Souveraineté technologique : l'UE prête à créer un marché unique des données

La stratégie proposée par la Commission européenne se montre ambitieuse pour accroitre la souveraineté technologique de l'UE. Pour que celle-ci soit un succès, elle doit s'appuyer sur le droit européen en matière de protection des données, de vie privée et de concurrence.

Le 19 février a été un grand jour à Bruxelles. La Commission européenne a dévoilé sa stratégie et sa vision en matière de données européennes, afin de permettre à l'UE de devenir un modèle et un leader pour une société fondée sur les données. L'avenir numérique de l'Europe repose sur trois piliers : l'investissement et la promotion des technologies au service des citoyens, la création d'une économie numérique équitable et compétitive et, enfin, le maintien d'une démocratie ouverte et durable.

On pourrait dire que ce sont de nobles objectifs, mais il s'agit et il devrait s'agir bien plus d'une vision. Sur un plan plus pratique, l'Union européenne a déclaré qu'elle souhaiterait voir une plus grande utilité du "potentiel inexploité" permettant aux acteurs des secteurs public et privé d'accéder "facilement" aux énormes réserves de données et d'informations industrielles. Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, qui s’est décrite elle-même, dans une récente tribune, comme une optimiste technologique, ne se fait pas d'illusions. Elle reconnait que la profondeur et l'ampleur de la nouvelle stratégie en matière de données ne sont rien d'autre qu'une transformation numérique massive, couvrant un large spectre, de la protection des données et de la cybersécurité aux infrastructures critiques, en passant par l'éducation et les compétences numériques, la démocratie et les médias, ainsi que la lutte contre le changement climatique.

L'UE a élaboré son intention de créer un marché unique des données, où celles-ci peuvent circuler au sein du bloc et entre les secteurs, dans l’intérêt de tous. Pour y parvenir, la stratégie est claire sur le rôle du droit européen en matière de vie privée et de protection des données et du droit de la concurrence, qui sont considérés comme la clé du succès et devront être pleinement respectés. Les règles d'accès et d'utilisation des données doivent être équitables, pratiques et claires. La Commission européenne a également souligné que l'accès au marché unique "n'est pas inconditionnel" et, sur ce point précis, le message est clair comme de l'eau de roche : tout le monde peut accéder au marché européen à condition de respecter les règles de l'Union. À cette fin, l'UE s'efforcera de "tirer parti de son pouvoir réglementaire" pour faire progresser l'approche européenne, qui à son tour contribuera à façonner les cadres mondiaux. Il s'agit déjà d'un élément clé de la politique extérieure dans le domaine des négociations commerciales internationales. La présidente a ajouté que nous aurons besoin des ressources nécessaires pour répondre à l'ambition de l'Europe de devenir un acteur numérique mondial et un leader dans les domaines des données et de l'intelligence artificielle. De tels projets sont en cours d'élaboration et sont proposés au Conseil européen pour soutenir cette stratégie.

Pour illustrer le potentiel numérique, l'UE a également publié des statistiques frappantes. En 2018, l'économie des données au sein de l’Union à 27 valait 301 milliards d'euros. En 2025, on estime qu'elle en vaudra 829 milliards, soit un facteur de croissance de 2,8. Une statistique encore plus intéressante est celle du nombre de "professionnels des données", qui pourrait doubler, passant de 5,7 millions en 2018 à 10,9 millions de professionnels en 2025. Certes, ils ne travailleront pas tous directement dans le domaine de la protection des données, mais il s'agit néanmoins d'une catégorisation impressionnante, et d'un argument essentiel en faveur des compétences et de l'éducation à la protection des données à plusieurs niveaux : l'écosystème sera considérable.

Mme Von der Leyen a déclaré à juste titre que nous ne pouvons pas laisser au hasard une transformation numérique de cette ampleur, ajoutant que nous devons "veiller à ce que nos droits, notre vie privée et notre sécurité soient protégés de la même façon en ligne que hors ligne". Ses commentaires avaient une résonance assez politique, puisqu'elle a utilisé le terme de "souveraineté technologique" pour désigner la capacité dont l'Europe doit faire preuve pour faire ses propres choix, sur la base de ses propres valeurs et règles — c'est un message clair aux partenaires commerciaux mondiaux de l'UE. La présidente et son équipe indiquent avec assurance que l'Europe est prête à développer ses propres normes numériques et à les promouvoir au niveau international. Ça ne sera pas une tâche facile, il y aura beaucoup à faire.