Edouard Barreiro (UFC Que Choisir) "La question du numérique n'est pas assez posée dans la campagne présidentielle"

Le directeur des études de l'association de consommateurs fait part de ses attentes auprès des candidats à la présidentielle en matière d'économie numérique.

Qu'attendez-vous des candidats à l'élection présidentielle en matière d'économie numérique ?

"Orange gagne trop d'argent en louant son réseau cuivre"

Nous avons proposé un pacte de consommation aux candidats dont un axe spécifique sur le numérique, qui comprend des propositions concernant la manière d'organiser la transition vers l'accès généralisé à la fibre optique. Orange gagne aujourd'hui trop d'argent en louant son réseau cuivre et ces fonds ne sont pas réinvestis au profit de la fibre. Selon différentes estimations, la France aurait besoin de 3 à 15 milliards d'euros pour couvrir le territoire en très haut débit mais ces développements ne sont pas dans l'intérêt de France Télécom, qui préfère maintenir des tarifs trop élevés de la boucle cuivre.

Comment inciter les FAI à investir dans les infrastructures fibre ?

Il faut instaurer un mécanisme reposant sur une baisse du tarif réglementaire de la boucle cuivre pour redistribuer la différence au profit du déploiement des infrastructures. Dans les faits, le coût pour un opérateur louant le réseau de France Télécom est de 9 euros par foyer. Si ce tarif descend à 5 euros, les 4 euros restant peuvent alors être réinvestis. Dans les zones déjà couvertes par la fibre comme à Paris, il faudrait que ce prix de 9 euros soit supérieur et donc trop cher pour les opérateurs de manière à les pousser à développer les infrastructures et les offres d'abonnements à la fibre.

Faut-il envisager une fusion entre le CSA et l'Arcep ?

Une fusion entre le CSA et l'ARCEP est très problématique et j'y suis opposé à titre personnel. Ces deux acteurs ne poussent pas la régulation dans le même sens et l'Arcep doit rester indépendant pour conserver notamment sa qualité d'observateur. Si une telle fusion se produit, on risque de rentrer dans le schéma britannique où l'Ofcom défend davantage la création audiovisuelle et est trop peu courageuse quant aux décisions relatives aux télécommunications. Une telle situation dans l'Hexagone conforterait le pouvoir dans son soutien trop prononcé à la création, notamment auprès des sociétés d'ayants droit. Et j'estime que ces organismes ne se comportent pas de manière rationnelle.

Quels sont les biais au développement des offres légales de musique et de vidéo en ligne que vous constatez ?

"Nous nous dirigeons vers une fin de l'exception culturelle française"

Le monde de la création culturelle doit se rendre compte qu'il doit prendre le virage du numérique s'il souhaite continuer à exister. Or il vit à court terme car il cherche avant tout des revenus. Au final, l'industrie du disque s'est vendue à Apple et nous nous dirigeons vers une fin de l'exception culturelle française. La priorité est donc la généralisation de l'accès aux catalogues pour les sociétés désirant développer des offres légales sur Internet. Cela peut se faire en créant par exemple un guichet unique de gestion de droits comme c'est le cas dans le monde de la radio.

Propositions qui seraient fortement contestées par les sociétés des ayants droit...

Oui mais ces dernières ont des activités qui sont contestées, comme le souligne chaque année la Commission permanente de contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits. Elles sont économiquement opaques et dans une situation monopolistique, raison qui pousse à remettre à plat leur gouvernance. Soit on considère que la Sacem est reconnue d'intérêt général et est alors strictement encadrée, soit il faut la mettre en compétition avec d'autres sociétés de gestion notamment quant à leurs frais de gestion mais également quant aux garanties proposées aux artistes, comme la présence sur les plates-formes comme Deezer ou Spotify. Car l'unique alternative à Hadopi réside non seulement dans la licence globale mais également dans une offre légale de qualité, qui passe donc par une distribution généralisée.

Vous parlez de musique mais qu'en est-il du cinéma ? La mort de Megaupload a-t-elle réellement eu un impact bénéfique sur le développement des offres légales ?

En ce qui concerne la VoD, il faut avant tout remettre à plat la chronologie des médias. Il est anormal que l'offre de location à l'acte soit alignée sur les dates de sorties des DVD tandis qu'il faille attendre au mieux trois ans après la sortie en salle d'un film pour le visionner dans le cadre d'un abonnement mensuel à une plate-forme de VoD.

La fermeture de Megaupload a peut-être eu un impact mais il n'est qu'éphémère dans la mesure où il y a trop de lacunes en termes d'offres légales.

Quel message souhaitez-vous ainsi adresser au corps politique ?

"La culture n'est plus un levier électoraliste"

Le monde de la culture est trop proche du monde politique. Il a ainsi trop de crédit auprès des candidats alors que dans les faits, la culture n'est plus un levier électoraliste. Les candidats ont malheureusement trop peur de rentrer en conflit avec les artistes et leurs représentants. La question du numérique n'est pas assez posée dans cette campagne à l'image de l'absence de mesure ambitieuse profitant à une idée d'un Internet social.

Titulaire d'un doctorat en économie obtenu en 2005 à l'Université de Nice-Sophia Antipolis, Edouard Barreiro est spécialisé en développement industriel. Il débute sa carrière au CNRS et rentre à l'UFC Que Choisir en mai 2007 où il est alors chargé de mission dans le secteur des technologies de l'information et de la communication. Il prend ensuite la direction du service des études et est également en charge des questions numériques.