Une loi visant à protéger les mineurs sur la toile suscite la controverse aux États-Unis

Une loi visant à protéger les mineurs sur la toile suscite la controverse aux États-Unis Les partisans du Kids Online Safety Act affirment qu'il permettra de lutter contre les contenus dangereux pour les plus jeunes. Mais des voies dissonantes soulignent les risques pour la liberté d'expression.

Le Sénat des États-Unis a voté fin juillet, a une très large majorité, en faveur du Kids Online Safety Act (KOSA), une loi qui entend protéger les mineurs qui surfent sur l'internet. 91 sénateurs ont voté pour et 3 seulement contre. Avant d'être signée par Joe Biden, elle doit cependant encore être examinée et votée par la Chambre des représentants, l'autre branche du pouvoir législatif aux États-Unis, en septembre. 

Le principal apport du KOSA est de contraindre les plateformes en ligne comme Facebook, Google, Instagram et TikTok à prendre des mesures pour lutter contre un certain nombre de maux susceptibles de toucher le jeune public, parmi lesquels le cyberharcèlement, les contenus à caractère érotique, la vente de drogues, ou encore tout ce qui promeut des comportements dangereux (anorexie, défis comme le jeu du foulard, promotion du suicide…). Les plateformes seront ainsi incitées à filtrer certains contenus susceptibles de nuire à la santé mentale des jeunes internautes pour les empêcher d'y accéder, voire à les supprimer. Celles qui manqueraient à leur devoir s'exposent à des poursuites. 

Mettre fin au "Far West" virtuel

Cette loi est le fruit de plusieurs années de travail entre les parlementaires américains et des associations de parents, qui pour certains ont perdu leur enfant à cause de contenus en ligne dangereux. 

Outre la mobilisation des plateformes pour censurer les éléments inappropriés, la loi prévoit tout un arsenal de mesures supplémentaires, comme une restriction, pour les mineurs, de la possibilité de partager leur géolocalisation, ainsi que l'interdiction pour les entreprises de collecter leurs informations personnelles et de leur envoyer des publicités ciblées. Les plateformes auront également pour obligation de doter par défaut chaque compte détenu par un mineur sur les réseaux sociaux de tous les paramètres de confidentialité les plus restrictifs, et de permettre à ceux-ci de supprimer très facilement leurs données personnelles. 

La loi rendrait également obligatoire la mise en place d'outils de contrôle parental, permettant aux parents de vérifier les paramètres de confidentialité des comptes de leurs enfants sur les réseaux sociaux, restreindre leur capacité à faire des achats en ligne, et limiter le temps qu'ils peuvent passer sur les plateformes. 

"Aujourd'hui, la toile est un véritable Far West pour nos enfants, et nos lois et régulations sont insuffisantes. Il est temps d'agir", a déclaré Joe Biden peu après le passage de la loi par le Sénat, incitant la Chambre des représentants à donner rapidement à son tour son aval.  

Une loi bipartisane

La chose est suffisamment rare aux États-Unis de nos jours pour être soulignée : le KOSA bénéficie de soutiens à la fois chez les démocrates et les républicains, comme l'illustre le duo qui se trouve derrière sa confection et sa promotion. D'un côté, Richard Blumenthal, sénateur démocrate du Connecticut, à la gauche du parti démocrate, et de l'autre, Marsha Blackburn, sénatrice républicaine ultraconservatrice du Tennessee. Bien qu'opposés politiquement, les deux élus s'accordent pour dire que la toile est un espace dangereux pour les mineurs, et que trop peu de mesures sont prises pour les protéger.

" Notre loi prévoit des outils spécifiques pour empêcher les Big Tech de diriger des contenus toxiques vers nos enfants, et demandera des comptes à ceux qui privilégient le profit sur la sécurité ", a déclaré Richard Blumenthal. Marsha Blackburn a de son côté souligné le fait qu'il existait des lois pour empêcher les mineurs d'acheter de l'alcool ou du tabac, mais aucune pour les protéger des effets néfastes des réseaux sociaux. 

En plus de réunir des élus des deux camps, la loi a également le soutien de plusieurs associations de parents et de professeurs, ainsi que de certaines entreprises des nouvelles technologies comme Microsoft, X et Snap. 

Un danger pour la liberté d'expression ? 

Mais la loi compte aussi son lot d'opposants, qui viennent, là encore, des deux bords politiques. Plusieurs géants de la tech, comme Alphabet et Meta, ont critiqué la loi, arguant qu'elle le contraindrait à mobiliser des ressources phénoménales pour surveiller les activités des plus jeunes et vérifier l'âge de leurs utilisateurs. 

Mais le KOSA suscite également l'inquiétude de nombreux acteurs qui s'inquiètent pour la liberté d'expression. C'est le cas de l'Union américaine pour les libertés civiles, une association non-partisane de défense des libertés, de plusieurs associations LGBT, plutôt ancrées à gauche, ou encore du sénateur Rand Paul, élu républicain du Kentucky, qui a qualifié la loi de "boîte de Pandore" susceptible de contrevenir au Premier amendement, qui protège la liberté d'expression des Américains contre la censure exercée par le gouvernement. 

Ces acteurs aux positionnements politiques fort disparates formulent tous la même critique à l'égard de la loi : en obligeant les plateformes à protéger les mineurs, avec un langage suffisamment vague pour qu'il englobe potentiellement toutes sortes de contenus désignés comme " dangereux " ou " stressant ", elle risque d'inciter ces dernières à avoir la main lourde en matière de censure. Student for Life Action, un lobby anti-avortement, a par exemple affirmé que le KOSA risquait d'inciter les plateformes à supprimer les publications "pro-life" (c'est-à-dire anti-avortement). 

"Dans l'hypothèse d'une deuxième administration Trump, celle-ci pourrait facilement, à travers la FTC (le gendarme américain de la concurrence, ndlr), utiliser le KOSA pour cibler les contenus en lien avec les transgenres, l'avortement, la dénonciation du racisme, le changement climatique… L'objectif n'est pas de protéger les enfants, mais plutôt, pour les sénateurs, de faire semblant de le faire alors que les élections approchent", nous confie pour sa part Evan Greer, directrice de Fight for the Future, une organisation américaine de défense des droits sur l'internet.

Des préoccupations que partage Ari Cohn, un avocat américain spécialisé dans la défense de la liberté d'expression, et conseiller pour TechFreedom, un laboratoire d'idées non partisan sur les nouvelles technologies. "Donner au gouvernement le pouvoir de punir les plateformes lorsqu'il n'aime pas les contenus montrés aux mineurs est un affront dangereux et effrayant au premier amendement. En outre, requérir de ces plateformes qu'elles traitent les mineurs différemment va nécessairement les contraindre à vérifier l'âge des utilisateurs, même si la loi prétend le contraire." 

Une loi bientôt passée au crible des tribunaux ?

Pour ces raisons, il n'est pas certain que la loi reçoive l'aval de la Chambre des représentants, où plusieurs élus républicains, mais également plusieurs membres de l'aile gauche du parti démocrate, comme Alexandria Ocasio-Cortez et Maxwell Frost, ont déjà exprimé leur opposition. 

À supposer qu'elle soit finalement votée et signée par Joe Biden avant la fin de son mandat, il est également probable que ses opposants tentent de l'attaquer en justice. NetChoice, un lobby qui représente plusieurs plateformes dont Alphabet et Meta, a déjà (souvent avec succès) attaqué nombre de lois mises en place par des États afin de protéger les mineurs, affirmant à chaque fois qu'elles étaient contraires au Premier Amendement. À cet égard, la Cour Suprême des États-Unis a récemment rendu un jugement majeur affirmant que la possibilité, pour les plateformes, de modérer les contenus comme bon leur semblait était, elle aussi, protégée par le premier amendement, et que le gouvernement n'avait donc pas son mot à dire sur la question.