Responsabilité des acteurs du Web 2.0 : des solutions émergent

Les dernières décisions jurisprudentielles apportent des précisions sur la responsabilité des plates-formes Web 2.0. Parallèlement, des critères mais également des solutions juridiques apparaissent.

Le Web 2.0. constitue la nouvelle expression à la mode pour des acteurs de l'Iternet, des  médiasen mal de révolution numérique. Si certains le considèrent comme un simple argument marketing, d'autres en ont fait leur business model en offrant sur leur plate-forme des espaces dédiés pour leurs clients ; ces derniers peuvent y mettre en ligne et diffuser des contenus (offres de produits comme eBay, 2xmoinscher.com, opinions politiques, films, clips, sketchs, play lists musicales comme Dailymotion, Youtube, MySpace etc).

Jamais il n'a été aussi facile pour un internaute d'être actif sur les réseaux. Combien ont mis aux enchères un bien sur Internet, ont contribué à l'enrichissement d'un site en mettant un contenu en ligne (la vidéo d'une conférence avec l'accord de l'organisateur par exemple) ? Combien d'autres, moins scrupuleux, ont mis à la vente des produits contrefaisants (comme des sacs de grande marque...), des contenus illicites (comme des films...) ? Qui dit nouvelle méthode de diffusion, dit également nouveaux moyens de commettre des infractions et par là, nouvelle responsabilité.

 

Il est important de rappeler ici que le premier responsable d'un contenu illicite d'un service de communication au public en ligne reste celui qui est à l'origine de sa présence sur l'Internet, c'est-à-dire le titulaire d'une page personnelle, le vendeur d'un produit etc. Or, pour les victimes des informations illicites mises en ligne par le titulaire ou le vendeur indélicat, il est souvent difficile de l'identifier. Ceci explique pourquoi elles engagent la responsabilité des intermédiaires techniques qui, en tant qu'opérateurs économiques, apparaissent directement au public (et sont également plus solvables).

 

Les catégories d'intermédiaires techniques

 

Cette liberté sans précédent pour les internautes apparue avec le Web 2.0 va de pair avec une responsabilisation de ces derniers mais aussi des intermédiaires techniques qui offrent des services sur ces plates-formes, ces derniers pouvant être considérés comme complices voire auteurs principaux des infractions commises pourtant par les internautes. La jurisprudence actuelle a posé les contours encore flous de ces nouveaux intermédiaires en se rattachant aux catégories d'intermédiaires encore imprécises issues de la Loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN) :

-       les fournisseurs d'accès entendus comme des "personnes dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne" (art. 6-I-1) ;

-      les fournisseurs d'hébergement définis comme des "personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services" (art. 6-I-2) ;

-     les éditeurs de contenus qui ne sont pas à proprement parler définis et qui sont simplement "des personnes qui éditent un service de communication au public en ligne" (art. 6-II).

 

La qualification préalable de l'intermédiaire incriminé est cruciale pour ce dernier. En effet, à chaque qualification correspond un régime de responsabilité spécifique.

Dans le cadre du Web 2.0, c'est surtout en faisant référence aux régimes de fournisseur d'hébergement et d'éditeur que s'articulera la défense desdits intermédiaires. Il cherchera à se faire qualifier de fournisseur d'hébergement, prestataire disposant d'une sorte d' immunité relative. En effet, ce dernier est exonéré de toute responsabilité civile quant à un contenu illicite à condition qu'il n'ait pas connaissance de sa présence sur son serveur, voire de faits et de circonstances faisant apparaître ce caractère illicite ou si, dès le moment où il en a eu connaissance, il a agi promptement pour retirer ce contenu ou en rendre l'accès impossible. Bref un régime protecteur pour les intermédiaires techniques.

 

Une catégorisation juridique des intermédiaires techniques remise en cause par la jurisprudence

 

Mais cette catégorisation est d'ores et déjà dépassée par l'émergence du Web 2.0. comme en témoignent de récentes jurisprudences parfois contradictoires :

-         l'affaire "Tiscali ". Cet arrêt de la Cour d'appel de Paris du 7 juin 2006 venait préciser le rôle des hébergeurs de pages personnelles qui proposent aux annonceurs d'y placer des publicités payantes. A ce titre, Tiscali a été considéré comme un éditeur de contenus  qui avait pour obligation de conserver les données permettant d'identifier les personnes ayant mis en ligne lesdits clients ;

-         l'affaire "Hotel Méridien". Par cet arrêt du 7 mars 2007, la Cour d'appel de Paris considérait qu'une plate-forme de vente aux enchères de noms de domaine ne pouvait bénéficier de la qualité d'intermédiaire technique au sens de la LCEN dès lors qu'elle déploie une activité qui ne se limite pas à celle d'hébergeur de site Internet puisqu'elle édite un site Internet consacré aux noms de domaine qu'elle propose à la vente et qu'elle réalise des liens hypertextes publicitaires de sorte qu'elle exploite commercialement le site. La Cour dégageait une obligation générale de vigilance pesant sur tout opérateur économique dans les termes suivants : "Nonobstant les conditions générales de services dont elle entend se prévaloir, les principes de loyauté et de libre concurrence, attachés à l'exercice de toutes activités commerciales, imposent à une entreprise intervenant sur le marché de s'assurer que son activité ne génère pas d'actes illicites au préjudice de tout autre opérateur économique". Selon cette jurisprudence, qui engrange des revenus découlant de son activité d'hébergeur de pages personnelles peut voir sa responsabilité engagée de par l'agissement d'un de ses clients ;

-         l'affaire "eBay". Dans son jugement du 26 mars 2007, le tribunal d'instance de Rennes a reconnu une responsabilité "résiduelle" de eBay qui n'avait que partiellement rempli son obligation d'information sur les risques de fraude et la sécurité des transactions à l'égard des utilisateurs. En effet, pour le reste, la diligence d'eBay avait été rapportée puisqu'elle conseillait à un acheteur de ne pas finaliser une transaction qui était plus que douteuse pour un internaute moyen. 

-         l'affaire "MySpace ". Le 22 juin 2007, une Ordonnance de référé du Président du TGI de Paris estimait que le site Myspace devait être considéré comme un éditeur de contenu, ses fonctions dépassant celles d'un simple prestataire d'hébergement. "En effet, imposant une structure de présentation par cadres, qu'elle met manifestement à la disposition des hébergés et diffusant, à l'occasion de chaque consultation, des publicités dont elle tire manifestement profit, elle a le statut d'éditeur et doit en assumer les responsabilités". On voit ici revenir le critère commercial des activités de l'intermédiaire apparu dans l'Affaire Hotel Méridien ;

-         l'affaire "Dailymotion ". Par une décision en date du 13 juillet 2007, le TGI de Paris considère que le site en question n'est qu'un hébergeur puisqu'il se contente d'offrir la possibilité aux utilisateurs de mettre en ligne les vidéos qu'ils souhaitent. La qualification d'éditeur ne peut être retenue que pour les vidéos qui sont mises en ligne directement par Dailymotion. En tant qu'hébergeur, Dailymotion n'a donc pas, en principe, et conformément à la LCEN, d'obligation générale de surveillance de ce qui est diffusé sur son site. Mais sa responsabilité a été engagée puisqu'il a eu connaissance de faits et circonstances laissant à penser que des vidéos illicites étaient mises en ligne sans mettre en oeuvre aucun moyen propre à rendre impossible l'accès auxdites vidéos  "alors qu'il lui incombe de procéder à un contrôle a priori". Cette obligation est une innovation jurisprudentielle qui semble heurter les solutions techniques émergentes qui permettent le contrôle a posteriori des contenus.

 

Une analyse des critères jurisprudentiels ainsi posés laissera dubitative les juristes et avocats, conseils de ces plates-formes. On peut penser que les plus prudents recommanderont d'attendre les premières décisions de la Cour de cassation ou de la Cour de Justice des Communautés Européennes qui permettront de fixer les contours de cette nouvelle catégorie de prestataire technique à la frontière du fournisseur d'hébergement et de l'éditeur de contenus.

Mais cette prudence s'accommode mal des contraintes du marché. Rappelons ici que les intermédiaires techniques installés dans d'autres Etats (comme la Grande Bretagne, plus souple sur le critère commercial, ou les Etats Unis) n'ont pas à attendre de telles décisions pour engranger les profits issus de ce nouveau modèle économique. Dans ces circonstances, les juristes ne doivent pas être perçus comme les freins au développement économique des plates-formes mais doivent, au contraire, signaler les risques juridiques ainsi que les solutions de contournement pour parer au plus pressé. Ainsi, des solutions sont en voie de formalisation.

 

Des solutions techniques et éthiques en cours d'élaboration

 

Les décisions judiciaires mentionnées dans cet article mettent en exergue pour les plates-formes la nécessité de prendre certaines précautions pour limiter ou s'exonérer de leur responsabilité à cet égard comme par exemple des mesures assurant l'identification de toute personne ayant effectué la mise en ligne d'un contenu (vidéo ou audio), une enchère ou encore l'identification du contenu lui-même comme le fingerprinting (création d'une empreinte numérique) mis en place par Dailymotion ou Youtube.

Cette solution consiste à créer une empreinte numérique des fichiers téléchargés et de les comparer à une base de données d'oeuvres protégées fournie pas des ayants droits (producteurs de films, de séries télévisuelles...). On voit ici l'écueil de cette solution : un tel outil permettait de démontrer aux ayants droits que la plate-forme n'a pas effectué toutes les diligences nécessaires pour éviter les actes de contrefaçon de certains de ses utilisateurs. En effet, si une oeuvre dispose de son empreinte dans la base de données et que malgré tout, le contenu est en ligne sur une des pages hébergées par l'intermédiaire technique, alors sa responsabilité pourrait être engagée.

La solution technique doit donc aller de pair avec une prise en compte contractuelle des efforts des unes (les plates-formes) et des inquiétudes des autres (les ayants droits) en se matérialisant par exemple par un délai de contrôle a posteriori des contenus reconnu contractuellement par les ayants droits.

 

Une autre initiative, éthique, relaie ce souci légitime : les "User Generated Content Principles" dont les signataires sont entre autres MySpace, Dailymotion, CBS, NBC Universal, Viacom, Walt Disney, posent les principes d'un respect collectif pour protéger les droits d'auteurs.

 

Toutes ces solutions mises en oeuvre par les intermédiaires sont autant d'indices à même d'emporter l'intime conviction des juges en cas de litiges opposant la plate-forme à un tiers.