L'IoT environnemental : un peu de théorie pour comprendre pourquoi ça marche

Comment la technologie que l'on appelle IoT environnemental est capable de substituer de la connaissance à de la consommation d'énergie et ainsi régler certain des enjeux de la ville durable.

"Si vous vous laissez glisser sur une rampe d'escalier, vous allez faire augmenter la température de votre postérieur en revanche ce n'est pas en vous chauffant les fesses que vous allez remonter la rampe." 

La glissade sur la rampe illustre assez bien le second principe de la thermodynamique. Si l’énergie ne se perd pas elle devient en revanche de moins en moins utilisable. C’est cette augmentation d’énergie inutile ou de chaleur que l’on nomme entropie.

Nous vivons une période de production massive d’entropie inducteur du changement climatique qui produit de la chaleur et de l’uniformisation. L’IoT environnemental, c’est le pilotage par de l’instrumentation capteurs des activités de gestion des ressources naturelles. Nous partageons dans cet article deux idées qui illustrent comment l’IoT environnemental peut contribuer au ralentissement de la production d’entropie.

La première est qu’il y a une équivalence entre énergie et information. C'est-à-dire qu’en apportant de la connaissance sur un objet, on crée en réalité de l’énergie disponible.

La seconde est que lorsque l’information est utilisée dans un processus de rétroaction (asservissement) alors on est capable de crée une technologie de l’intention ou de la finalité, qui peut permettre de s’extraire localement des lois entropiques.

Nous utilisons ici le terme information dans son sens étymologique « qui donne forme ». On parle donc ici uniquement d’information créatrice, constituée en connaissance qui peut produire un effet ou une action.

Le démon de Maxwell est capable de créé de l’énergie en produisant de la connaissance

En 1867 Maxwell propose une expérience « le démon de Maxwell » qui remet en cause le second principe de la thermodynamique. Il enferme un gaz dans une enceinte à deux compartiments séparés par une trappe. Il imagine un démon qui observe et commande la porte. L’ouverture de la trappe ne génère pas de frottements. Lorsque qu’une molécule chaude (rapide) de gaz du premier compartiment s’approche il ouvre la trappe pour la laisser passer et inversement. Le démon parvient ainsi à séparer les molécules froides des molécules chaudes.

© Greencityzen

Miracle, notre démon a créé une différence de potentiel entre les deux compartiments et donc une réserve d’énergie disponible. Le démon a donc réussi à réduire l’entropie du système sans aucun apport d’énergie extérieur ! C’est une remise en cause radicale du second principe de la thermodynamique qui nous permettrait de résoudre tous les problèmes de la ville durable.

Il a fallu plus d’un siècle pour que Landauer[1] lève le paradoxe de Maxwell en démontrant l’équivalence entre Information et Energie. Le démon a en fait apporté de l’information dans le système en observant la vitesse de chaque molécule du gaz. Il y a création d’énergie à partir de l’information introduite. L’information créatrice introduite par le démon de Maxwell a permis de réduire l’entropie du système. Si on considère que le démon de Maxwell peut être remplacé par un capteur connecté on perçoit bien l’intérêt de l’IoT pour la ville durable.

Le pouvoir de l’intention

Imaginons une nouvelle expérience. Lâchons tout d’abord une boule d’acier du haut de Notre Dame. Elle perd toute son énergie potentielle en s’écrasant au sol selon une trajectoire entièrement prédictible par son état initiale et les lois de la gravité. Lâchons maintenant une hirondelle du haut de cette tour…

En plus de la gravité l’hirondelle subie aussi la traction de son intention. Pour l’hirondelle les lois de la causalité se conjuguent avec celle de la finalité. L’hirondelle peut décider de maintenir son énergie potentielle en se posant sur un arbre.

L’intention ou la finalité est le propre des êtres vivants qui capte des signaux, les analysent et ajustent en permanence leur comportement en les asservissant sur cette intention. C’est cette boucle de rétroaction que l’on appelle le feedback. L’intention d’un mammifère peut être de maintenir sa température à 37 degrés, l’intention d’un tournesol de maximiser la captation des photons dans une journée.

De ce point de vue, l’IoT environnemental avec ses capteurs, ses capacités d’analyse et de rétroaction continu est le prolongement de cette capacité autorégulatrice du vivant aux ressources naturelles qui le font subsister. C’est le moyen de maintenir des équilibres fragiles grâce à des processus de rétroaction continus asservis sur des intentions.

Exemples d’applications dans la ville intelligente et durable

Pour illustrer les deux idées précédentes nous prendrons deux cas d’usage déployés pour la ville durable.

La métropole de Marseille déploie des capteurs dans le réseau d’eau pluvial afin de détecter la présence de déchets dans le réseau et éviter que ces déchets soient charriés vers la méditerranée. Les capteurs jouent ici le rôle du démon de Maxwell pour différencier les avaloirs du réseau à curer des avaloirs qui ne nécessitent pas de curage.

L’apport d’information permet donc de passer d’une situation uniforme (entropie maximale) à une situation différentiée (entropie réduite). Cette différentiation, ou différence de potentiel permet ici de réduire le nombre de tournées de curage ou bien les orienter vers une intention et ainsi créer du travail disponible dans un process vertueux de décarbonation.

L’information produite par le capteur puis transmise vers un organe de décision introduit de l’organisation (néguentropie) dans la population d’avaloirs ce qui autorise la prise de décision, la priorisation. La réduction d’entropie S du système peut même être calculée précisément.

© Greencityzen

Prenons maintenant le cas de l’arrosage des espaces vert. Pour rester à Marseille, étudions celui du parc de la vielle chapelle proche des plages du Prado. Jusqu’alors, la ville avait déployé un système d’arrosage automatique tel qu’il existe dans la plupart des espaces verts. Il est programmé au début de la saison et arrose selon un planning fixé à l’avance. Le système n'échange pas d’information avec son environnement. Au sens thermodynamique c’est un système fermé.

Un tel système n’a pas de capacité d’autorégulation pour faire face aux aléas : fuites des conduites, disfonctionnement des buses d’arrosage, chute de pression d’eau en amont ou bien aléas climatiques. L’ancien système d’arrosage du parc de la vielle chapelle a été remplacé en 2021 par un système « ouvert ». Ce nouveau système échange en continue de l’information avec son environnement (mesure de la réserve en eau disponible, de la pression dans les canalisations, des paramètres météo, du développement racinaire.). Des boucles de rétroaction lui permettent de s'auto adapter de façon continue et de réguler son comportement pour atteindre les intentions.

Dans ce cas les intentions fixées sont le développement racinaire, les économies d’eau, la détection des fuites et la maximisation de l’évapotranspiration lors des épisodes de canicule. L’échange d’information ainsi que les boucles d’intention réduisent localement l’entropie du système. Ceci se traduit par des économies d’eau très significative (60%) et de la réduction d’opérations de surveillance ou de maintenance carbonées.

La  ville intelligente et durable repose en partie sur des dispositifs capables de maintenir des équilibres fragiles tendus vers des objectifs écologiques d’économie de ressources, ou d’énergie. Les réseaux de capteurs de l’IoT environnemental sont les nouveaux démons de maxwell qui en produisant de la connaissance vont permettre d’économiser l’Energie, réduire les  déplacements carbonés ou la sur utilisation des ressources.

[1] Rolf Landauer, « Irreversibility and heat generation in the computing process », IBM Journal of Research and Development, vol. 5, no 3,‎ 1961, p. 183-191