Gilles Babinet (CNNum) "Enjeu politique majeur, l'open data fait l'objet de désaccords entre les partis politiques"

Le président du Conseil national du numérique critique l'archaïsme des stratégies web des candidats aux présidentielles et leur frilosité à affirmer leur positionnement sur les grands enjeux numériques.

JDN. Les candidats à l'élection présidentielle investissent petit à petit la Toile. Une raison d'espérer une vraie rupture dans les web campagnes ?

Gilles Babinet. Cette année, la communication des partis sur Internet sera moins forte qu'en 2007. Le responsable de la web campagne de François Hollande, Vincent Feltesse, revendiquait récemment gagner la course aux "hashtags", ce qui montre bien que la communication politique en ligne s'est déplacée sur Twitter et Facebook. Il est triste de constater que les réflexions sur les outils et plates-formes propres aux partis sont minces. Je pense d'ailleurs que ce n'est pas une question de budget, mais davantage un manque de volonté.

Quelle approche les candidats devraient-ils adopter pour leur campagne en ligne ?

Les dispositifs de web campagne doivent projeter l'image que chaque candidat se fait de la démocratie. Si en France on n'arrive pas à développer de dispositif participatif, c'est un signe de déficit démocratique. Nous devons rentrer dans un monde moderne, en créant par exemple des applications mobiles permettant de comparer des programmes ou encore des plates-formes de crowdfunding d'idées politiques. Si on fait participer les citoyens et qu'on les intéresse, leur engagement suivra mécaniquement. Je pense également que la data visualisation devrait être au cœur de la campagne. C'est un outil puissant qui permettrait d'appréhender des masses de données, que ce soit sur les retraites, les assurances, etc. Dans l'Etat américain de l'Indiana, certaines infographies ont eu un impact tel qu'elles ont entraîné la relocalisation de plusieurs commissariats.

Pensez-vous que les candidats en font moins sur Internet qu'en 2007 en raison de règles trop contraignantes pesant sur leur communication ?

A titre personnel, j'estime que l'autocensure à l'égard de la constitution de bases de données liée aux conditions édictées par la CNIL pourrait aboutir à une altération la qualité du débat démocratique. Aux Etats-Unis, il existe une réelle conscience citoyenne au regard de la netiquette qui permet une autorégulation du système par les internautes et donc une régulation moins forte de l'Etat. De ce fait, la collecte de données pratiquée par les partis politiques est mieux acceptée et il n'y a pas de problème d'abus. Julius Genachowski (le dirigeant de la Federal Communications Commission, ndlr) me disait qu'aux Etats-Unis, la logique est de passer dans un premier temps par l'autorégulation, puis si nécessaire par l'intervention de l'Etat.

Les candidats ont-ils pris conscience des enjeux du numérique ?

Je suis heureux de voir qu'ils ont pris acte de l'importance de la thématique. Mais dans le détail, se gargariser par exemple du potentiel de l'open data est risible. L'open data constitue un enjeu politique majeur et donc un objet de désaccords entre les partis. Imaginez que l'on puisse dévoiler les vraies données fiscales ou encore des données sur la performance des enseignants... Si c'est pour faire comme une grande ville française qui a publié le nombre et l'emplacement de ses arbres, cela ne sert à rien. L'esprit de l'Ancien Régime est un ennemi du numérique ! Mais certains ont à l'inverse joué le jeu, comme Arnaud Montebourg dans son département.

En bref, le numérique est une transformation qui a des conséquences sur l'ensemble de l'Etat, raison pour laquelle je souhaiterais que les candidats se positionnent plus précisément sur le sujet, et ce sans dogmatisme. Par exemple, au Conseil national du Numérique, nous pensons que le financement de l'innovation devrait faire plus appel au privé et que celui des réseaux doit être probablement un peu plus imputé aux collectivités territoriales. Reste aux partis de se positionner.

Quels seront les chantiers du Conseil cette année ?

Nous allons nous positionner sur des enjeux culturels. Est ce que Hadopi doit disparaître au profit d'un meilleur dispositif ? Si oui, lequel ? L'évidence, c'est que le piratage deviendra marginal le jour où l'offre légale sera plus conséquente et performante. Si Megaupload a existé, c'est qu'il n'y avait pas d'offre légale de qualité. Par exemple, il n'y a pratiquement pas d'offre de VoD. Pourtant, beaucoup d'innovations sont possibles dans ce domaine comme par exemple dans le web social ou grâce à des générateurs de similarités etc.

Le numérique est également un champ d'investigation artistique qui, en tant que tel, doit rentrer dans les prérogatives du ministère de la Culture et de la Communication. Nous considérons enfin l'université comme un facteur majeur de compétitivité à l'égard du numérique et nous travaillons d'ailleurs à l'élaboration d'une conférence rassemblant des entreprises et des universités, organisée à l'Elysée. 

Serial entrepreneur avant tout, Gilles Babinet fonde Escalade Industrie l'âge de 22 ans, en 1989. En 1991, il en fonde une seconde start-up baptisée Groupe Absolut, qu'il revend neuf ans après à Euro RSCG. Cette même année, il fonde Musiwap rebaptisée par la suite Musiwave qu'il revend en 2006 à Openwave pour 139 millions de dollars. Il fonde par la suite plusieurs sociétés comme Eyeka, Mxp4, Digibonus ou encore Captain Dash. Gilles Babinet pilote aujourd'hui plusieurs sociétés et est un business angel actif. Il est élu président du Conseil national du numérique le 27 avril 2011.