Les néoclouds sont-ils déjà condamnés ?

Les néoclouds sont-ils déjà condamnés ? Ces acteurs surfent sur la vague de l'IA en offrant des cloud musclés en processeurs graphiques Nvidia à des tarifs ultra-compétitifs. Mais leurs faiblesses les promettent presque à coup sûr à la consolidation.

Nombreuses sont les startups à surfer sur la vague de l’IA. Mais pour beaucoup d’entre elles, accéder à la puissance de calcul nécessaire est un vrai défi. Les géants du cloud permettent en théorie d’accéder à toute la puissance de calcul dont on a besoin.

Mais dans la pratique, la demande est telle que les hyperscalers peinent à la satisfaire, et n’hésitent pas à faire grimper la facture.

"Début 2024, par exemple, les hyperscalers ont eu du mal à répondre à la demande croissante de processeurs graphiques, ce qui a entraîné une flambée des prix des instances adossées à ceux-ci — dépassant parfois 100 $ de l’heure, lorsqu’elles étaient disponibles", affirme Owen Rogers, à la tête de la recherche sur l’informatique en nuage au Uptime Institute, un consortium d'entreprises dont l'objectif est de maximiser l'efficacité des centres de données.

Louer quatre instances équipées de Nvidia H100 pendant un mois — la quantité et le temps nécessaires pour entraîner un “petit” LLM de moins de 7 milliards de paramètres — peut alors coûter près de 300 000 dollars.

L’essor spectaculaire du néocloud

Fort de ce constat, un certain nombre d’entreprises s’engouffrent dans la brèche. Baptisés CoreWeave, Lambda, Nebius, Vultr ou encore Crusoe, ces acteurs du “néocloud” reposent sur un pari : proposer des offres cloud taillées pour l’IA à des prix très compétitifs.

"D’après une récente étude que nous avons menée, le coût horaire moyen d’une instance Nvidia DGX H100 louée auprès d’un hyperscaler est de 98 dollars. Auprès d’un néocloud, le coût unitaire tombe à 34 dollars", détaille Owen Rogers.

Dylan Patel, expert chez SemiAnalysis, un cabinet d’intelligence de marché sur le numérique, définit le néocloud comme "une nouvelle catégorie de fournisseurs de services cloud, axés sur la location de puissance de calcul GPU. Ces clouds spécialisés offrent à leurs clients des performances de pointe et une grande flexibilité."

Stuart Scott, directeur du portefeuille Cloud de QA, une plateforme de développement professionnel, insiste de son côté sur les profondes différences qui les séparent des acteurs cloud traditionnels. "Les néoclouds ne sont pas seulement des versions réduites d’AWS ou Azure. Ils sont fondamentalement différents. Bâtis autour des charges d’AI massivement consommatrices de GPU, du calcul en périphérie et de centres de données durables, ils offrent une tarification transparente, des interfaces de programmation applicatives ergonomiques pour les développeurs, des outils open source et un minimum de verrouillage propriétaire. En résumé, ils sont l’antidote à la complexité des hyperscalers, et sont ainsi très populaires parmi les startups et PME exclues des modèles cloud traditionnels par les prix élevés."

Le marché est effectivement en plein essor. Au cours des quatre dernières années, il a cru de 82% par an, encore plus vite que les investissements dans les centres de données. Et ce n’est pas fini. Un récent rapport de Forrester estime que les néoclouds généreront en 2026 20 milliards de dollars de chiffre d’affaires. CoreWeave, l’un des principaux acteurs du segment, a déjà battu son chiffre d’affaires 2024 rien qu’au premier semestre 2025, tandis que son rival Nebius a multiplié le sien par six sur la même période. Ils commencent également à attirer l’attention des ténors de l’IA. CoreWeave a ainsi signé en septembre un contrat à 6,5 milliards de dollars avec OpenAI.

La recette des néoclouds pour écraser les prix

Construire, opérer et maintenir des centres de données coûte une petite fortune, tout comme le fait de mettre la main sur suffisamment de puces Nvidia dernier cri pour satisfaire l’appétit insatiable des barons de l’IA. Alors, comment les acteurs du néocloud s’y prennent-ils pour casser les prix face aux hyperscalers, qui bénéficient pourtant d’économies d’échelle ?

La recette tient (pratiquement) en un mot : spécialisation. Les néoclouds n’ont pas besoin de maintenir une large gamme d’infrastructures, ce qui leur permet d’opérer à des coûts plus bas par rapport aux hyperscalers.

Cette hyperspécialisation leur permet également d’opérer à un plus haut niveau de capacité, et donc de réaliser des économies supplémentaires. "Les fournisseurs cloud traditionnels doivent généralement fonctionner à de faibles taux d’utilisation des serveurs, afin que les clients puissent augmenter la puissance de calcul de façon instantanée en fonction de leurs besoins", note Owen Rogers

Enfin, la dernière différence tient dans les centres de données en eux-mêmes. "Les hyperscalers doivent concevoir leurs centres de données pour répondre à des normes minimales pour tous les services, et les situer près des clients et de leurs utilisateurs finaux. Les néoclouds, eux, peuvent optimiser leur localisation, par exemple pour accéder à l’énergie la moins chère possible, et n’ont pas besoin d’intégrer de la redondance ou des réseaux complexes dans leurs infrastructures."

Amis ou ennemis des hyperscalers ?

L’essor rapide des acteurs du néocloud menace-t-il le marché des hyperscalers ? Forrester estime que leur expansion va contraindre ces derniers à "revoir leur stratégie autour de l’IA agentique". Pour autant, certains acteurs traditionnels ont investi dans leurs petits frères du néocloud. Microsoft, par exemple, a prévu de dépenser dix milliards de dollars en contrats CoreWeave d’ici la fin 2029, afin d’entraîner des modèles d’IA de pointe.

Un signe que les deux écosystèmes sont davantage complémentaires que concurrents, selon Owen Rogers. "Les hyperscalers sont comme des supermarchés : ils proposent une large gamme de services adaptés à une grande variété de besoins et de budgets. Les néoclouds, eux, sont comme des boulangeries. Leur pain est peu coûteux et de bonne qualité, mais les gens n’y font pas leurs courses tous les jours. Les néoclouds sont ainsi des composants de la stratégie multicloud d’une entreprise. Par exemple, une organisation peut utiliser l’un d’entre eux pour entraîner un grand modèle de langage, qui sera ensuite déployé chez un fournisseur cloud public pour l’inférence et l’intégration dans une application plus vaste." Il est ainsi selon lui probable que plusieurs de ces acteurs soient rachetés par les hyperscalers au cours des années à venir.

Un modèle fragile

Car si les néoclouds sont pour l’heure sur une forte trajectoire ascendante, leur modèle est cependant fragile. Ils sont en effet contraints d’investir de fortes sommes d’argent, principalement pour s’équiper en puces Nvidia dernier cri, qui s’arrachent à prix d’or. Au premier semestre, CoreWeave a flambé cinq milliards de dollars, plus du double de son chiffre d’affaires sur la même période. Nebius, de son côté, a dépensé un milliard de dollars, et dégagé 155 millions de chiffres d’affaires. Des investissements largement financés par la dette : 11 milliards pour CoreWeave, plus d’un milliard pour Nebius.

Ces dépenses constituent bien sûr un pari sur l’avenir : celui qu’un nombre croissant d’entreprises vont investir dans l’IA, faisant les affaires des acteurs du néocloud. Tant que le marché continue de croître, ils continueront de susciter la confiance des investisseurs, mais un retournement conjoncturel, voire un krach de l’IA, dont s’inquiètent de plus en plus d’experts, pourrait les mettre en danger.

D’autant que, contrairement aux hyperscalers, les néoclouds n’ont pas de revenus diversifiés provenant de portefeuilles variés et bien en place depuis des décennies, qui leur procurent une grande sécurité financière. En cas de krach, il est probable que la grande majorité d’entre eux soient ainsi rachetés ou conduits à la faillite. Le marché se consoliderait alors autour de quelques acteurs dominants, probablement ceux qui disposent déjà de contrats à long terme avec leurs clients, tels que CoreWeave.

Même en cas de croissance continue de l’IA, le modèle d’affaires de ces sociétés n’est pas garanti. Leur proposition de valeur, qui repose sur des prix très bas pour concurrencer les hyperscalers, les contraint à comprimer leurs marges, ce qui pourrait là encore poser problème, par exemple dans le cas d’une remontée des taux d’intérêt qui augmenterait le coût de leur dette, leur laissant le choix entre augmenter les prix et perdre une partie de leur avantage concurrentiel, ou garder des tarifs bas et se mettre financièrement en danger.