Les marques doivent apprendre de la crise pour évoluer

Les marques doivent analyser les changements en cours dans la société pour définir de nouveaux leviers d'engagement, et trouver un équilibre inédit entre leur vocation première et les attentes nouvelles du public.

Fréquentation des sites et applications d’Information généraliste sur les deux premières semaines de confinement (source ACPM) © FP

La crise est inscrite dans l’Histoire

Elle a toujours remis en cause les équilibres humains et économiques. Celle que nous traversons ne fait pas exception. Elle provoque un chamboulement de toutes les facettes de notre vie ; même nos valeurs fondamentales s’en trouvent questionnées. Le changement s’impose à nous: des produits de première nécessité aux médias, nous consommons déjà autrement. La situation est par nature génératrice d’opportunités qu’il nous appartient dès à présent de saisir. Les initiatives des marques qui ont choisi de s’engager contribueront à modifier positivement la relation qu’elles entretiennent avec les consommateurs. C’est l’occasion pour les entreprises de scruter les changements de comportements afin d’amorcer ou d’accélérer la mise en place de nouvelles solidarités. En effet, la responsabilité sociétale est une composante clé de la réputation des organisations et, à ce titre, elle reste plus que jamais moteur de leur performance à venir.

Raphaël Pivert,GroupM France (WPP) : Le confinement bouleverse le rapport des Français aux médias

La consommation de la presse, de la TV et de la radio s’envole, notamment sur leur forme numérique. Alors même que leur modèle économique est mis à mal, les médias de contenus se réinventent pour assurer la continuité de service. La TV, par exemple, enregistre des records d’audience, bien qu’elle soit privée d’une partie de ses capacités de production. Les chaînes font preuve d’ingéniosité. Dans cette difficile équation, certaines pépites émergent à l’instar de l’émission Tous en cuisine avec Cyril Lignac. Initialement prévue pour une seule diffusion, l’émission en direct est dorénavant à l’antenne quotidiennement. La presse d’information est elle aussi forcée de s’adapter à cette crise et redouble d’efforts pour poursuivre sa diffusion. Elle va même au-delà puisqu’elle produit du contenu pour soutenir, divertir et conseiller les personnes confinées. La crise accélère pour la presse une numérisation déjà bien entamée : le trafic sur les sites Internet explose et le nombre d’abonnements aux versions numériques est parfois multiplié par deux. Ce contexte force les médias à innover pour maintenir le lien avec leurs audiences, tout en révélant l’attachement réciproque entre les médias locaux, nationaux et les Français.

Florence Hermelin, GroupM France (WPP) : Le confinement accentue la légitimité des marques dans la société

Nombre d’entreprises ont décidé de mettre leurs forces vives au service du collectif, pour aider l’État et ses services d’urgence mais aussi protéger les plus exposés, en garantissant notamment l’emploi dans cette période d’incertitude. Après quelques semaines de confinement, déjà 94 %* des Français jugeaient les marques légitimes pour s’associer à la lutte contre le coronavirus et déclaraient se sentir reconnaissants de ces initiatives désintéressées. Ce ressenti des Français résonne avec une approche sur laquelle nous travaillons. Elle s’inspire de l’analyse sociologique de Marcel Mauss sur le cycle du don : donner, recevoir, rendre. Cette approche montre l’importance du lien créé par des marques capables d’offrir une expérience sans rien attendre en retour et son impact dans une relation marchande revalorisée. Les individus se sentent alors redevables vis-à-vis de certaines marques et cela influence la manière dont elles sont considérées et in fine recommandées ou achetées. Cette « dette positive » offre ainsi aux marques un véritable nouveau levier d’engagement réciproque avec leurs consommateurs.

Natalie Rastoin, Ogilvy France (WPP) : Les marques doivent vite appréhender leur contexte d’après-crise

Nous vivons tous un paradoxe. Nos corps sont confinés mais nos émotions n’ont jamais parcouru autant de chemin. Selon une étude de l’université de Lausanne, 42 % des répondants aspirent à changer de vie à la sortie du confinement et 38 % voient dans ce qui arrive la fin d’un modèle de société. Dans cette épreuve incomparable, la plupart des marques et des entreprises font preuve de solidarité et recherchent un ton juste avec la peur de paraître opportunistes. Elles communiquent avec sobriété sur leurs actions et montrent qu’elles sont des acteurs crédibles de la société. Pour les marques, l’envie de revenir vite dans l’action est déjà palpable. Toutefois, structurer un temps de réflexion est crucial : repartir, oui, mais pas comme avant. Les marques doivent analyser ce qui a pu changer dans la tête des consommateurs, des collaborateurs ainsi que chez la concurrence. Est-ce que les consommateurs et les collaborateurs ont changé d’opinion sur la marque en la voyant agir ou non ? Est-ce qu’ils vont changer leurs habitudes de consommation et leurs usages du numérique ? Est-ce que les concurrents ont réévalué l’importance du marché et de leurs marques ? Plus que jamais, les marques trouveront en sortie de crise un nouvel équilibre entre leur vocation et ce que leur demandera la société, entre leur ADN et le changement. Elles devront actualiser leur promesse dans un souci d’intégrité et de pertinence à l’égard de tous leurs publics. Vite, très vite.

Philippe Pailliart, BCW France (WPP) : Les entreprises doivent inscrire le sens au coeur de leur stratégie de reprise

Demain sera différent. Dans une société encore plus en quête de repères, les entreprises vont devoir penser, parfois repenser, et surtout mettre en action leur utilité sociale, cette fameuse raison d’être, facteur de cohésion des collaborateurs, d’adhésion des parties prenantes et de différenciation sur le marché. Le véritable enjeu est celui de la mise en cohérence de la stratégie. Dans une étude publiée en 2019 par Entreprises et Média, près de 70 % des dirigeants interrogés considéraient la raison d’être comme un atout stratégique, mais plus de la moitié admettaient que leur stratégie ne s’en inspirait pas.

Devant cette nécessité de cohérence, la responsabilité sociale et environnementale ne peut plus être pensée en « annexe » mais comme moteur incontournable d’un nouveau business model vertueux. De plus en plus d’entreprises agissent dans cette voie, conscientes que leur réputation dépend de leur capacité à construire une performance durable, respectueuse de leur écosystème et intégrant l’ensemble des attentes de leurs parties prenantes.

Dans un registre complémentaire, les marques entreprise, employeur et produits devront être rapprochées au service de valeurs communes. Renforcer la confiance auprès de tous leurs publics constitue la condition clé d’une reprise durable.

Analyse évolutive de la crise autour des 6 macro-dynamiques de l’observatoire. Source : Living labPeclersParis, observatoire de prospective socioculturelle. 6 avril 2020. © FP

*Source : Mpanel - semaine 2 du confinement. Total population - 626 répondants