation pouvant raisonnablement présenter un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé.

Concrètement, l’exercice du droit de retrait signifie que le salarié peut concomitamment quitter son poste (article L. 4131-1 du Code du Travail), manquant ainsi à son obligation contractuelle de fournir une prestation de travail. Toutefois, exerçant son «droit» de retrait, voire son devoir s’agissant de l’alerte d’une situation dangereuse, aucune sanction ne peut être prise à son encontre, sauf en cas d’abus.

Il y aura abus notamment lorsque la situation signalée ne présentait manifestement aucun danger pour le salarié (ex : danger inhérent à son activité ou absence de danger apparent).

Dans sa conception traditionnelle, le droit d’alerte s’applique à toute situation pouvant raisonnablement conduire à une atteinte physique du salarié, telle que des installations dangereuses (matériel défectueux) ou le non-respect de procédures de sécurité impératives (absence d’équipements de protection individuelle). La menace physique et imminente d’un attentat ou la détention d’armes ou d’explosifs dans l’entreprise entre indéniablement dans cette catégorie.

La question est plus délicate après les attentats de Paris notamment lorsque le sentiment de danger du salarié résulte du comportement d’un collègue qui se serait  "radicalisé". Le droit d’alerte des salariés ne trouve-t-il pas à s’appliquer ? 

Que signifie "se radicaliser" ?

On sait que la "radicalisation" n’implique pas nécessairement un passage à l’acte violent. Chacun analyse et apprécie le niveau de "radicalisation" qui, selon lui, revêt un danger et doit être signalé à ce titre.

Suite aux attentats de Paris, certaines entreprises, dans lesquelles un prosélytisme religieux des salariés a été constaté, ont fait l’objet de perquisitions administratives.

Le prosélytisme religieux est-il une preuve de "radicalisation" et doit-il être signalé à ce titre ?

Ce débat ne soulève-t-il pas, plus généralement, la question de la place de la liberté religieuse dans l’entreprise ?

Or, il est de jurisprudence constante que la liberté religieuse ne saurait souffrir de restrictions que si elles sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir dans l’entreprise et sont proportionnées au but recherché par cette dernière.

Les employeurs vont manifestement devoir affronter ces problématiques complexes. La communication, le dialogue et peut-être la mise en place au sein de l’entreprise de modalités d’exercice du droit d’alerte, dans ce contexte, pourraient apporter des réponses jusqu’à ce que les tribunaux définissent un cadre. 

Article co-rédigé avec Afef Jamaï