Meta attaqué pour son abonnement : les drôles d'arguments des associations

Meta attaqué pour son abonnement : les drôles d'arguments des associations Pour Me Etienne Drouard associé chez Hogan Lovells c'est toute l'économie des médias en ligne qui serait censée disparaître si on devait pousser à bout l'argumentaire des associations qui attaquent Meta

En l'espace d'une semaine, les réactions hostiles à la décision de Meta de proposer un abonnement en Europe comme alternative à la publicité et à la collecte des données personnelles ont déferlé. Noyb (non of your business), association autrichienne de défense de la vie privée, a ouvert le bal mardi 28 novembre en déposant une plainte contre Meta auprès de l'autorité autrichienne de protection des données. Deux jours plus tard, le 30 novembre, c'était le tour du Bureau européen des unions des consommateurs (BEUC), basé à Bruxelles, de déposer une plainte avec 19 de ses membres, dont UFC-Que Choisir en France, auprès du réseau des autorités de protection des consommateurs des pays européens.

En parallèle, le même jour, UFC-Que Choisir saisissait en France la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, l'invitant à "enquêter sur ce géant des réseaux sociaux". Enfin, vendredi 1er décembre c'était au tour de 83 médias espagnols à travers leur association représentative, AMI, de porter plainte en Justice contre Meta pour concurrence déloyale sur le marché publicitaire du fait du non-respect systématique de la demande de consentement libre et éclairé pour la collecte de données personnelles de ses utilisateurs, ce qui lui a valu, selon l'AMI, un avantage hautement compétitif dans la captation de revenus publicitaires.

Souvenons-nous de l'origine de toute cette histoire : après des années et de nombreuses procédures devant les autorités européennes de protections des données, Meta s'est vu obligé cet été de se plier au consentement pour collecter les données personnelles de ses utilisateurs, comme il est prévu dans le Règlement général sur la protection des données (RGPD). Mais au lieu de se conformer au principe du consentement et d'offrir aux utilisateurs les conditions pour un choix "libre, éclairé et univoque", Meta impose le "choix" entre accepter ou payer, argumentent Noyb et le BEUC.

Soit. Mais ces arguments sont-ils recevables ? Car si l'initiative de Meta était contraire au RGPD, que penser alors des cookies walls, utilisés par environ 30% du top 100 des éditeurs en France, qui imposent à l'internaute de payer pour l'article ou de s'abonner s'il ne souhaite pas consentir au dépôt d'un traceur à de fins de publicité personnalisée ? "Si aucune contrepartie financière à l'absence de traceurs n'est proposée, cela reviendrait à imposer à Meta de mettre la clé sous la porte", estime Me Etienne Drouard, associé chez Hogan Lovellls. "C'est la même chose pour l'intégralité des médias en ligne : vous fournissez un contenu professionnel, vous avez le choix entre la publicité et l'abonnement pour financer votre activité. Le choix libre et éclairé qui doit se faire entre deux alternatives, publicité ou paiement, ne suppose pas de donner une troisième option qui serait d'accéder au service sans aucune contrepartie", ajoute-t-il. "L'utilisateur a-t-il le droit d'imposer à un fournisseur de services un modèle économique dénoué de publicité et de paiement ? La réponse est évidemment non."

En deux mots, selon ce spécialiste, c'est le modèle économique du digital qui est menacé si aucune contrepartie n'est proposée au refus des traceurs publicitaires. Car pour l'avocat il ne peut y avoir de publicité sans traceur, même en cas de publicité contextuelle, sans compter que les budgets des annonceurs ne sont pas injectés sur des publicités sans un minimum de personnalisation garante de ROI. "Aujourd'hui on ne sait pas mettre aux enchères un affichage publicitaire sans établir un lien entre le terminal qui recevra cette publicité et l'objet publicitaire mis aux enchères entre les annonceurs", résume-t-il. Un équilibre doit par conséquent être trouvé entre le respect des droits des utilisateurs et les conditions d'existence d'une activité commerciale.

Le raisonnement des associations

L'offre d'abonnement à Facebook et Instagram est entrée en vigueur en novembre pour les pays membres de l'Union européenne, la Suisse, l'Islande, la Norvège et le Liechtenstein. Les tarifs varient de 9,99 à 12,99 euros selon que la consultation se fait sur le web ou sur mobile. Mais ils pourront monter à 20,99 euros à partir de mars 2024 pour un utilisateur faisant usage simultané de Facebook et Instagram, et souscrivant via l'application mobile, selon les calculs d'UFC-Que Choisir.

Noyb qualifie "d'inacceptable" le coût de l'abonnement imposé par Meta. Comme Noyb, le BEUC considère élevé le coût de l'abonnement pour le service sans publicité ce qui implique qu'un choix n'est pas vraiment offert aux utilisateurs. De plus, "Meta les induit en erreur en présentant le choix entre une option payante et une option gratuite, alors que cette dernière option n'est pas gratuite car les consommateurs paient Meta en fournissant leurs données", indique le BEUC dans un communiqué.

Des arguments mis à mal par Me Etienne Drouard. L'expert rappelle que la question sur la validité des cookies walls a déjà été tranchée plus d'une fois : tout d'abord par la Directive dite Omnibus de 2019 sur la protection des consommateurs, qui indique qu'un service peut être fourni en contrepartie de données et par un arrêt du Conseil d'Etat le 19 juin 2020 qui indique qu'on ne peut pas affirmer qu'un cookie wall est non conforme au RGPD. Cependant, l'Autorité de la Concurrence est en capacité de juger si le prix demandé à un service est excessif ou non. "Lorsqu'on considère que c'est trop cher, la question sera de déterminer le bon prix de l'alternative à la publicité. Quel régulateur pourra juger d'un montant qui serait excessif ? L'Autorité de la concurrence le peut mais certainement pas l'autorité de protection des données saisie par Noyb", ajoute-t-il.

A noter que la BEUC va encore plus loin que Noyb, en considérant qu'à travers cette offre d'abonnement comme alternative à la publicité Meta se livre à des pratiques commerciales déloyales. "Meta enfreint le droit européen de la consommation en ayant recours à des pratiques déloyales, trompeuses et agressives, notamment en empêchant partiellement les consommateurs d'utiliser les services pour les forcer à prendre une décision rapidement, et en fournissant des informations trompeuses et incomplètes au cours du processus", a déclaré Ursula Pachl, directrice générale adjointe du Bureau européen des consommateurs.  La BEUC argumente que même en optant par l'abonnement "les utilisateurs sont susceptibles de continuer à voir leurs données personnelles collectées et utilisées, mais à des fins autres que publicitaires".

Les dangers de la procédure espagnole

L'Association des médias d'information (AMI), qui demande plus de 550 millions d'euros de compensations, reproche à Meta le non-respect systématique et massif du RGPD entre l'entrée en vigueur de ce dernier, le 25 mai 2018, et le 31 juillet 2023, ce qui lui a assuré un avantage compétitif majeur dans la captation de revenus publicitaires mettant en péril la pérennité même des médias espagnols. Dans leur plainte, les médias soulignent que l'utilisation systématique et massive des données personnelles des utilisateurs des plateformes Meta sans leur consentement implique que 100% des revenus du géant technologique provenant de la vente de publicité segmentée ont été obtenus illégalement. "Cette procédure a des chances d'aboutir", déclare Me Etienne Drouard. "Faudra-t-il encore être capable de démontrer le préjudice subi et le manque à gagner puisque le même consentement que Facebook n'a pas demandé est celui qui a permis à ces mêmes éditeurs de monétiser leurs contenus", conclut-il d'un ton critique.