Fayrouze Masmi-Dazi (Dazi Avocats) "La décision du juge américain ouvre la voie à la contestation d'AI Overviews pour pratique anticoncurrentielle"
Pour Me Fayrouze Masmi-Dazi, la décision rendue mardi 2 septembre sur les remèdes à imposer à Google pour abus de position dominante dans la recherche en ligne souligne que l'IA générative contribue à renforcer sa position.

JDN. Google, condamné pour avoir abusé de sa position dominante sur la recherche en ligne aux USA, ne devra pas se séparer de Chrome. Comment analysez-vous cette décision ?
Fayrouze Masmi-Dazi. Plusieurs demandes de remèdes ont été faites par les autorités américaines dont la cession de Chrome voire Android. Le juge Amit P. Mehta a choisi d'écarter les mesures structurelles. Il a estimé qu'il n'était pas nécessaire ni même efficace d'aller jusque-là et de son point de vue trop loin, en intervenant sur la structure du marché lui-même. A la lecture du jugement, on comprend que pour lui ce n'est pas le fait de détenir Chrome ou Android ni la position dominante de Google qui doit faire l'objet de remèdes, mais ses pratiques anticoncurrentielles sanctionnées, dont notamment l'imposition d'exclusivité aux distributeurs pour être le seul moteur de recherche proposé par défaut. C'est pourquoi le juge a retenu des remèdes contractuels, dont la fin des exclusivités que par ailleurs Google a déjà commencé à mettre en place, ainsi que des obligations de partage des données et des accords de syndication pour ouvrir de nouvelles opportunités au marché.
Les mesures correctives préconisées (fin des exclusivités avec les distributeurs, partage des données, accords de syndication) sont-elles de nature à améliorer la concurrence dans ce secteur ?
L'avenir nous le dira. Le juge semble convaincu que ces deux leviers principaux – la levée des exclusivités et le partage des données/ la syndication– permettront de fluidifier le marché en favorisant la concurrence. Le partage de données était une des principales demandes des plaignants en dehors de la cession, et cela nécessitera de mettre en place des systèmes interopérables. En revanche, le champ des données que Google devra accepter de partager avec ses concurrents est très limité tout comme la périodicité de ce partage. Cela rend impossible toute optique d'optimisation, seule une approche analytique étant possible dans ces conditions. Cela limite clairement la capacité des concurrents de se positionner strictement au même niveau de Google. D'un autre côté, ces derniers auront malgré tout désormais accès à des données dont ils ne pouvaient pas disposer jusque-là. Seuls les concurrents sont à même de dire si ce périmètre est trop limité et surtout ce qu'ils pourront en faire, d'où la nécessaire instauration d'un comité technique de suivi des remèdes.
Quel est votre avis sur cette décision ?
Tout d'abord le jugement ordonne des remèdes. Cela n'était pas acquis. Il reprend ceux proposés par Google en allant plus loin, et une partie de ceux proposés par les autorités américaines en les limitant. Il accepte d'intégrer dans son analyse l'IA générative, ce qui n'était pas acquis et y consacre des développements importants. Le juge a adopté une attitude que l'on peut qualifier de prudente compte tenu des enjeux écosystémiques de sa décision et minimaliste quant aux engagements de notre point de vue européen.
En interdisant les clauses d'exclusivités, il scelle quelque part une solution bien ancrée en droit français par exemple qui consiste à considérer comme nulles et non écrites des clauses anticoncurrentielles, ce qui n'aurait pu être le point de départ d'une discussion sur les remèdes ici puisque c'est le socle minimal français. D'où probablement le sentiment de déception qu'une telle mesure peut susciter chez certains. Il semble faire confiance en la capacité des entreprises et en particulier de Google de corriger leur comportement, soulignant que la procédure elle-même a d'ores et déjà eu un effet "prophylactique" (sic). N'oublions pas que la recherche en ligne est historiquement un produit Google, contrairement à l'adtech qui a été construite notamment par des acquisitions, ce qui donnera peut-être lieu à d'autres résultats devant la juge Leonie Brinkema.
Il faut relever que le juge a également cherché à préserver l'écosystème et notamment les distributeurs par exemple en refusant de mettre fin aux accords financiers pour la promotion commerciale par défaut du moteur de recherche, notamment l'accord à 20 milliards de dollars annuels avec Apple. Ceci étant, il se réserve la possibilité de revoir sa décision sur lesdits paiements pour la pré-installation par défaut si les conditions du marché changent ou ne changent pas substantiellement.
L'usage fait du search par les IA est amplement abordé dans ce jugement sans pour autant qu'un remède spécifique ne soit proposé sur cet aspect. Cette décision a-t-elle un impact sur les projets de contestation d'AI Overviews (AIO) et AI Mode en cours en France ?
De manière générale, et en particulier pour les éditeurs situés dans les pays où AI Overviews est déployé, cette décision ouvre très clairement la voie à une contestation possible de pratique concurrentielle qui serait mise en œuvre par Google avec l'IA générative dans le search, sous réserve d'en rapporter la preuve.
Tout d'abord, le jugement identifie un marché de l'IA générative, comprenant une myriade de produits et services, qui ne sont pas tous totalement substituables. Il précise que le marché de l'IA générative ne se confond pas avec celui du search pour le moment, qu'il s'agit bien d'un marché distinct contrairement à ce que soutenait Google. Il souligne que l'IA générative contribue à renforcer la position de Google dans le search, lui qui dispose déjà d'une position dominante sans équivalent et de l'index de recherche le plus fourni. Le jugement souligne que Common Crawl est une base de données relativement limitée comparée à celle créée par Google pour entrainer ses modèles (Google Common Corpus ou GCC). Le jugement souligne encore le constat selon lequel les utilisateurs cliquent moins sur des sites "tiers" lorsque la réponse est fournie par AI Overviews.
La place de l'IA générative est par conséquent centrale dans cette décision même si elle n'a pas été traitée avec un remède spécifique. Ceci dit, l'interdiction des accords d'exclusivités s'applique néanmoins bien également aux outils d'IA générative, ce qui doit conforter un opérateur comme Apple par exemple.
Il ne donne en revanche pas suite à la demande des autorités américaines de permettre aux éditeurs notamment de presse en ligne, de bénéficier d'un opt-out granulaire (oui au crawl pour le search mais non au crawl à des fins d'entrainement, de fine tuning ou de RAG par exemple). Et pour justifier de ne pas enjoindre de telles mesures, le juge précise "qu'il n'a reçu aucun témoignage d'éditeur" à ce sujet, ce qui laisse la voie ouverte à de tels témoignages le cas échéant.