Podcasts : les rédactions doivent-elles s'y mettre ?

Podcasts : les rédactions doivent-elles s'y mettre ? Le format, qui colle aux nouveaux usages, séduit les internautes et les médias. Mais les pistes de monétisation sont toujours floues.

Alors que les médias se ruent sur le format vidéo, définitivement imposé par Facebook, Twitter et autre Snapchat, une autre révolution, plus discrète, s'organise dans les couloirs des rédactions de l'autre côté de l'Atlantique. Le marché du podcast audio n'a jamais autant semblé en effervescence depuis fin 2014 et l'énorme succès d'un feuilleton audio baptisé "Serial" et soutenu par la station de radio WBEZ. Ce dernier, qui se penche en douze épisodes sur le meurtre d'une étudiante de Baltimore, est devenu courant novembre 2014 la première application de podcast à dépasser la barre symbolique des 5 millions de téléchargements en moins d'un mois. Au total, les épisodes ont générés plus de 80 millions d'écoutes.

Des programmes Netflix version audio

L'ambition des producteurs est alors de donner aux auditeurs "la même expérience qu'une série sur HBO ou Netflix, dans laquelle vous faites connaissance avec les personnages et les événements semaine après semaine, mais avec une histoire vraie, et sans images". Une analogie pas innocente tant le podcast semble pouvoir être au secteur de la radio ce que Netflix a été pour la télévision. En offrant un format délinéarisé qui colle aux attentes des nouvelles générations, moins attachées à la bande FM.

On en est encore aux balbutiements. Seul 2% du temps consacré à de l'écoute audio était attribué au podcast au dernier trimestre 2015, selon l'étude Edison Research. Mais la traction est réelle sur l'année 2016 où près de 21% des Américains de plus de 12 ans ont écouté au moins un podcast par mois, le double d'il y a trois ans. Une évolution qui tient d'abord au basculement des usages vers le mobile. En 2016, 64% des Américains âgés de 12 ans ou plus qui ont déjà écouté un podcast ont expliqué le faire encore plus souvent depuis qu'ils ont un device mobile.

Un nombre d'auditeurs en hausse constante. © Edison Research / Pew Research

Suffisant pour aiguiser la convoitise de médias US (et pas uniquement des radios) qui multiplient les initiatives en la matière. Le groupe Slate a lancé, courant 2015, une structure baptisée Panoply en charge du sujet Le New York Times et le Washington Post ont tous deux mis sur pied une équipée dédiée au format. Et le premier pure-player du genre, Gimlet Media, a levé près de 6,5 millions de dollars en début d'année pour financer le développement de son équipe de 25 collaborateurs. La plateforme propose aujourd'hui six émissions accessibles en plusieurs saisons.

Côté distribution, le géant est bien évidemment iTunes et son application installée par défaut sur les iPhone… Une plateforme d'hébergement de podcasts de poids, Libsyn, a également vu le jour et héberge 28 000 émissions en 2016 contre 22 000 un an plus tôt et 16 000 en 2013. Une évolution qui se retrouve dans le nombre de téléchargements effectués au sein de la plateforme, qui sont passés de 2,6 milliards à 3,3 milliards en l'espace d'un an (contre 1,6 milliard en 2012).

Côté monétisation, tout reste encore à faire. Certes Midroll Media, un ad-network spécialisé dans les podcasts, se charge aujourd'hui de vendre la publicité au sein de près de 200 shows. Mais le marché reste timide : un peu moins de 35 millions de dollars ont été investis en 2015 dans le monde, selon Zenith / Optimedia.

Des trop peu fiables indicateurs de performance

Un montant relativement faible qui s'explique d'abord par l'absence de metrics fiables pour juger de la performance d'un podcast. Ceux-ci se réduisent le plus souvent au nombre de téléchargements réalisés. Peu de chances de savoir si le podcast a vraiment été écouté, par qui et jusqu'où… Forcément un bémol pour des annonceurs qui ont besoin de data au moment d'arbitrer entre leurs différents investissements.

Apple et son store iTunes, qui représentent près de 70% du marché, selon le spécialiste de la mesure des podcast, Rawvoice, aurait toute légitimité à produire ces informations. Mais rien de tel pour l'instant. "Nous pensons qu'il ne le fera sans doute jamais pour cause de soucis de protection de la vie privée", confie même Angelo Mandato, chief information officer de Rawvoice.

D'autres acteurs explorent eux la piste du modèle payant, à l'image de la plateforme Acas, qui héberge les podcasts de Buzzfeed et du Financial Times, et vient de lancer une option permettant aux créateurs de podcast de définir un prix et de proposer leurs contenus sans publicité. Les tarifs varient pour l'instant de 99 centimes à 4,99 dollars par mois pour accéder aux épisodes podcastés. 

Slate.fr, qui vient de se lancer sur le sujet dans l'Hexagone, a de son côté opté pour un partenariat avec Audible.fr, filiale d'Amazon qui sponsorise ces nouveaux contenus en couvrant les frais de production (entre 2 500 et 3 000 euros par épisode). Il s'agit de "se servir de la force de la radio, média dans lequel les Français ont le plus confiance, mais en y associant la liberté et la créativité inhérentes au web, et en introduisant davantage de storytelling, en s'inspirant des codes narratifs associés à une révolution précédente : celle des séries télé", détaillait la rédactrice en chef adjointe de Slate, Charlotte Pudlowski, au moment du lancement de son premier podcast.

Une analyse que semblent partager ses confrères. Arte Radio a fait office de précurseur en 2002. Radio France surfe sur le filon avec un nombre d'émissions podcastées qui a grimpé de 40% entre mai 2015 et mai 2016. L'ancien patron du numérique de Radio France, Joël Ronez, a d'ailleurs lancé un pure-player, Binge Audio.

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