Hervé Godechot (Arcom) "La radio numérique terrestre a un rôle important pour faire revenir les auditeurs à l'écoute linéaire de la radio"

Si 1 Français sur 2 vit dans une zone où l'on peut émettre en DAB+, beaucoup reste à faire pour le populariser. Hervé Godechot, journaliste et président du groupe de travail "Radios et audio numérique" de l'Arcom, explique pourquoi les chaînes attendent beaucoup du DAB+.

JDN. La radio numérique terrestre ou DAB+ couvre désormais la moitié de la population hexagonale. L'Arcom est très mobilisée pour le développement de ce système. Pourquoi ?

Hervé Godechot est président du groupe de travail Radios et audio numérique de l’Arcom. © Arcom

Hervé Godechot. Le DAB+, c'est ce qui permettra à la radio de s'adapter à son environnement concurrentiel d'aujourd'hui et de préserver sa popularité et son succès. Mais l'Arcom n'est pas la seule à se mobiliser pour la réussite du DAB+ : les chaînes le sont tout autant. Une des principales raisons est que les coûts de diffusion sont significativement réduits avec le DAB+, ce qui est très important dans un contexte économique tendu et de concurrence frontale avec les plateformes numériques. Comparé à la FM, les coûts de diffusion sont inférieurs de 30 à 50% selon les zones et le volume des audiences. Le DAB+, c'est aussi une technologie beaucoup moins énergivore puisqu'elle se base sur le principe de la mutualisation : alors qu'en FM une fréquence est attribuée à une chaîne, en DAB+ une même fréquence peut être utilisée par jusqu'à 13 radios différentes grâce à une capsule numérique qui les abrite et qui est elle-même propagée par voie hertzienne.

Comment se structure la filière du DAB+ ? Quel est le taux d'équipement de la population française ?

Des émetteurs de nouvelle génération sont déployés sur tout le territoire national. En parallèle, l'Arcom déploie des allotissements DAB+ sur le réseau hertzien que les sociétés de création de multiplex opèrent à la demande et pour le compte des chaînes, qui les rémunèrent pour cela. Comme pour la TV et la radio FM classique, il appartient à l'Arcom de sélectionner les chaînes qui peuvent prendre part à ces multiplex. Aujourd'hui 562 radios sur 1 000 ont déjà l'autorisation pour émettre en DAB+, dont les chaînes de tous les grands groupes privés et publiques. A terme, l'objectif est que toutes en soient équipées.

Du côté des utilisateurs, alors que 1 Français sur 2 vit dans une zone où l'on peut émettre en DAB+, seulement 15% de la population est équipée d'un poste de radio compatible avec le DAB+. La quasi-totalité des véhicules neufs sont vendus équipés d'un poste compatible, de même que la quasi-totalité des postes radio le sont aussi, sauf les modèles les plus simples qui ne disposent pas d'un écran numérique. En attendant, tant que la bascule ne se fait pas totalement, les chaînes devront assumer un double coût de diffusion, ce qui n'est pas facile pour tout le monde. D'où l'importance pour ces dernières d'accélérer le déploiement du DAB+.

Cela démontre bien que le sujet n'attire pas trop l'intérêt de la population qui elle-même se sert déjà des appareils et applications numériques pour écouter leurs émissions. Comment comptez-vous attirer leur adhésion vers le DAB+ ?

Déjà en leur permettant de savoir que cela existe. Une campagne de communication nationale est en préparation à l'initiative des chaînes afin de faire connaître les avantages que le DAB+ apporte au grand public. Avec le DAB+, l'utilisateur final bénéficie de tous les avantages du numérique  - son numérique, continuité de l'écoute en mobilité et sans interruption, accès à une offre riche et variée - sans ses inconvénients, que sont le fait de devoir payer un abonnement à un fournisseur d'accès à internet et d'avoir son comportement en ligne tracé. Contrairement au digital, en DAB+, l'utilisateur n'est plus assailli de traceurs servant à connaître ses goûts et ses préférences. C'est aussi une question de souveraineté. Les chaînes émettent et les utilisateurs reçoivent les programmes sans l'intermédiation des plateformes numériques et des FAI.

Les chaines radio souhaitent disposer de données sur leurs utilisateurs et proposer des segments de ciblage aux annonceurs car cela leur permet de beaucoup mieux commercialiser leurs espaces publicitaires. Avec le DAB+, l'enjeu de la dépréciation des inventaires hertziens comparé au digital restera entier. Qu'en pensez-vous ?

Le recueil de la data permet en effet de mieux cibler la diffusion des campagnes des annonceurs. Mais la monétisation n'est pas pour autant aisée à développer dans le digital, ne serait-ce que sur les contenus téléchargés dont on ne sait pas mesurer la consommation, rendant la diffusion des campagnes hasardeuse. Par ailleurs, sur certaines chaînes, la pression publicitaire sur l'écoute linéaire est telle qu'elles perdent des audiences. C'est la raison pour laquelle certains groupes ont décidé de réduire le nombre de spots diffusés par heure. En proposant moins de spots et de manière plus qualitative, les chaînes peuvent mieux les vendre tout en espérant stopper la baisse des audiences.

Mais il y a un point important aussi : le modèle économique des radios doit impérativement évoluer pour réduire la dépendance de ces dernières à la publicité. Plein d'autres manières de créer de la richesse sont possibles en radio : des partenariats de branding, l'événementiel et les prestations BtoB. Enfin, il faut relativiser le poids du digital comparé à la radio linéaire. L'écoute hertzienne de la radio capte toujours 80% des audiences.

Certes mais les audiences de la radio hertzienne sont en baisse, c'est une tendance de fond mesurée par Médiamétrie.

Tout à fait, tout comme il est indéniable que le digital gagne des audiences. Mais le mouvement de baisse n'est pas si rapide que cela et je pense qu'il finira par se stabiliser. Avec la qualité de l'écoute et l'expérience qu'il offre, le DAB+ jouera un rôle très important pour maintenir, voire faire revenir les auditeurs à l'écoute linéaire et hertzienne. N'oublions pas que, contrairement à la télévision, la radio est un média d'habitude très puissant qui nous accompagne au quotidien. Son écoute majoritaire reste linéaire et le hertzien s'y prête bien. Un équilibrage va s'installer entre le hertzien et le digital, entre l'écoute linéaire et délinéarisée.

Le secteur de la radio joue sur tous les terrains de jeu pour accompagner toutes les évolutions de mode d'écoute : hertzien, DAB+, numérique, linéaire et délinéarisé. Le succès de la radio de demain, c'est d'être partout. Un autre point différenciant de la radio de demain est le contenu. On ne peut plus continuer d'offrir la même chose que les gens peuvent trouver ailleurs sur les plateformes, et cela est particulièrement le cas des radios musicales, très sérieusement impactées par les plateformes de streaming musical. C'est pourquoi ces dernières se réinventent en éditorialisant davantage leurs programmes, par exemple avec la présence d'animateurs et des choix très pointus de programmation, etc. pour proposer des contenus que les audiences ne peuvent pas trouver ailleurs.