Jean-Michel Baticle (CGI) "Je ne ferme pas la porte à une acquisition"

Reprise par CGI, la SSII anciennement connue sous le nom de Logica renoue avec la croissance en France, mais se retire de certains marchés, pour mieux en conquérir d'autres. Le président CGI France-Luxembourg-Maroc détaille sa stratégie au JDN.

 

JDN. Le secteur des services informatiques a dernièrement été marqué, en France, par de grands rapprochements, entre Atos et Bull ainsi qu'entre Sopra et Steria. Qu'est-ce que cela a changé pour CGI France ?

Jean-Michel Baticle, président de CGI France-Luxembourg-Maroc. CGI compte près de 10 000 collaborateurs en France, et affirme travailler pour presque toutes les entreprises du CAC 40. © CGI

Jean-Michel Baticle. Le rapprochement entre Atos et Bull n'a pas changé grand-chose, car nous sommes rarement confrontés à Bull. C'est un peu différent concernant Sopra et Steria. Contrairement à ce dernier, nous nous positionnions jusqu'à présent peu sur l'infrastructure, mais nous voulons désormais nous concentrer davantage sur ce marché. Nous allons donc nous retrouver d'avantage en concurrence. Quant à Sopra, ils sont surtout présents sur des secteurs comme l'énergie, la finance ou l'administration. Nous sommes de notre côté plutôt positionnés en France sur le manufacturing : c'est donc différent, et pas vraiment frontal. Le groupe Sopra-Steria est néanmoins désormais une importante entreprise, qui propose une offre assez complète. On mesure encore au quotidien les impacts de leur rapprochement. Mais un an après, force est de constater que cela ne nous a pas empêché de croître.

Qu'entendez-vous par "infrastructure" exactement : comment concrètement allez-vous vous positionner sur ce secteur ?

Nous allons aller là où nous pouvons prendre des parts de marché. Il ne s'agit pas de la création de data center ou de leur administration. Nous voulons nous développer plus précisément sur le conseil dans le domaine de l'infrastructure, avec la volonté d'adresser la problématique de l'outsourcing. Nous avons pu valider des investissements et un business plan pour nous développer dans ce domaine. Cette stratégie va mettre quelques années à se déployer. Cela pourra par exemple permettre d'accompagner des clients vers le cloud. En général, même si cela a tendance à évoluer, nos clients s'orientent plus vers le cloud privé que le cloud public, plus compliqué pour eux. Se développer dans cette direction du cloud va aussi de pair avec un développement de nos activités dans la sécurité, car quand on parle du cloud, on en vient vite à parler sécurité...

"Nous allons développer notre activité de conseil dans l'infrastructure"

Les investissements sur l'infrastructure s'étaleront sur 5 ans. Nous réalisons aujourd'hui 30 millions d'euros sur ce secteur en France, ce qui est assez peu, mais l'objectif est d'atteindre les 100 millions d'euros de chiffre d'affaires tiré de l'infrastructure et les services additionnels liés d'ici 2020. Ces chiffres n'incluent pas l'apport d'une éventuelle acquisition. Car la philosophie de CGI est de se développer via de la croissance externe ou organique. Je ne ferme donc pas la porte à une acquisition, dans le domaine de l'infrastructure, ou dans un autre domaine d'ailleurs.

Avoir été racheté par un groupe canadien vous a-t-il fermé les portes de certains marchés publiques français ?

J'ai en tête un exemple qui montre que ce n'est pas le cas. Nous intervenons en effet auprès de l’OCCAr, l'Organisation Conjointe de Coopération en matière d’Armement dans le cadre de l’homologation du système d’information et de communication du nouvel avion de transport militaire A400M. Nous avons du personnel habilité Confidentiel Défense. CGI a par ailleurs obtenu la qualification de "PASSI", de Prestataire d’Audit de la Sécurité des Systèmes d’Information, de l’ANSSI, qui nous ouvre aussi certains marchés sensibles pour la France. 
 

"Nous nous désengageons aussi de certaines activités"

Le chiffre d'affaires de CGI a baissé en France l'année dernière. Quelles sont les perspectives pour 2015 ?

Il va y avoir une inversion de la courbe de croissance, qui était négative, de 5% l'année dernière. Mais cette année, nous allons repasser dans le positif. Les tendances observées sur les trois derniers trimestres se confirment. Je suis très confiant sur la croissance cette année, et il y a de belles opportunités devant nous en matière de projets dans la sécurité, la transformation numérique, et l'outsourcing.

Les derniers rapports d'activité de CGI mentionnent que des activités à faibles marges ont été arrêtées en France. Quelles sont ces activités ?

Certaines activités à faibles marges ont en effet été annulées. Nous fonctionnions parfois en co-traitance, ou en sous-traitance, et nous pouvions parfois, en conséquence, embarquer du chiffre d'affaires sans rentabilité. Nous limitons désormais ce genre d'activités.

Nous allons aussi nous désengager de certaines activités qui ne sont pas au cœur de notre stratégie de développement. Notre business a pu subir un éclatement, et parfois, certains salariés ne comprenaient pas toujours assez bien qui faisait quoi. Les équipes avaient peut-être un peu tendance à vouloir viser trop large, mais pas assez profond. Concrètement, il a fallu renoncer à des projets type ERP qui n'étaient pas assez grands comptes, pas de niveau SBF 120 voire CAC 40. Nous renonçons aussi aux technologies de niche. Concernant le conseil, il s'agit d'aller d'avantage vers l'accompagnement des directions  fonctionnelles, plus que du côté de l'architecture technique. 

"Le développement du nearshore devrait s'accélérer"

Quelle est la place que vous allez donner à l'offshore dans ce contexte ?

L'offshore progresse un peu en Inde, mais moins qu'au Maroc. La progression de l'offshore ou plus exactement du nearshore, au Maroc, est une tendance de fond. Nous développons aussi le nearshore au Portugal, qui nous permet de mieux adresser le secteur énergie-utilities par exemple. Ce développement du nearshore devrait s'accélérer dans les années à venir.

Il y a en France à peu près 29% de femmes qui travaillent pour CGI. Comment pensez-vous pouvoir faire monter ce chiffre ?

Cette part est en effet trop faible. Accroître la proportion de nos employées est un vrai enjeu pour nous, et nous multiplions les initiatives qui permettent d'améliorer cette situation : des livres blancs, des partenariats avec des grandes écoles, ou encore, entre autres, des opérations avec des responsables politiques comme Axelle Lemaire ou Najat Vallaud-Belkacem. Si la filière du numérique attire peu les femmes, cela vient, à mon sens, essentiellement de la formation. Il faut aussi renforcer l'attractivité de nos métiers, car ils offrent de belles opportunités. Je pense que sensibiliser tôt à leur potentiel peut être un levier efficace. Il y a souvent une méconnaissance de ce que l'on peut faire dans une SSII.

Les SSII peuvent aussi souffrir de leur image, comme s'il était difficile d'y faire carrière. C'est vrai que nous avons du turn-over, mais ceux qui partent restent souvent dans le secteur informatique... Et il est tout à fait possible de bâtir une carrière dans une SSII. C'est donc aussi un problème d'image, et de communication.

Est-il plus ou moins dur de recruter aujourd'hui qu'avant ?

Cela a toujours été dur pour nous de recruter. Mais c'est encore plus compliqué depuis 2 ou 3 ans. Car la transformation numérique impacte nos clients, qui cherchent eux aussi à recruter des talents capables de les aider à opérer et gérer ce changement. Et si avant, nous avions les autres SSII en face de nous sur le marché de l'emploi, aujourd'hui nous avons aussi, en plus, nos clients.

 

Jean-Michel Baticle est le président des activités de CGI pour la France, le Luxembourg et le Maroc. Avant d'occuper ce poste, il a assumé, pendant 2 ans, les fonctions de vice-président en charge des opérations de CGI en France et au Luxembourg. Auparavant, il avait la responsabilité du développement commercial des secteurs de la distribution, du transport, du tourisme et des loisirs. Il a rejoint l'entreprise en 1989 comme chef des offres de service Oracle et il a occupé divers postes avant de devenir vice-président, Régions en 2011.