Le monde post-covid : pour un renouveau de l'industrie africaine ?

La crise du Covid-19 a remis en une de l'actualité la question de l'industrialisation de l'Europe et de sa dépendance à l'Asie... La réindustrialisation de l'Europe prendrait des décennies et aurait un coût exorbitant. Mais entre le tout-en-Asie ou le tout-en-Europe, il peut y avoir un " entre-trois " : jouer sur une diversification des sites industriels entre l'Asie, l'Europe et l'Afrique. Une logique de répartition des risques sur 3 continents.

Les avantages de l’Asie sont bien connus : usines existantes en grande quantité comme en Chine, maitrise de certaines technologies comme pour les semi-conducteurs à Taïwan, prix très compétitifs comme au Vietnam. De même, les inconvénients de dépendance à l’Asie sont aussi bien identifiés et illustrés notamment depuis bientôt 2 ans et aussi associés à la question de la durée du transport depuis l’Asie. La situation de l’Europe aussi est connue pour ses bons côtés telle la création d’emploi, l’impact délais et environnemental d’une logistique simplifiée, et ses moins bons : coûts et risque inflationniste, délais de mise en œuvre. Mais avoir une approche mixte sur trois espaces géographiques, en ajoutant l’Afrique à l’équation, peut faire sens.

Le cas de l’Afrique est moins évoqué, pourtant vu d’Europe, il présente plusieurs avantages. Tout d’abord, il y a une réalité des derniers mois prouvant que sur le terrain, les choses changent. Les réorientations d'usines marocaines, rwandaises ou sud-africaines sur les masques ou gel hydroalcooliques en 2020, la question des semi-conducteurs au premier semestre 2021 dans certaines usines du continent ou bien encore l'annonce de Moderna en octobre 2021 de l'ouverture d'une usine de vaccins en Afrique illustrent cette tendance de reconsidérer le potentiel industriel de l’Afrique. Le chemin est immense : l’Afrique représente 2% de la production industrielle mondiale en valeur, à comparer à 25% en Europe.

Mixte industriel

Ensuite, cette approche permettrait de répartir les risques de problème d’approvisionnement entre trois zones géographiques (Europe / Asie / Afrique), l’Afrique étant d’un point de vue distance plus pratique que l’Asie en termes de délai d’approvisionnement pour l’Europe. C’est une vraie logique de mixte industriel tant sur les distances que sur l’équilibre des coûts de production.

En pratique, investir dans le développement de l’industrie en Afrique est aussi logique d’un point de vue économique. D’une part, contrairement à une idée reçue, le continent Afrique est plutôt sécurisé pour investir dans des bâtiments industriels… C’est en effet le continent au monde où il y a le moins de catastrophes naturelles : peu de tremblement de terre ou de Tsunami contrairement à l’Asie ; peu de tornades contrairement aux Amériques … Donc l’intégrité physique est rarement menacée. On objectera l’instabilité politique mais celle-ci, en 2021, n’est plus celle des précédentes décennies. Les difficultés demeurent (transports terrestres défaillants, frontières, flux monétaires) mais ce ne sont pas les plus à risques dans un cadre industriel car elles sont bien connues et documentées. Par ailleurs, dans les 50 prochaines années, la main d’œuvre sera plus nombreuse en Afrique qu’en Asie où elle décroit, y compris en Inde et en Chine. Cette tendance est le fruit de deux phénomènes : le boom démographique du continent (doublement de la population d’ici 2050, même poids démographique que l’Asie en 2100) ; et la transition économique : ce continent n’a pas encore fait sa révolution industrielle, 60% de la population active travaillant encore dans l’agriculture. Enfin, l’urbanisation du continent si elle est associée à des emplois (notamment industriels) permettra le développement d’un marché intérieur commercial à conquérir.

Ceci semble impossible ? Dire non d’office, c’est oublier que la valeur ajoutée manufacturière de l’Afrique égalait celle de l’Asie en 1980. Un rattrapage est donc possible. Nos estimations de plusieurs scénarios intégrant des modèles à l’asiatique, l’impact du Covid-19 mais aussi le rôle du numérique pourraient faire passer cette valeur ajoutée manufacturière de 500 milliards de dollars en 2020 à plus de 2.500 milliards en 2040 (le PIB actuel de la France) voire, dans les cas favorables, entre 3,5 et 4,5 mille milliards en 2050 !

Ceci semble impossible ? Dire oui d’office, c’est oublier que les défis sont immenses et notamment sur deux dimensions : la formation de ces jeunes qui arrivent sur le marché du travail mais aussi les enjeux d’investissement, les infrastructures logistiques notamment terrestres ou la production d’électricité étant de vrais axes de freins pour le développement industriel.

Au-delà des intérêts pour les Européens, évoqués ici, il s’agit bien sûr d’une possibilité de développement pour l’économie de ces pays et donc la capacité d’intégrer économiquement et socialement ce milliard de jeunes qui va naitre dans les 20 prochaines années… Un tel boom démographique n’est jamais arrivé en si peu de temps, même en Chine. C’est donc bien un défi qui nous concerne tous.