Hadopi : les journalistes lui disent-ils vraiment "merci" ?

La loi de 2009, dite Hadopi, apparaît très clairement en faveur des éditeurs. Elle leur simplifie les démarches et instaure un réel régime dérogatoire du droit d’auteur pour les journalistes.

La presse écrite papier subit depuis une dizaine d’années un déclin de son chiffre d’affaire qui n’est pas sans rapport avec la numérisation des journaux et surtout la gratuité des sites Internet de presse rendue obligatoire en raison de l’abondance d’informations sur Internet. Malgré l’existence d’aides étatiques, nombre de de journaux n’arrivent pas aujourd’hui à éponger les dettes accumulées ces dernières années. Et se maintiennent seulement avec la publicité. L’achat des journaux par les lecteurs étant en chute libre depuis que l’accès à l’information est gratuit via Internet.
La profession de journaliste est aujourd’hui définie par l’article L.7111-3 du Code du travail comme toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources. Le métier de journaliste est régit par la convention collective nationale du 1er novembre 1967. Le journaliste, dès lors qu’il est l’auteur d’un article, peut voir son œuvre protégée par le droit d’auteur à condition que son œuvre soit originale.
Le journal papier est apparu à la fin du XVIIIe siècle. Les journalistes ont connu un régime de droit d’auteur spécifique et adapté à leur profession. Néanmoins avec l’apparition de l’Internet, leur régime est apparu comme désuet et inadéquat face au développement numérique de la communication. C’est ainsi que la loi du 12 juin 2009 plus connue sous le nom « Hadopi » a eu des conséquences méconnues, à cause de la médiatisation des dispositions qui concernaient la lutte contre le téléchargement illégal, et importantes sur le régime du droit d’auteur des journalistes. Il est important de noter que la presse audiovisuelle est exclue de l’application de la loi Hadopi qui ne concerne que la presse écrite.

I – La relation éditeur-journaliste avant la loi Hadopi

 Les journalistes bénéficient d’une présomption de salariat dès lors qu’ils sont embauchés par un éditeur et sont, ainsi, souvent soumis aux directives d’un rédacteur chef. Cependant, en matière de droit d’auteur, le salarié reste titulaire des droits d’auteur sur son œuvre malgré le contrat de travail ce qui contraint l’employeur à devoir effectuer des cessions de droits d’auteur encadrées d’un lourd formalisme.
Cependant afin de rendre possible le travail des éditeurs de journaux et de leur éviter ce formalisme trop lourd, le Code du travail et la jurisprudence antérieure à la nouvelle loi, prévoyaient une cession automatique tacite en faveur de l’éditeur pour la première publication de l’article du journaliste. Ainsi, la première publication d’un article dans un journal par un éditeur ne nécessitait ni l’accord du journaliste, ni l’attribution d’une rémunération supplémentaire étant sous-entendu que la publication était rémunérée par le salaire versé au salarié.
Toutefois, cela impliquait que si un éditeur souhaitait publier une nouvelle fois un article sur un nouveau support, il était obligé de rémunérer le journaliste pour cette publication. A défaut il se rendait coupable d’une contrefaçon.
Ainsi l’éditeur, pour publier en toute légalité, devait savoir s’il s’agissait d’une première publication ou d’une publication secondaire, la deuxième devant être rémunérée.
Avec l’Internet, cette tâche s’est révélée ardue car en parallèle du journal papier, le même article est souvent publié sur le site web du journal. Cela voulait donc dire pour les éditeurs une augmentation de contrats de cession, des rémunérations supplémentaires et tout cela alors que le chiffre d’affaire de la presse écrite française ne cesse de décliner.
Ce sont pour ces raisons que la loi Hadopi a tenté de « simplifier » les choses et d’atténuer les contraintes qui pesaient sur les maisons d’éditions de journaux.

II – La réforme des droits d’auteur des journalistes par la loi Hadopi

Cette loi a ainsi créée 3 régimes dont la distinction repose sur la source de la publication, selon l’organe de presse qui diffusera l’œuvre du journaliste, cela aura des conséquences sur la rémunération et l’autorisation à requérir du journaliste.
Ainsi le premier régime est fixé par l’article L.132-37 du Code de la propriété intellectuelle qui prévoit que les droits d’exploitation de l’œuvre réalisée dans le cadre d’un titre de presse, quel qu’en soit le support, sont exclusivement cédés à l’employeur sauf si dans le contrat de travail, il existe une clause contraire. Ainsi le législateur a abandonné la distinction entre la première publication et les publications secondaires afin de parler de titre de presse. En conséquence, dès lors qu’un article a été écrit pour le compte d’un éditeur, ce dernier pourra l’exploiter sur tous les supports qu’il le souhaite sans avoir à verser une rémunération supplémentaire au journaliste auteur autre que son salaire. Néanmoins, cette cession globale n’est pas indéfinie car l’article L132-37 du même code prévoit que la durée de cette cession devra être fixée par un accord d’entreprise ou tout autre accord collectif. Aucun minimum ou maximum n’est fixé ce qui pourra causer des difficultés en l’absence de tels accords.
La définition de titre de presse est loin d’être évidente, car le texte de loi n’est pas très claire.
Ainsi il découle des nouveaux articles du code de la propriété intellectuelle que par titre de presse il faut entendre un organe de presse qui est à l’initiative de l’article écrit par le journaliste ainsi que toutes ses déclinaisons. Dans la pratique, cela évoque un groupe de presse comme par exemple le journal Figaro dont une des déclinaisons est le magazine Figaro Madame ou dès lors qu’un rédacteur en chef est commun à diverses structures.
Le second régime est déterminé par l’article
L132-38 qui prévoit que lorsque le délai prévu par l’hypothétique accord collectif visé à l’article L132-37 est dépassé, l’employeur doit verser, pour continuer à publier l’œuvre en question une rémunération supplémentaire, soit sous forme de salaire soit sous forme de droit d’auteur. Rappelons que la différence entre ces deux rémunérations est notamment d’ordre fiscale, en effet avec la rémunération sous forme de salaire, l’employeur doit payer des cotisations patronales relativement élevées contrairement au paiement de droits d’auteur.
Ce même article s’applique également lorsque l’œuvre est publiée non pas par l’éditeur sous lequel l’œuvre a été crée mais au sein du cercle de la même famille cohérente de presse. Que faut-il entendre par « famille cohérente de presse » ?  Là encore la loi renvoie à un accord collectif qui devra fixer la définition de cette notion. En ce qui concerne la famille cohérente de la presse, en l’espèce il s’agit d’un groupe qui englobe plusieurs titres de presse c'est-à-dire plusieurs journaux qui sont de nature différentes mais qui peuvent être liés par exemple par un accord d’entreprise.
Enfin, pour toutes les autres publications c'est-à-dire celles émises par des personnes tierces qui ne constituent pas la famille cohérente de la presse, c’est un retour au droit commun et donc au lourd formalisme imposé par l’article L.131-3 du code de la propriété intellectuelle. Ainsi, pour ce type de publication, l’accord du journaliste sera toujours requis et une rémunération complémentaire devra lui être versée.
La faculté de publier des articles sous forme de recueil est laissée aux journalistes. Néanmoins la loi du 12 juin 2009 est venue restreindre cette possibilité. Désormais, un journaliste pourra réunir ses articles afin de les publier à condition que les droits d’exploitation sur ces articles n’aient pas été cédés à des titres de presse et que cette publication ne fasse pas concurrence à ces mêmes titres de presse. De plus un nouvel article du code de la propriété intellectuelle vient renforcer cette limitation en précisant que dès lors qu’un journaliste est embauché sous un contrat de travail, les droits d’exploitation sur ces articles sont présumés cédés à l’employeur, peu importe si les articles sont publiés ou pas. En conséquence, le journaliste devra attendre la fin de la cession afin de pouvoir publier ces œuvres, ce qui représente une nouvelle contrainte pour le journaliste.

III – Les conséquences pratiques de la loi Hadopi

Tout d’abord, les notions de titre de presse et de famille cohérente de la presse visent à être précisées soit par la jurisprudence soit par les accords collectifs. À l’heure actuelle, la jurisprudence n’a appliqué la nouvelle loi que très peu de fois et les accords collectifs restent très rares.

Quelles sont les conséquences concernant la rémunération des journalistes ?
Pour la publication au sein d’un même titre de presse, le journaliste ne percevra que son salaire fixé par son contrat de travail. Cependant après une exploitation délimitée dans le temps, et si le titre de presse veut continuer à exploiter l’extrait au-delà du temps imparti, le journaliste sera en droit de percevoir une rémunération supplémentaire sous forme soit de salaire soit de droit d’auteur.
Pour la publication d’un extrait dans le cercle de la famille cohérente de la presse, il faudra attribuer au journaliste une rémunération supplémentaire et ce dès la 1ère publication au choix entre une paye de salaire ou de droit d’auteur.
Enfin et cela paraît logique pour les publications des œuvres hors toute famille cohérente de la presse, le journaliste devra percevoir une rémunération sous forme de droit d’auteur qui en principe doit être proportionnelle mais peut dans certains cas, prévus par la loi, être forfaitaire.
Cela constitue une grande différence avec le régime ancien étant donné qu’auparavant le journaliste était rémunéré dès la seconde publication de son article, peu importait le support sur lequel était publié l’article la deuxième fois. Désormais, le journaliste ne percevra plus de rémunération supplémentaire pour sa deuxième publication dès lors que l’article est publié dans le même titre de presse ; ce qui constitue un manque à gagner pour le journaliste par rapport au régime antérieur à la loi Hadopi. Son article pourra être publié plusieurs fois sans qu’aucune contrepartie financière ne lui soit versée.
Néanmoins, en l’absence d’accords collectifs, la durée de la cession n’est pas déterminée, ce qui a pour conséquence de créer une insécurité juridique. En effet, les éditeurs ne savent pas combien de temps ils peuvent utiliser les articles sans verser une rémunération supplémentaire à leurs salariés, et les journalistes peuvent se voir imposer des cessions d’une durée excessive pendant laquelle ils ne percevront pas de salaire additionnel. 
En conséquence, cette loi apparaît très clairement en faveur des éditeurs, elle leur simplifie les démarches et instaure un réel régime dérogatoire du droit d’auteur pour les journalistes.
Le problème de cette loi réside dans le fait que son application est subordonnée à la rédaction et mise en œuvre d’accord collectif or quelles seront les solutions si jamais les accords ne sont pas négociés ou si les négociations débouchent sur un échec. L’article L132-44 du code de la propriété intellectuelle prévoit une solution à ce problème : en effet, en cas de vide juridique, les syndicats professionnels auront la possibilité de saisir une commission qui aura pour objet qui négociera les modes de rémunération des journalistes. La Commission pour les droits d’auteur des journalistes a été instituée par un décret d’application en date du mois d’août 2010 et elle vient de rendre sa première décision en février 2012 qui n’apporte aucune précision aux questions soulevées par l’apparition des nouvelles notions.
Pour conclure, il est important de rappeler l’existence d’une période transitoire jusqu’au 12 juin 2012 pendant laquelle les accords régit par l’ancien régime en vigueur sont encore valables sauf s’ils sont dénoncés avant. Le délai passé, des nouvelles négociations devront être entamées, à défaut la commission pourra être saisie. Cependant la question se pose de savoir si aujourd’hui les journalistes doivent être rémunérés pour leur seconde publication en l’absence d’accords signés ? Cette question qui risque de provoquer de nombreux litiges devrait prochainement être tranchée par les juges…