Comment ATT d'Apple va faire le jeu de Facebook et des autres walled gardens

Comment ATT d'Apple va faire le jeu de Facebook et des autres walled gardens On annonçait que le framework pensé par Apple pour protéger la vie privée des utilisateurs porterait préjudice au business publicitaire de Facebook. Cela pourrait être tout le contraire.

On disait de Facebook qu'il serait la principale victime d'ATT, ce nouveau framework de tracking déployé par Apple qui complique sérieusement le suivi des utilisateurs entre les apps et les sites mobiles et nuit, ce faisant, à la vache à lait publicitaire de l'éditeur de quatre des applications les plus populaires au monde (Facebook, Messenger, Instagram et Whastapp). Avec des revenus qui se sont établis à 29,08 milliards de dollars au second trimestre 2021, contre 27,89 milliards de dollars attendus, il n'en est pour l'instant rien. Cela ne va pas durer, assure le géant de la publicité, qui a prévenu que l'impact du déploiement d'ATT serait plus rude au troisième trimestre. Pragmatisme contraint ou scepticisme feint pour dérouter les analystes ? C'est difficile à dire à ce stade.

"Faute de pouvoir qualifier correctement le trafic généré sur leur site par les campagnes médias, certains annonceurs sont tentés d'investir plus sur Facebook pour y effectuer ce travail de qualification"

Certes Facebook est de moins en moins souvent capable de dire qu'un utilisateur qui a cliqué sur l'une de ses bannières est bien la même personne qui a, quelques temps après, été acheter un produit sur le site de l'annonceur concerné. Mais cela vaut pour tous les acteurs du marché, qu'ils s'appellent Google, Snapchat ou Le Figaro. Difficile de croire que les annonceurs basculent une partie de leurs investissements jusque-là consacrés à Facebook vers la concurrence, celle-ci étant, elle aussi, affectée par la nouvelle politique d'Apple. Il est tout autant improbable de penser qu'ils mettront en pause leurs investissements digitaux alors que le secteur de l'e-commerce est en pleine expansion. Ou qu'ils feront des arbitrages en faveur d'autres canaux, comme la TV ou le print, où la mesure de la conversion est historiquement plus compliquée, voire inexistante.

"Je ne connais pas un annonceur qui a réduit la voilure sur Facebook, ou compte le faire prochainement", témoigne un dirigeant d'agence média. La réalité, c'est que la plupart des annonceurs devraient prendre leur parti de ce nouveau paradigme, en acceptant d'en savoir moins côté mesure et en gardant la répartition de leurs investissements inchangée. L'hégémonie de Facebook, qui contribue avec Google à près des deux tiers du marché de la publicité en ligne en France, en ressortirait intacte. Elle pourrait même s'en retrouver renforcée si, comme le pense Camille Lemesle, directeur expertise et innovation paid social chez iProspect, certains annonceurs se décident à investir encore plus au sein de la plateforme. "Faute de pouvoir qualifier correctement le trafic généré sur leur site par les campagnes médias, certains annonceurs sont tentés d'investir plus sur Facebook pour y effectuer ce travail de qualification", observe l'expert.

Si le géant de la pub peine désormais à faire le lien entre un clic chez lui et un achat chez l'annonceur, ATT n'a, en revanche, aucun impact sur les informations qu'il peut collecter au sein de ses sites et applications : entre autres le nombre de clics, like, commentaires générés par une publicité, la répartition du nombre de vues d'une vidéo par quartile de complétion et le profil des internautes (âges, sexe, centre d'intérêts) qui engagent le plus. Autant d'informations qui restent précieuses pour les annonceurs. Lesquels, faute de pouvoir recibler les internautes en fonction de leur comportement sur le site de la marque (page produit vue, mise en panier…), le feront sur la base des interactions qu'ils ont avec les publicités qu'ils regardent sur Facebook. C'est, par exemple, recibler les utilisateurs qui ont passé plus de 5 secondes à regarder une pub vidéo plutôt branding avec un nouveau message publicitaire personnalisé. "On est, dans ce cas-là, dans une approche en deux temps : d'abord du branding puis un message un peu plus orienté performance, autour du produit par exemple, pour les prospects tièdes", explique Margaux Mathieu, chef de groupe paid social chez iProspect. Cela peut aussi revenir à construire une stratégie d'acquisitions de leads pour alimenter les bases CRM des clients en recourant au format Lead Ads. Les utilisateurs qui auront rempli ce questionnaire, sans toutefois, aller au bout, pour à nouveau être sollicités. "Des formats comme Canvas ou Carrousel permettent, eux aussi, de qualifier de manière granulaire les utilisateurs", poursuit Camille Lemesle.

"La prochaine étape, c'est de permettre aux marques qui vendent via un Facebook Shop de recibler les utilisateurs en fonction de leurs interactions avec ce catalogue : type de produit vu, catégorie de produit vue…"

Margaux Mathieu en est persuadée : "Facebook va, comme d'autres grandes plateformes, muscler son offre de retargeting in-app pour satisfaire les annonceurs qui ne peuvent plus de faire de retargeting entre leur site et la plateforme." Avant, sans doute, d'aller encore plus loin en proposant une expérience 100% Facebook, depuis le clic sur la publicité jusqu'à la conversion. "La prochaine étape, c'est de permettre aux marques qui vendent via un Facebook Shop de recibler les utilisateurs en fonction de leurs interactions avec ce catalogue : type de produit vu, catégorie de produit vue…", prophétise Camille Lemesle. Facebook propose déjà ce reciblage dynamique entre un site e-commerce et sa plateforme via Dynamic Ads. Son efficacité étant amoindrie, il a tout intérêt à déporter la mécanique au sein même de sa plateforme. "Le site e-commerce des annonceurs deviendrait, dans ses conditions, presque une simple vitrine. Tout se passerait dans l'app Facebook", illustre Camille Lemesle.

Il semblerait que le géant de l'e-commerce Shopify partage l'analyse puisqu'il a annoncé en juin dernier qu'il rendrait sa fonctionnalité Shop Pay disponible pour tous les marchands vendant au sein de Facebook et Google, que leur site e-commerce soit propulsé par Shopify ou non. Un vrai changement de cap et un début d'aveu : l'avenir de l'e-commerce se conjugue avec celui des walled gardens. De sorte que le tunnel de conversion, qui est constitué de tous les points de contact avec l'internaute, se construirait de plus en plus souvent exclusivement au sein des murs de Facebook là où, par le passé, l'open Web jouait un rôle à part entière. Eric Seufert, consultant spécialisé dans le mobile, parle d'un nouveau paradigme au sein duquel prospèreront les "content fortresses", des univers clos qui proposent tout une diversité de services à l'utilisateur, comme le fait WeChat en Chine. "Le nouveau cadre imposé par ATT va favoriser tous ces environnements riches en data 1st party, dont l'écosystème publicitaire propriétaire n'est pas affecté", écrit-il.

Apple, qui espérait amoindrir Facebook, Snapchat et consorts avec ATT, pour faire à nouveau de l'AppStore un faiseur de rois, en serait pour ses frais. Et plutôt que de créer une dépendance vis-à-vis d'Apple et son App Store pour tout ce qui touche à la distribution de contenu, ATT pourrait en fait aboutit à la création d'encore plus de walled gardens… Des acteurs qui, à l'image de Google avec Floc et bientôt Facebook avec une toute nouvelle offre, auront, en plus, les ressources pour s'adapter aux exigences du nouveau cadre règlementaire. A savoir passer d'une logique de ciblage one-to-one à une logique de ciblage one-to-many. Parce qu'ils ont le reach et la puissance de calcul suffisante pour le faire sans porter préjudice à l'efficacité de leur offre publicitaire et de leurs revenus.