Formation professionnelle : ce que les concepteurs de Mooc attendent de la réforme

Formation professionnelle : ce que les concepteurs de Mooc attendent de la réforme La ministre du Travail souhaite favoriser l'apprentissage en ligne. Les professionnels du secteur ont des propositions à lui faire.

"Oser le big bang", "création d'application", "mise en place d'un forum", "paiement en ligne", "libération de l'innovation"… Ces mots n'ont pas été prononcés par un créateur de start-up mais par Muriel Pénicaud. Le 5 mars dernier, la ministre du Travail a dévoilé les grandes lignes de son projet de réforme de la formation professionnelle qui fera l'objet d'une loi présentée en avril 2018. L'objectif est simple : faciliter l'accès à la formation. Pour cela, la ministre a annoncé qu'elle mettrait en avant les Mooc qui pourraient devenir massivement éligibles au compte personnel de formation (CPF) et recensés sur une plateforme en ligne. Si aucune annonce concrète n'a été prononcée, les concepteurs de Mooc ont des suggestions à faire sur un projet de loi qui les concerne en plus haut lieu.

Selon eux, la première urgence est de pouvoir labelliser simplement et rapidement les Mooc qui seraient éligibles au CPF. "Labéliser un Mooc devrait pouvoir se faire en moins d'un mois. C'est essentiel pour que les formations correspondent aux attentes des salariés. Par exemple en ce moment, il y a une grosse demande de cours sur la blockchain. Il faut pouvoir se former maintenant et pas dans trois ans. Aujourd'hui, il est possible d'acheter un livre en trois clics, il devrait être tout aussi simple de choisir un Mooc de cette manière avec la future appli CPF. C'est ça aussi la vraie démocratisation du savoir", estime Antoine Amiel, qui dirige la start-up LearnAssembly.

"Il est possible d'acheter un livre en un clic, l'appli CPF devrait permettre d'en faire de même avec un Mooc"

Mais sur quels critères se baser pour obtenir le précieux label ? Un Mooc devrait-il forcément être diplômant et certifiant comme c'est le cas pour une formation en présentiel pour être finançable avec le CPF ? Oui, estime Dario Spagnolio, un des porte-parole de l'association EdTech France qui regroupe les start-up spécialisées dans l'éducation et la formation : "Nous pensons que les formations doivent aboutir à un diplôme, c'est une condition sine qua none pour qu'elles soient reconnues par les recruteurs et qu'elles puissent être mentionnées efficacement dans les CV".

Mais il est nécessaire d'aller au-delà de la délivrance d'un diplôme. Pour aller vite tout en garantissant la qualité du contenu pédagogique, EdTech France propose une solution pour le moins originale : l'éligibilité par défaut. Le concept est simple : dès sa sortie un Mooc diplômant serait présumé de qualité et donc automatiquement finançable avec le CPF. Et les usagers noteraient la formation, ce qui obligerait le concepteur de Mooc à fournir un parcours pédagogique de qualité.

Cette idée n'est pas de la science-fiction. Durant sa conférence de presse, Muriel Pénicaud a en effet promis la création d'une application mobile CPF qui permettrait de "choisir sa formation en fonction des commentaires laissés par les internautes". La loi à venir pourrait donc donner un pouvoir de recommandation aux apprenants qui décideraient d'eux mêmes de la qualité des formations, qu'elles soient en ligne ou en présentiel. Piste sérieuse ou ballon d'essai ? Difficile de le savoir pour le moment. Mais les start-up concernées approuvent cette idée.

"Les OPCA, les régions et Pôle emploi ne doivent pas être les seuls à décider si une formation est bonne ou pas"

C'est le cas d'Antoine Amiel : "Le système de peer to peer et de recommandation, c'est ce qui se fait de mieux pour mesurer la qualité d'un service. C'est grâce à cela que des concepts comme Blablacar ou Airbnb ont basé leur notoriété. Le gouvernement pourrait s'en inspirer. Et qu'il ne dise pas que les apprenants ne sont pas qualifiés pour cela. Il faut arrêter de les considérer comme de grands enfants. Ce sont des personnes qui achètent des maisons, des voitures, gèrent un budget familial. Et ils ne pourraient pas conseiller une formation et garantir sa qualité ?" Même son de cloche du côté de Jean-Marc Tassetto, ancien directeur de Google France et fondateur de Coorpacademy : "Les premiers concernés doivent être les premiers à donner leur avis. Et je suis persuadé que ce sera un cercle vertueux qui nous permettra de créer de meilleures formations. Il faut à tout prix éviter que la labellisation vienne uniquement de corps intermédiaires".

"Donner aux apprenants la possibilité de noter les Mooc augmenterait la qualité des formations"

Finalement, les start-up prôneraient donc la révolution en demandant le plein pouvoir au peuple et la mise à l'écart des services de l'administration ? Les choses ne sont pas si simples. Selon elles, l'administration aurait encore un rôle à jouer. Ainsi, la ministre a annoncé la naissance prochaine de l'agence France Compétences qui contrôlera la qualité des formations au niveau national. Une heureuse initiative pour Jean-Marc Tassetto, qui espère que cette agence permettra de réguler les prix des formations.

Du côté d'EdTech France, on espère que l'administration créera une grille de notation qui, en plus de l'avis des apprenants, permettra de garantir la qualité des formations : "l'administration, en coopération avec les start-up pourrait créer un indicateur de qualité basé sur les avis mais aussi le taux de réussite, la capacité à trouver un travail à l'issue de la formation, l'augmentation de salaire suite à l'obtention du certificat… Mais encore une fois, laissons le premier mot aux apprenants pour aller plus vite, quitte à supprimer une formation après coup".

"Il serait appréciable que le gouvernement rencontre rapidement les acteurs de la scène Mooc"

Plus qu'un rôle de "juge", les pouvoirs publics devraient avoir un rôle d'accompagnement dans la digitalisation de la formation : "Attention à ne pas faire de la formation low cost, à laisser des personnes parfois peu formées naviguer à vue sur une appli qui conseillerait des Mooc. La lutte contre la fracture numérique et l'accompagnement social ne doivent pas être laissés de côté", défend Antoine Amiel. Pour le jeune entrepreneur, "les OPCA, les régions et Pôle emploi ne doivent pas être les seuls à décider si une formation est bonne ou pas, c'est entendu. Pour autant, attention à ne pas en faire des coquilles vides. J'espère qu'à l'avenir ils auront un rôle de conseil et d'accompagnement sur un bassin d'emploi par exemple".

Les acteurs du secteur de la formation professionnelle bouillonnent donc d'initiatives. Et ils sont prêts à dialoguer avec le ministère du Travail qui ne s'est pas encore adressé à eux. "Il serait vraiment appréciable que le gouvernement rencontre rapidement les acteurs de la scène Mooc. Il y en a assez que ce soit des syndicats ou des technocrates qui décident comment les salariés doivent se former. Le gouvernement veut créer une plateforme ? Très bien, nous en avons lancé une, si le ministère a besoin d'aide durant le mois de concertation, nous sommes là !", glisse Clément Meslin, fondateur de My Mooc, qui se présente comme le Trip Advisor de la formation en ligne.  Comme le rappelle Jean-Marc Tassetto, "la réforme peut être potentiellement bénéfique pour les salariés et les start-up de la formation en ligne. Mais le diable étant dans les détails, nous allons suivre les choses de très près".

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