Net neutrality aux USA : Comcast ne peut plus bloquer les échanges P2P

Le gendarme américain des télécommunications a condamné le blocage par le câblo-opérateur Comcast des applications P2P de ses abonnés. Analyse des conséquences.

Le gendarme américain des télécommunications, la FCC, a publié le 20 août une ordonnance condamnant le blocage par Comcast, câblo-opérateur américain, des applications pair-à-pair (P2P) de ses abonnés.  Contrairement à la France, une très grande partie des accès haut-débit aux Etats-Unis sont fournis par les réseaux câblés.  Certains abonnés du câblo-opérateur Comcast se sont plaints que leurs téléchargements BitTorrent et Gnutella étaient coupés.  Comcast a d'abord nié les faits.  Comcast a ensuite admis avoir envoyé des «resets» pour couper certains échanges P2P, mais a prétendu que ces coupures étaient nécessaires pour la bonne gestion de son réseau.  Cependant même cet argument n'a pas résisté : Comcast bloquait les applications P2P en cause quel que soit l'heure de la journée, et quel que soit le niveau de saturation du réseau.  La FCC a conclu que Comcast visait en réalité à décourager les utilisateurs à télécharger gratuitement des programmes audiovisuels qu'ils pouvaient acheter sur le service payant VOD de Comcast.  Il s'agissait d'une discrimination visant à favoriser le service commercial de Comcast, donc illicite selon la FCC.  La FCC a ordonné à Comcast de mettre fin à ces coupures.

Comcast utilisait la technologie « deep packet inspection » (DPI) pour identifier les applications P2P.  La DPI permet à l'opérateur de réseau d'ouvrir un paquet dans le flux des données et d'examiner son contenu.  Actuellement, les opérateurs utilisent la DPI pour fournir des services à valeur ajoutée à leurs clients entreprises.  Grâce à la DPI, un opérateur peut examiner les flux, et gérer la priorité de certaines applications de son client.  Selon certains, la DPI deviendra un outil incontournable pour gérer les réseaux de la prochaine génération, qui comporteront des niveaux de qualité de service différents selon l'application.  Ces réseaux nouveaux comporteront non pas une seule voie de transmission, mais plusieurs voies qui partageront de manière dynamique la même infrastructure physique.  Les tuyaux seront divisés sur le plan logique en autoroutes (pour les applications les plus prioritaires) et en routes nationales (pour les applications moins pressées).  La DPI contribuera à gérer les flux sur ces différentes voies.  La DPI est également utilisée par certains FAIs pour des applications publicitaires, notamment les services Phorm et NebuAd.  Certains FAIs ouvrent les paquets de leurs abonnés pour examiner le contenu consulté par l'internaute, et envoient des publicités ciblées à l'internaute en conséquence.  C'est une pratique déjà utilisée par certains acteurs de l'Internet grâce aux cookies, mais c'est la première fois qu'un opérateur de réseau regarde le contenu des flux pour vendre de la publicité.  Ces applications soulèvent une polémique aux Etats-Unis et tendent à donner une mauvaise image à la DPI. 

Cependant ce n'est pas cette application publicitaire qui est visée par la décision de la FCC, mais le filtrage d'échanges P2P.  Comcast bloquait tous les échanges utilisant une application donnée (BitTorrent, Gnutella), quel que soit le contenu échangé.  En d'autres termes, Comcast bloquait aussi bien l'échange de contenus licites (oeuvres dans le domaine public, logiciels libres) que l'échange de contenus illicites.  Alors que certains ont comparé la DPI à une forme d'écoute téléphonique non-autorisée, la FCC a admis la légitimité d'un tri fondé sur le contenu des paquets à condition que l'objectif du tri soit légitime, et que le processus de tri soit proportionné à l'atteinte de cet objectif.  Ainsi, un tri qui répondrait à un objectif légitime de gestion de qualité de service, mais qui bloquerait toute application P2P serait illégitime car disproportionné.  Un filtrage pour éliminer des contenus illicites - pornographie enfantine ou oeuvres protégées par le droit d'auteur - serait admis à condition que le processus cible uniquement les contenus illicites.  La FCC indique également que la nature du tri doit être transparente et expliquée aux internautes. 

Les FAIs français signataires de l'accord Olivennes de novembre 2007 se sont engagés à expérimenter des technologies de filtrage pendant une période de 24 mois.  La DPI, combinée à un système de reconnaissance d'oeuvres protégées, est l'une des approches technologiques utilisées pour limiter l'échange illicite de fichiers sur un réseau.  En France, les FAIs objectent qu'un filtrage de ce type serait illégal, comparant ce processus à un postier qui lirait les lettres qu'il distribue.  Ces objections juridiques disparaîtraient en grande partie avec le consentement de l'abonné.  Le principe d'un filtrage pour bloquer l'échange illicite d'oeuvres n'est pas différent du principe d'un dispositif anti-spam ou de contrôle parental, mais il faudrait que l'abonné donne son accord, et y trouve un intérêt, l'accès privilégié à certains contenus par exemple.  L'objection plus sérieuse des FAIs est celle du coût du dispositif par rapport à son efficacité, notamment si les utilisateurs migrent en masse vers les échanges cryptés.  Dans ce cas, les dispositifs DPI du type utilisé par Comcast seraient inefficaces.  Se posera ensuite la question de la possibilité pour un FAI d'interdire l'utilisation d'échanges P2P cryptés sur certaines de ces nouvelles autoroutes de l'Internet.  Interdire totalement l'utilisation d'un protocole P2P public crypté serait délicat, mais mettre ces échanges sur une voie moins rapide serait concevable, répondant à un objectif légitime de gestion de réseau et d'encouragement des services de téléchargements légaux.

Utilisateurs P2P publics cryptés : veuillez emprunter la route nationale, s'il vous plaît !