Philippe Bigot (Havas Media) "Les volumes d'impressions sur Netflix sont très insuffisants"

Le directeur du département vidéo (multiscreen) chez Havas Media nous livre en exclusivité ses impressions sur Netflix, après avoir testé l'activation d'une dizaine de campagnes pour de grands annonceurs français.

JDN. Vous avez déployé une dizaine de campagnes chez Netflix. Quel est votre retour d'expérience ?

Philippe Bigot est directeur du département vidéo (multiscreen) chez Havas Media. © Havas Media

Philippe Bigot. Les volumes d'impressions qui nous ont été servis sont très insuffisants : ils ont été divisés par deux voire par trois dans certains cas par rapport à ce que nous avions convenus avec eux comme ticket d'entrée pour ces premières campagnes. A ce stade du moins, Netflix n'arrive pas à livrer le nombre d'impressions attendues pour des tickets d'entrée somme toute très restreints qu'ils nous ont fait vendre à nos clients. Des tickets de l'ordre de 20 000 à 30 000 euros selon le format par campagne sur les deux derniers mois de l'année. Eux seuls pouvaient nous donner cette recommandation, car eux seuls peuvent simuler l'évolution de leur nombre d'abonnés à leur offre financée par la publicité.

Comment expliquer ces volumes si bas ?

Leur offre se constitue au fur et à mesure de l'arrivée des nouveaux abonnés, c'est un fait. Mais il faut également considérer l'offre en tenant compte de la totalité des agences et des annonceurs qui s'y sont positionnées ainsi que des arbitrages qu'ils ont dû opérer entre les campagnes en fonction de leur date de début et de fin. Vu le nombre d'impressions livrées, on peut déduire que leur offre ne prend pas assez rapidement auprès des Français. Mais nous ne disposons pas de ces données.

A quelles données avez-vous accès ?

Nous disposons uniquement des données de campagne basiques d'un reporting programmatique : nombre d'impressions livrées par jour et par device. La moitié des impressions ont été livrées sur grand écran, ce qui m'a surpris car je m'attendais à beaucoup plus. Nous n'avons même pas leur nombre d'abonnés à cette offre. Or, nos clients nous le demandent, ils veulent savoir si cette offre a rencontré son public et quel type de public. Tout l'engouement pour Netflix au départ répond en grande partie à un besoin d'aller toucher une population qu'on ne retrouve plus ou peu sur la télévision. Nous n'avons aucune idée du profil type des audiences touchées, juste de suppositions issues de notre expérience.

"La moitié des impressions ont été livrées sur grand écran, ce qui m'a surpris car je m'attendais à beaucoup plus"

Vous ne pouvez pas savoir sur quel type de contenu les campagnes ont été affichées ?

Non. Nous sommes sur une rotation générale sur la totalité du catalogue avec possibilité d'exclure des contenus selon des critères de brand safety. Aucun critère de ciblage n'est proposé pour l'instant, mais c'est prévu pour début 2023. Sur le reporting, nous ne disposons par conséquent d'aucune information sur le type d'audience exposée aux campagnes.

Comment analysez-vous ces résultats vis-à-vis des contraintes et du prix qu'ils vous imposent ?

Netflix impose de nombreuses contraintes. L'inventaire se vend uniquement à travers le DSP Xandr. Deux formats seulement sont possibles : instream pre-roll et mid-roll de 15 et 30 secondes. Et surtout le modèle de vente est au coût pour mille impressions (CPM) sans qu'aucun segment de ciblage ne soit proposé. C'est vraiment du tout-venant. Impossible de filtrer par critère sociodémographique, habitude d'écoute, type de programme, etc.. Et ce à un prix vraiment prohibitif de 49 euros pour le spot de 30 secondes et de 39 euros pour le spot de 15 secondes. Il nous fallait déjà être très tolérant face à ces conditions, d'autant que la seule information dataïsée à laquelle nous avons accès relève du capping (une exposition par heure et quatre dans la journée). Face à ces contraintes, et surtout à ces tarifs, il est important que la situation évolue rapidement.

"C'est vraiment du tout-venant. Impossible de filtrer (...). Et ce à un prix vraiment prohibitif"

Est-ce décevant ?

Dans toute offre ou levier émergeant, il est normal qu'au démarrage on achète un peu à l'aveugle. Il faut aussi considérer qu'il s'agit d'une innovation et que cela peut exiger des étapes et une construction progressive dans le temps. Dans ce type de projet, il y a toujours un écart entre ce qui est annoncé et la réalité opérationnelle. Si nous sommes déçus, c'est surtout parce que cela n'avance pas suffisamment vite : ils mettent longtemps à réussir à livrer nos impressions. En revanche concernant l'absence de la data, ce n'est pas une surprise, on le savait dès le départ. La déception sera réelle si en 2023 les choses n'évoluent pas aussi vite que nous l'espérons : il nous faut de la data pour le ciblage et des données précises d'audience.

Qu'attendez-vous de Netflix maintenant ?

Nous attendons des données d'audience certifiées par un tiers de confiance, en l'occurrence Médiamétrie. Nous attendons également de la part de Netflix des données qualitatives et quantitatives sur leur offre et sur les possibilités à venir. Il faut également qu'ils révisent leurs tarifs pour se rendre plus réalistes à la fois à l'égard de ce qui se pratique sur le marché français et de leur potentiel. En deux mots, il faut que l'offre soit à la hauteur de l'ambition qu'ils ont annoncée au départ et le plus vite possible. Nous étions très moteurs et excités face à cette opportunité de toucher chez Netflix des contacts supplémentaires. Malgré les conditions et les prix imposés par Netflix, une dizaine de nos annonceurs des secteurs bancaire, automobile, parfum, accessoires sportifs et du retail sont venus spontanément. Nous sommes sûrs que Netflix et Xandr, étant des challengeurs dans le digital, sont conscients de nos besoins et feront évoluer la situation. La seule question pour nous est : quand ? Une attente d'autant plus pressante que leur tarif est très élevé.

"Une dizaine de nos annonceurs des secteurs bancaire, automobile, parfum, accessoires sportifs et du retail sont venus spontanément"

Que conseillez-vous à vos annonceurs ?

Nous savons que la télévision perd en durée d'écoute et surtout auprès des plus jeunes et qu'il y a moyen de récupérer ces contacts perdus en télévision linéaire à travers différentes plateformes vidéo, dont Netflix. Nous devons par conséquent y aller mais pas à n'importe quel prix et conditions.

Comptez-vous activer de nouvelles campagnes sur Netflix à partir de janvier ?

Nos annonceurs qui n'ont pas pu tester Netflix cette année veulent le faire en 2023. En revanche, ceux qui l'ont déjà testé seront sans doute plus exigeants avant d'y revenir. Il y aura une période d'inertie où de nouveaux annonceurs voudront tester. Mais sur le long terme, les annonceurs français ne pourront pas raisonnablement continuer d'accepter de payer aussi cher le prix du contact qui plus est sans aucune data.