Le livre numérique: un électron presque libre

Si le livre numérique constitue une "œuvre de la pensée et de la culture" au même titre que le livre "papier", il semble néanmoins trouver sa place bien en marge des réglementations établies du secteur de l’édition.

Dans le cadre de l'instruction fiscale du 12 mai 2005 (BOI 3-C-4-05), il n'a manifestement  pas été jugé utile de faire évoluer la définition de sorte qu'elle englobe, ou exclut expressément, le livre numérique de son champ d'application. La définition du livre demeure quasi-identique, marquant la volonté de ne pas inscrire le livre numérique dans le paysage de l'édition, soit "un ensemble imprimé, illustré ou non, publié sous un titre, ayant pour objet la reproduction d'une oeuvre de l'esprit d'un ou plusieurs auteurs en vue de l'enseignement, de la diffusion de la pensée et de la culture."

 

Ainsi, la place en marge du livre numérique de celle du livre "traditionnel" est implicitement confirmée.

 

L'impact est considérable.

 

En premier lieu, le livre numérique ne tombe pas, pour l'heure, sous le coup de l'application de la loi n°81-766 du 10 août 1981 dite "loi Lang". Dès lors, la politique de prix unique du livre selon laquelle chaque livre à un prix fixé par son éditeur ou importateur, prix qui s'impose aux détaillants, ne s'applique pas aux livres numériques.

 

Dans son avis n°09-A-56 du 18 décembre 2009, l'autorité de la concurrence souligne le "stade embryonnaire" du développement du livre numérique et juge primordial de ne pas mettre en place un cadre peut-être trop rigide qui pourrait nuire au développement du marché.

 

En second lieu, le taux réduit de TVA française de 5,5% n'est pas applicable à la vente de livres numériques, contrairement aux livres papiers.

En effet, bien que le dernier rescrit de l'administration fiscale en date du 15 septembre 2009[1], prévoit désormais que le taux réduit de la TVA est étendu à la fourniture de livres sur tout support physique du type cédérom et clé USB ; le téléchargement de livres par fichiers numériques reste soumis à la TVA au taux de droit commun (19,6%) dans la mesure où il constitue une prestation de service par voie électronique au sens du droit communautaire[2].

 

Seuls les rigoureux régimes du droit d'auteur continuent de s'imposer dans le contexte libéral du livre numérique et plus particulièrement des livres numérisés.

 

Ainsi, les candidats à la numérisation d'oeuvres de l'esprit existantes doivent obtenir des titulaires de droits, le plus souvent les éditeurs, une cession des droits d'auteur pour les exploitations sur les supports concernés. La cession devant a minima prévoir l'exploitation en format numérique pour des supports divers, sauf format propriétaire, à savoir les tablettes de lecture, les ordinateurs, smartphone, tablettes multifonctions...

 

En amont, les éditeurs devront, bien entendu, s'assurer que les clauses de cession de droits des contrats d'édition couvrent expressément l'exploitation sur ces supports. Bien entendu, plus le contrat est ancien, moins il y a de chances que ce type d'exploitation soit contractuellement prévu.

 

Dans cette hypothèse, il incombera aux éditeurs de conclure avec les auteurs concernés un avenant comportant une cession de droits conforme à l'article L.131-1 du code de la propriété intellectuelle visant expressément les supports concernés. Il n'est pas exclu, dans ce contexte que les opérateurs actifs dans le domaine du livre numérique, contactent directement les auteurs pour obtenir directement cette cession de droits.

 

Seuls les livres tombés dans le domaine public, en principe les livres d'auteurs décédés depuis plus de 70 ans, sont libres de droits. L'appréciation du domaine public requiert une double vigilance. D'une part, il convient de prendre en considération l'histoire liée à cette période afin de tenir compte d'éventuelles prorogations de guerre et d'autre part, il convient de vérifier la nature de l'oeuvre qui peut être composite, de collaboration, collective et modifier ainsi la durée du monopole des droits de l'auteur.

 

Enfin, le fait que les ouvrages soient tombés dans le domaine public ne permet pas pour autant toute liberté avec leur exploitation. En effet, reste le droit moral de l'auteur, inaliénable et imprescriptible, qui veille notamment au respect de l'intégrité de ses oeuvres.

 

Le livre numérique ne concerne pas seulement la numérisation de livres existants mais ouvre des perspectives nouvelles. L'oeuvre de l'esprit peut être conçue directement dans un format numérique sans qu'aucun exemplaire ne lui préexiste, elle peut impliquer le lecteur qui oriente l'histoire des chapitres suivants, elle peut s'arrêter en cours si elle ne rencontre pas le succès attendu...

 

A priori, les livres numériques soulèvent moins de difficulté au regard du respect des droits d'auteur. Il convient simplement de prévoir contractuellement les cessions appropriées.

 

Toutefois, l'évolution permanente des formats et, notamment le succès grandissant des livres participatifs, laisse présager l'émergence de nouveaux  contentieux autour de la titularité des droits d'exploitation de ces oeuvres.


[1]      Décision de rescrit du 15 septembre 2009 n° 2009/48 TCA.

[2]      L'article 98 § 2 de la Directive n° 2006/112/CE modifiée par la Directive n° 2009/47 CE du Conseil en date du 5 mai 2009 dispose en effet que les taux réduits de TVA ne sont pas applicables aux services fournis par voie électronique visés à l'article 56 § 1, point k (renvoyant à l'annexe II de la Directive qui fait référence à la fourniture par voie électronique d'images, de textes et d'informations et mise à disposition de bases de données).