Jeux vidéo : les retailers bientôt game over ?

Jeux vidéo : les retailers bientôt game over ? La dématérialisation des jeux vidéo rabat les cartes de la distribution. Cdiscount, Fnac Darty, Micromania-Zing… Tous ces distributeurs expérimentent de nouvelles pistes pour survivre.

Loading... La vente de jeux vidéo se dématérialise. Catalogues par abonnement à la Netflix, streaming, e-shop… La révolution est en marche et impacte un secteur de 4,3 milliards d'euros de chiffre d'affaires (CA) en France et en croissance de 18% en 2017 sur un an. "L'achat d'un jeu en magasin ou sur Internet, à insérer dans une console et dont la boîte se range sur une étagère, est un modèle de moins en moins utilisé. Avec le temps, le jeu vidéo deviendra une expérience mise à jour de manière dématérialisée", confirme Emmanuel Martin, délégué général du Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (SELL), qui représente les principaux fabricants.

Selon le SELL, les jeux sur console (PS4, Nintendo Switch, Xbox one X…) ont généré 1,345 milliard d'euros de CA en 2017, vendus à 59% en physique et 41% en dématérialisé. "Nous sommes en train d'arriver à un point d'équilibre. La dématérialisation s'accélère chaque année même si la majorité des ventes reste encore physique", commente John Parkes, directeur général d'Ubisoft France. Par ailleurs, la vente de matériels PC, consoles et accessoires (hardware) pèse toujours près de 1,69 milliard d'euros en France.

A la manœuvre, les éditeurs de jeux vidéo multiplient les initiatives pour atteindre le consommateur sans intermédiaire. La plupart possèdent leur propre store de jeux en ligne : Ubisoft, Blizzard, Xbox… Certains vont plus loin. En juin 2018, le surpuissant éditeur américain Electronic Arts a lancé une offre d'abonnement à 15 euros par mois pour permettre de télécharger directement ses nouveautés. D'autres ont misé sur le 100% dématérialisé dès le départ, comme le leader de la distribution de jeux vidéo en ligne Steam avec 4,3 milliards de dollars de CA en 2017. Enfin, le modèle free-to-play cartonne et saute la case distribution, car gratuit en partie et téléchargeable directement.

Tous ces modèles digitaux émergent, évoluent, coexistent et interrogent les retailers. "On ne sait pas qui va l'emporter, mais on sait que le modèle bascule en ce moment. Les éditeurs sont tentés par le direct-to-market. Cependant, il ne faut pas encore tuer la vache à lait physique pour autant", résume Yves Marin, associé chez Bartle Business Consulting et spécialiste de la distribution.

La riposte des distributeurs

Face à ce grand chamboulement, les e-commerçants généralistes ne restent pas inactifs. Par exemple, Cdiscount parie sur les prix bas et sur l'assortiment. "Nous nous plaçons dans une démarche très orientée sur le volume, qui passe par les consoles et les jeux jusqu'aux ordinateurs, smartphones et accessoires", explique Nicolas Camia, directeur des achats techniques chez Cdiscount. Ce dernier développe aussi des packs avec consoles, jeux et accessoires. Ces deux axes stratégiques payent surtout durant les temps forts de la consommation. "Nous avons vendu près de 10 000 PS4 pour le Black Friday 2017", illustre Nicolas Camia qui revendique des croissances à deux chiffres et des indicateurs au vert sur la verticale.

Depuis 2015, Micromania se tourne désormais vers la pop culture

La dématérialisation oblige aussi les magasins spécialisés à évoluer. Depuis 2015, Micromania se tourne désormais vers les produits dérivés autour du gaming. Objectif : ancrer son offre dans le physique et créer de nouveaux relais de croissance. "Aujourd'hui, notre positionnement se veut à la lisière du jeu vidéo et de la pop culture", détaille Philippe Renaudin, directeur marketing chez Micromania-Zing, qui assure que ce virage commence à attirer une nouvelle clientèle. Courant 2019, l'intégralité des 430 magasins basculeront dans cette nouvelle enseigne.

"Nous cherchons plus à nous différencier par des exclusivités"

D'autres solutions permettent de tirer son épingle du jeu. "Nous n'allons pas forcément chercher le prix bas absolument. Nous cherchons plus à nous différencier par des exclusivités", complète Romain Renouvin, directeur gaming du groupe Fnac Darty. Le but est d'attirer en magasin via des consoles en édition limitée, des précommandes et autres guides de solutions. A cela s'ajoute le service : conseil des vendeurs, concours organisés en magasin, événements autour de la sortie d'un jeu… Certains misent aussi sur la naissante réalité virtuelle comme Fnac Darty et Cdiscount.

"Nous vendons aussi des cartes prépayées"

Enfin, "pour survivre sur ce marché qui représente 10% de notre CA, caractérisé par une forte obsolescence des produits et de faibles marges, nous vendons aussi des cartes prépayées", explique Harold Holvoet, responsable de la catégorie multimédia chez Maxi Toys, qui compte 170 magasins de jouets dans 4 pays. Ces cartes donnent accès à des services en ligne comme Playstation Plus chez Sony. "Les jeunes joueurs n'ont pas forcément de carte bancaire pour payer online et préfèrent acheter en magasin ces cartes, notamment avec leurs parents", continue Harold Holvoet.

Vers un streaming du jeu vidéo

Reste que le secteur prend une direction inquiétante pour la distribution. "C'est la création d'un Netflix du jeu vidéo qui est en ligne de mire par les éditeurs. C'est-à-dire un catalogue de contenus complets", affirme Laurent Michaud, directeur des études en charge des loisirs numériques à l'Idate, groupe de réflexion européen spécialiste de l'économie numérique. Concrètement, les jeux ne seront plus stockés à la maison mais directement dans le cloud. Les joueurs n'auront plus besoin de consoles, comme pour la musique et les films. "Nous pensons que le streaming aura un véritable impact matériel d'ici trois à cinq ans", confirme John Parkes de chez Ubisoft.

Des nombreux freins ralentissent toutefois cette évolution : lent déploiement de la fibre optique et de la 5G, création de catalogues suffisamment larges ou encore entente difficile entre les éditeurs pour mettre en commun les offres… "Cependant, la tendance ne peut plus s'inverser car chaque génération se détache de plus en plus du support physique", conclut Laurent Michaud.