Première mise en œuvre du droit à l'oubli sur les moteurs de recherche

Par une ordonnance de référé du 16 septembre 2014, le Président du Tribunal de grande instance de Paris vient de donner effet, pour la première fois, aux principes relatifs au droit à l'oubli posés par la Cour de Justice de l'Union européenne en mai dernier.

Le droit à l'oubli sur les moteurs de recherche vient de connaître une première application en France après l'arrêt de principe rendu par la Cour de Justice de l'Union européenne ("CJUE") le 13 mai 2014. Chacun se souvient qu'avec cet arrêt, la CJUE a considéré que l'exploitant d'un moteur de recherche – en l'occurrence Google – devait être considéré comme un responsable de traitement de données à caractère personnel et, en tant que tel, était tenu de supprimer les données traitées relatives à une personne physique sur simple demande de cette dernière.
Ce principe dit de "droit à l'oubli", qui n'existe pas de manière aussi nette dans les directives communautaires adoptées à ce jour ni dans la loi Informatique & Libertés du 6 janvier 1978, permet ainsi à tout un chacun de demander à Google de dé-référencer des sites internet dont le contenu leur cause préjudice.
Bien que l'arrêt de la CJUE ait soulevé davantage de questions qu'il n'ait apporté de réponse, Google a rapidement mis en place un formulaire permettant aux internautes de solliciter la désindexation de certains contenus. Ce formulaire a connu un grand succès et les équipes de Google ont pu paraître légèrement débordées par le nombre de demandes, ce qui explique un délai de traitement parfois un peu long. Or que se passe-t-il si Google ne répond pas à une demande ou refuse de supprimer un lien vers un contenu qui lui a été signalé ?
C'est la question qui était soumise au Président du Tribunal de grande instance de Paris, saisi en référé, qui devait se prononcer sur les demandes de trois personnes physiques qui avaient été victimes de diffamation (reconnue par la justice) et qui se plaignaient du fait que les propos jugés diffamatoires se trouvaient encore en ligne. Les demandeurs avaient vainement sollicité de Google qu'elle supprime les liens vers ces sites de la liste des résultats de son moteur de recherche.
Les demandes des trois plaignants étaient expressément fondées sur l'arrêt de la CJUE du 13 mai 2014. Le Juge des Référés devait donc dire si le principe posé par la Cour pouvait concrètement trouver application en droit interne. La réponse est positive. Au terme d'une motivation (trop) succincte, le Juge a relevé que les propos litigieux avaient effectivement été jugés diffamatoires, qu'ils étaient reproduits dans le moteur de recherche de Google et que les sites qui les diffusaient étaient accessibles depuis les résultats du moteur par lien hypertexte.

Malheureusement, le débat n'a guère porté sur l'effectivité du droit à l'oubli

Il est exact que, s'agissant d'une procédure de référé, le Juge n'a pas à se prononcer sur le fond du dossier. Il doit seulement vérifier si la demande qui est formée devant lui est légitime eu égard aux dispositions de l'article 809 du Code de procédure civile, qui lui permettent de mettre fin à un trouble manifestement illicite.
Google France a donc été enjointe de supprimer les liens concernés sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard.
L'on retiendra également que le Juge des Référés a jugé l'action recevable contre Google France, alors même que cette société n'est pas l'exploitante du moteur de recherche. Le Juge a considéré, en s'appuyant également sur l'arrêt de la CJUE, que Google France était représentante en France de Google Inc., société de droit californien, et que, par conséquent, elle pouvait être destinataire d'une telle injonction tout en n'étant pas elle-même stricto sensu le responsable du traitement.
Si la reconnaissance d'un droit à l'oubli sur internet constitue à n'en pas douter un progrès sur le plan des libertés individuelles, le juriste rigoureux qui sommeille en chacun d'entre nous peut légitimement attendre qu'une décision au fond se prononce de manière peut-être un peu plus fine sur les conditions de son exercice.