Recruter des profils tech, mission impossible ?

Recruter des profils tech, mission impossible ? Infiltration de blogs spécialisés, cooptation, bases de données insolites, sponsoring… Pour recruter des pros du digital, employeurs et chasseurs de tête ont leurs techniques.

Hadrien, 25 ans a fait en sorte que son numéro de téléphone et son adresse mail n'apparaissent nul part sur Internet. A-t-il quelque chose à se reprocher ? Est-il un agoraphobe ? Pas vraiment. Hadrien est juste un jeune développeur qui ne souhaite pas être appelé par les recruteurs. "Je reçois déjà un mail par jour sur LinkedIn, c'est flatteur mais tout de même assez intrusif à la longue", déplore le jeune homme, qui n'est pas le seul dans ce cas. Les développeurs, ingénieurs sécurité informatique mais aussi data scientist et autres Ux designer sont très sollicités par les entreprises.

Isabelle Goulmot, DRH d'Expertime, une société de 140 collaborateurs spécialisée dans les services numériques et l'édition de logiciels, résume la situation : "Nous recrutons entre 30 et 50 collaborateurs chaque année à Paris, Lille, Nantes et Seattle. Et trouver un candidat au profil tech est un véritable chemin de croix."  Selon cette spécialiste qui travaille dans le recrutement informatique depuis 1998, il n'y a tout simplement pas assez d'écoles et de diplômés en France. Conséquence, les candidats sont en position de force et font monter les enchères.

Les sites d'emploi pour le principe

Mais les employeurs offrant pratiquement les mêmes salaires et les mêmes perspectives d'évolution, il est nécessaire de faire preuve d'innovation pour séduire. "Pour trouver un salarié, il faut être dans une logique proactive. Il est totalement illusoire de poster une annonce sur un joboard traditionnel et attendre une dizaine de réponses. On le fait par acquis de conscience mais ça ne sert à rien". De fait, fin 2016, le site Jobintree recensait par exemple 1,6 réponse par annonce pour un ingénieur informatique et 0,7 réponse pour un développeur SQL...

Sur Hired, Talent.io, Kudoz ou jechercheundev.fr, les candidats sont bien souvent en veille passive

Les sites d'emploi traditionnels sont donc à écarter. Les spécialistes du recrutement digital préfèrent des plateformes spécialisées telles que Hired, Talent.io, Kudoz ou je chercheundev.com. Mais sur ces sites, les candidats sont bien souvent en veille passive, ce qui complique la tâche des recruteurs. "Il s'agit d'une solution d'appoint. En pratique, le meilleur moyen de sourcer, c'est de passer par les réseaux sociaux professionnel", constate Isabelle Goulmot.

Les réseaux sociaux pour décrocher un 06

"LinkedIn ou Viadeo constituent de bons terrains de chasse. Mais n'oublions pas une chose : les profils tech y sont très voire trop sollicités et ne donnent pas leurs numéros de téléphone pour ne pas être dérangés tous les jours par des recruteurs. La première chose à faire est donc d'obtenir un numéro de téléphone pour aller plus loin", observe Laurent Brouat, directeur de LinkHumans, une société spécialisée dans la formation au sourcing.

 

"Chez nous, deux chargés de recrutement mission d'obtenir des numéros en envoyant des messages ultra personnalisés et individualisés"

Problème, comme le fait malicieusement remarquer Hadrien, sur les réseaux sociaux, les professionnels de la tech sont comme les femmes sur les sites de rencontre. Rares et très sollicités. Le message d'accroche doit donc être pesé au mot près pour espérer décrocher le précieux sésame : un 06. "Nous avons deux chargés de recrutement qui passent énormément de temps sur les réseaux sociaux professionnels. Ils ont pour mission d'obtenir des numéros en envoyant des messages ultra personnalisés et individualisés, ce qui nécessite de lire en détail les profils. Il n y a que dans la tech que je vois ça", poursuit Isabelle Goulmot, qui déplore la forte concurrence entre entreprises et le sentiment de déranger les développeurs ou autres ingénieurs informatiques. "Une fois le contact établi, il se peut que cela ne donne rien. Le professionnel des RH doit gérer ce vivier, penser à prendre des nouvelles, à donner des informations, à souhaiter la bonne année sans arrière-pensée. C'est un vrai travail de fond", rappelle Laurent Brouat.

Les sites communautaires pour se faire connaître

Pour se retrouver entre pairs, échanger des techniques ou des lignes de codes, les profils tech aiment consulter des sites communautaires dédiés aux échanges entre professionnels. Mais hélas, pour eux, même sur ces sites, les recruteurs rôdent… "Je conseille toujours aux clients que j'accompagne d'être présents sur des sites comme Github ou Stack overflow. On peut repérer ceux qui maîtrisent un langage précis, ceux qui sont le mieux notés par la communauté et tenter de les contacter par ces sites qui, à la base, ne sont pas conçus pour le recrutement. Mais à la guerre comme à la guerre…", s'amuse Laurent Brouat.

Certains recruteurs se font passer pour des développeurs qui partagent leurs bons plans professionnels

Une stratégie également suivie par Hymane Ben Aoun, dirigeante d'Aravati, cabinet de recrutement spécialisé dans les profils digitaux. "Je suis inscrite sur un maximum de sites, j'essaie de contribuer le plus possible pour être perçue comme un membre, gagner la confiance et ne pas être vue comme un chasseur de tête intéressé". Selon elle, dans quelques cabinets, certains recruteurs sont spécialisés dans un langage très précis. Ils vont jusqu'à se faire passer pour des développeurs qui partagent leurs bon plans professionnels.

La cooptation pour motiver

La cooptation est également souvent utilisée, notamment par Isabelle Goulmot : "Il m'arrive d'envoyer des messages sur Yammer au salariés d'Expertime. Je détaille le profil que je recherche et j'offre environ 1 500 euros à celui qui me fournit un profil confirmé. De quoi se payer de belles vacances…", témoigne la DRH.

Isabelle Goulmot promet 1 500 euros à un salarié qui coopte un profil confirmé

Même les recruteurs professionnels, qui possèdent pourtant des fichiers de candidats, en sont réduits à utiliser de tels stratagèmes. "Je connais un cabinet qui offrait des vacances dans une ile paradisiaque à qui apporterait un profil très rare. Pour ma part, nous avons déjà promis des téléphones dernier cri contre un contact". Une stratégie couronnée de succès ? "Pas vraiment, tous ces professionnels du digital ont déjà un voire plusieurs téléphones de fonction et du fait de leurs salaires élevés, ils ne courent pas forcément derrière les incentives", s'esclaffe la spécialiste du recrutement.

Base Pôle emploi, pour découvrir

Une autre astuce originale sous-estimée est conseillée par Laurent Brouat. Le chômage est très rare dans le secteur du développement ou de l'ingénierie informatique. Pourtant, certains ont dû passer par Pôle emploi pour quelques mois, notamment ceux qui ont choisi à un moment donné de créer une entreprise.

La base Pôle emploi peut s'avérer une vraie mine d'or. © Linkhumans

"Je conseille toujours d'utiliser les bases de Pôle emploi dans lesquelles . C'est une masse méconnue et sous-exploitée. Pourtant, il existe un code Rome pour les développeurs", explique l'expert en sourcing.

Pour accéder à cette mine d'or potentielle c'est très simple : "L'inscription est gratuite et prend quelques minutes. Il suffit de donner son numéro Siret. Par la suite, le recruteur reçoit un code qui lui permet d'accéder à la base et aux CV qui comprennent les mails et les numéros des candidats", s'enthousiasme Laurent Brouat.

Les événements pour rencontrer

Pour les trois spécialistes, une autre piste doit être utilisée : susciter la rencontre physique. C'est notamment le cas pour la recherche de profils juniors. "C'est la meilleure chose à faire pour recruter des jeunes diplômés. Dans ce cas, pas le choix, il faut mettre le paquet dans les relations entreprise-école pour attirer le jeune avant qu'il n'entre sur le marché du travail", affirme Isabelle Goulmot qui ne lésine pas sur les moyens.

Expertime sponsorise l'équipe de voile de l'ISEP (Institut Supérieur d'Electronique de Paris). © Expertime

"Nous essayons d'être présents dans les salons professionnels, nous aidons des associations d'étudiants, nous sponsorisons l'équipe de voile de l'Institut Supérieur d'Electronique de Paris (ISEP) qui porte nos couleurs… Notre but est de faire passer nos valeurs qui sont la responsabilité, l'ambition et l'esprit d'équipe", explique la DRH qui, comme ses concurrents, est également présente dans les événements qui rassemblent les meilleurs étudiants : nuit de l'info, battle des meilleurs dev, hackathons…

Si ces événements sont utiles pour attirer les profils juniors, il est en est de même pour les profils plus confirmés. Mais dans ce cas, mieux vaut ne pas être trop explicite. "Il est possible pour une entreprise d'organiser des événements qui ont pour finalité le recrutement. Attention, il faut le faire de manière subtile. Les professionnels du secteur n'aiment pas être démarchés de manière grossière", avertit Laurent Brouat. "La bonne recette c'est d'organiser des meet up informels pour parler d'une technologie particulière. Il est possible d'attirer du monde avec ce procédé puisque les développeurs et les ingénieurs en logiciels ont besoin d'apprendre en permanence pour rester à jour". Selon lui, la condition sine qua none de la réussite est la suivante : "Les RH doivent laisser les salariés organiser le meet up. Ils doivent juste s'assurer d'avoir la liste et le mail des participants…". De quoi réussir à débaucher Hadrien ?

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