De grands projets open source lancés pour réduire la dépendance à Oracle

De grands projets open source lancés pour réduire la dépendance à Oracle L'Open CIO Summit a été l'occasion cette année de mettre en avant le rôle des logiciels libres pour s'émanciper des éditeurs aux pratiques commerciales considérées excessives.

En juillet dernier, le Cigref  tirait la sonnette d'alarme. Regroupant 145 grandes sociétés membres, ce club français, qui fait de la promotion du numérique dans l'économie sa principale mission, pointe une "dégradation" des relations entre Oracle et ses entreprises utilisatrices. Dans un communiqué publié en lien avec EuroCIO, il qualifie les comportements commerciaux de l'éditeur d'"inadmissibles". "Nous tenons à appeler l'attention d'Oracle sur les conséquences de ses comportements, dont témoigne la récente et accablante étude 'Supplier Satisfaction Survey' (réalisée par EuroCIO fin 2016 ndlr)", lâchent de concert le Cigref et EuroCIO. Sur les 100 grandes entreprises européennes interrogées dans le cadre de l'enquête, "60% préfèreraient disposer d'un autre fournisseur qu'Oracle pour leurs actuels produits et services, et 50% affirment travailler sur une stratégie de sortie".

"Des factures Oracle lourdes"

A l'occasion de l'édition 2017 de l'Open CIO Summit ce 5 décembre, la question de la légitimité d'Oracle sur le plan commercial était une fois de plus mise sur la table. Organisé au siège de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris dans le cadre du Paris Open Source Summit, ce think tank de DSI (qui aborde chaque année la place de l'open source dans les stratégies numériques) se tenait à huis clos. Le JDN a pu assister à la conférence (pour respecter la confidentialité des débats, nous en réalisons ici un compte rendu anonymisé).

"Le projet doit être synonyme de gains de productivité et pas seulement d'économies de coûts"

"Les factures d'Oracle sont très lourdes. Elles représentent chez nous l'un des postes de coûts les plus importants de la DSI", confie un responsable IT d'un grand groupe français. "Pour contenir cette dépense, et évoluer vers un système d'information plus économique, nous étudions la possibilité de décommissionner nos bases Oracle et de migrer vers des serveurs de données open source PostgreSQL. C'est d'ailleurs un chantier que nous avons commencé à engager pour certains systèmes."

Face à une telle "problématique", l'open source représenterait aussi le moyen de gérer un risque lié au mode de licencing. "Le modèle d'Oracle comme celui d'autres éditeurs propriétaires s'adaptent mal aux nouveaux environnements IT de type machine virtuelle et cloud", souligne un DSI. Là où l'open source permettrait d'innover rapidement, sans contrainte de développement et de déploiement, la logique "propriétaire" d'un acteur tel qu'Oracle est, à l'inverse, considérée comme bloquante. "Oracle promeut une stratégie qui est définie très loin d'ici, et pour le plus grand nombre", tente d'expliquer un autre DSI.

Sur le terrain des systèmes serveur et des bases de données, les solutions open source seraient désormais suffisamment crédibles pour jouer le rôle d'alternatives. "En matière de virtualisation,  d'automatisation, de DevOps, l'open source a fait ses preuves. La question ne se pose plus", martèle un participant, qui évoque notamment PostgreSQL et Apache.

La nécessité d'une certification open source

Pour beaucoup des personnes présentes, basculer vers des briques open source n'en reste pas moins périlleux. "S'il n'y a pas de fournisseur commercial derrière, vers qui vais-je me tourner en cas de panne majeure. C'est l'une des principales inconnues du modèle libre. Pour qu'une application soit migrée vers un stack open source, il est a minima indispensable que l'éditeur se soit engagé à maintenir son code dans cet environnement", pointe un intervenant.

Autre contre-argument : il serait difficile de justifier les dépenses inhérentes à la migration vers une infrastructure open source, cette dernière n'apportant (au-delà de la réduction des coûts) aucun avantage supplémentaire aux équipes business. "Idéalement, le projet doit être synonyme de gains de productivité et pas seulement d'économies", estime un directeur technique d'un groupe du CAC40. Au total, il serait par conséquent nettement plus facile de faire passer la pilule d'une stratégie 'open source first' dans le cadre du développement de nouvelles applications.

"Plusieurs groupes français de taille significative se sont engagés dans cette voie"

Du côté d'Oracle, le dispositif commercial serait conçu pour éviter à tout prix cette fuite de clients (ce qui n'est pas surprenant). "Plus vous souscrivez de licences, moins vous payez. Et si vous réduisez la voilure, Oracle recalera sa facture en quelques mois", note un décideur informatique. Pour que la manœuvre de sortie fonctionne, mieux vaudrait donc opter pour une stratégie de rupture, en coupant d'emblée au moins un tiers des licences Oracle souscrites, puis réallouer le budget issu de l'économie réalisée dans la migration.

"Plusieurs groupes français de taille significative se sont engagés dans cette voie, y compris pour des systèmes critiques cœur de métier", constate un autre décideur présent. Et pour ces systèmes critiques, c'est le plus souvent PostgreSQL qui est retenue comme alternative. "C'est vrai qu'un tel chantier n'est pas forcément simple, surtout quand vous avez du code en base, des procédures stockées… Mais il existe des outils de migration qui fonctionnent bien. Nous avons amorcé la migration d'un système critique vers PostgreSQL, et nous n'avons relevé aucun bug sur cette dernière. Les problèmes que nous avons essuyés concernaient plutôt la couche applicative", témoigne un CTO.

Oracle veut réinstaurer le dialogue

Au-delà des économies de coûts à attendre d'un tel projet, reste à savoir quelle autre justification mettre en avant pour convaincre la direction générale de s'engager dans la démarche. "Associer cette migration avec le passage au cloud est une option 'entendable'. Tous les grands fournisseurs de cloud adossent leur environnement à des briques open source. Sans compter que les logiciels libres favorisent la réversibilité, et évitent de se retrouver pieds et poings liés aux clouds retenus", conseille pour conclure un décideur. 

Nommé en septembre à la tête d'Oracle France, Gérald Karsenti (ex-PDG de HP France) entend restaurer le dialogue avec les clients de l'éditeur basés dans l'Hexagone. N'en défendant pas moins la stratégie globale du groupe californien, y compris en matière d'audit logiciel, il souhaite arrondir les angles, et introduire "une certaine rupture" avec les pratiques passées. "Je n'entends pas mener la politique commerciale d'Oracle demain comme elle a été faite hier. Le monde de demain (celui du cloud, ndlr) implique une autre approche", indique-t-il dans les colonnes du MagIT, se disant prêt à "proposer au Cigref des groupes de réflexion en collaboration avec des personnes d'Oracle" en vue de parvenir à "une meilleure compréhension"".