Et revoilà la ritournelle de l'internalisation des achats médias

Faut-il internaliser ses achats médias digitaux ? Cette question revient sur le devant de la scène tous les trois ans. Procter & Gamble franchit (enfin) le pas.

L’annonce a fait l’effet d’une bombe. Mi-février, Procter & Gamble a affirmé sa volonté d’internaliser le pilotage de ses achats médias digitaux en France d’ici cet été. Une séquence commencée dix ans plus tôt et qui montre que la bascule in house de ses activités digitales n’est pas forcément un chose aisée. Alors que penser de cette annonce du troisième plus gros annonceur en France ? Va-t-elle faire effet boule de neige ?

Trois observations :

·       Ne sont concernés que les investissements médias digitaux, soit qu’une infime partie du budget média de P&G qui est lui massivement tourné vers l'offline. Notons d’ailleurs que  le media planning et la production créative semblent historiquement épargnés par ces dynamiques d’internalisation.

·       Quelques gros annonceurs avaient déjà franchi le Rubicon comme Air France ou Club Med, notamment sur le volet programmatique, sans créer non plus une vague de mimétisme en France.

·       Dans ce genre d’opération, l’internalisation concerne bien souvent uniquement le run des campagnes ; les annonceurs continuant à collaborer avec les agences sur des problématiques potentiellement plus orientées data ou stratégie.

© Oliver Wyman / SRI / UDECAM

I. Pourquoi Internaliser ?

De manière cyclique, la problématique de l’internalisation revient sur la table. La dernière fois, c’était en 2019 avec quelques gros annonceurs qui avaient fait le choix de piloter le programmatique in house en prenant en direct des sièges auprès de DSP leaders. Dans leur sillage, certains cabinets de conseil ont lancé leur offre d’accompagnement à l’internalisation. De là à scier la branche sur laquelle ils étaient assis ? Pas vraiment, puisque c’est aussi un bon moyen de rester dans l’écosystème du client qui fera appel à vous en cas de besoin.

Alors pourquoi de plus en plus d’annonceurs, comme Meilleurtaux d’ailleurs, font le choix de l’internalisation des ressources et du pilotage média ? Trois raisons me semblent prédominer.

1 - La connaissance métier : Si il y a dix ans, il y avait un vrai gap de culture et d’expertise entre les agences et les annonceurs, celui-ci tend à s’atténuer grâce à une forte montée en maturité sur le digital de ces derniers. Conséquence, pour se démarquer et avoir des campagnes performantes, il ne suffit plus simplement d’être un bon technicien de sa solution, mais il est désormais primordial d’être expert de son marché. Preuve en est, avec la simplification de la plateforme Google Ads, il devient de plus en plus facile de lancer des campagnes ; mais pour tirer son épingle du jeu dans des univers fortement concurrentiels comme le crédit, il vaut mieux bien maîtriser les spécificités du marché hypothécaire.

2 - La maîtrise des coûts : Pendant longtemps, certaines agences ont prospéré sur la non-maturité des annonceurs pour facturer parfois de manière démesurée des prestations ou en y intégrant des coûts cachés. Que l’on se rappelle des OI avec des réductions de 90% ou la situation de certains annonceurs qui n’avaient pas accès à leur compte et donc à leur investissement.. Depuis la loi Sapin II est passée par là et avec une prise de conscience que plus de transparence ferait un bien fou à notre écosystème. En internalisant le pilotage de leur campagne, certains annonceurs font ainsi le choix d’une meilleure maîtrise des coûts et espèrent ainsi réaliser une économie en bout de course. Au bout d'un certain montant d'investissement, l'équation est la suivante : vaut-il mieux payer 10% d'investissement média une agence sur mon budget annuel de 2 millions d'euros ou recruter en interne ?

3 - La réactivité :  A moins de travailler avec des prestataires en régie, lorsqu’un annonceur collabore avec des agences, les consultants sont la plupart du temps multiclients. Ce qui est naturellement une richesse en termes d’expertise mais qui peut aussi être une limite sur le temps passé sur chacun des comptes à gérer. Ainsi, pour gagner en réactivité et en focus, les annonceurs peuvent prendre le parti de l’internalisation des achats médias. Avoir des collaborateurs dédiés in house permet évidemment une meilleure acculturation au produit et process internes, mais aussi une meilleure prise sur les dynamiques business. Pour les start-up qui ont besoin d’aller vite, ça n’a pas de prix.

II. Les limites du modèle

Si de plus en plus d’annonceurs semblent franchir le pas en internalisant une partie ou la totalité du pilotage de leur achat média, c’est encore loin d’être la norme. Beaucoup de grosses entreprises défendent le modèle de la juste répartition : à eux la connaissance métier et aux agences l’expertise technique... quand d’autres font même machine arrière après une tentative d’internalisation qui n’a pas été couronnée de succès.

Pour quelles raisons ce modèle annonceur-agences reste péréenne ? Il y a à mon sens trois facteurs majeurs:

1 - L’expertise : L’agence met à disposition de l’annonceur bien entendu son expertise technique, mais également l’ensemble des cas clients qu’elle a eu à adresser sur des problématiques similaires. Cette approche par capillarité est évidemment hyper stimulante puisque l’on imagine assez aisément qu’un dispositif gagnant en lead generation télécom pourrait l’être aussi en lead generation assurance par exemple. 

A l’inverse, pour les annonceurs qui ont fait le choix de l’internalisation, le risque est de penser uniquement en vase clos. De manière à prévenir cet effet, la bonne approche est d’échanger avec ses pairs et confrères.

2 - La souplesse : La construction d’une équipe digitale in house impacte directement la ligne masse salariale de l’entreprise, là où le recours à de la prestation sera vue comme du budget marketing. Et c’est loin d’être anecdotique surtout en temps de crise. La preuve avec ce qui se passe aujourd’hui où l’on assiste à des plans de licenciement massifs chez les GAFAM de manière à montrer patte blanche auprès des investisseurs. Pas sûr en revanche que les budgets marketing soient autant impactés. En passant par des agences, les annonceurs jouissent ainsi d’une plus grande souplesse dans leur stratégie digitale. L’exemple le plus parlant reste la séquence confinement de 2020 qui a vu la quasi-totalité des annonceurs couper leurs investissements et ainsi obliger bon nombre d’agences à mettre au chômage partiel leurs consultants.

https://fr.statista.com/infographie/29182/plus-gros-licenciements-entreprises-secteur-tech-gafam/

3 - Les ressources humaines : Le marché de l’emploi digital est évidemment tendu pour l’ensemble des acteurs. Passer par une agence peut être une bonne manière de répondre à cette pénurie de talents. Quelques cas de figure : pour les annonceurs qui ont des problèmes structurels de recrutement (locaux mal desservis, secteurs d’activité peu attractifs…) ; qui souhaitent pallier un départ en attendant l’arrivée du remplaçant ; qui ambitionnent d’aller rapidement et n’ont pas le temps de construire une équipe interne ; ou en encore ceux qui ont des problématiques digitales spécifiques qui ne requièrent pas un temps plein sur le sujet…

Soyons modestes, il n’y a pas de modèle parfait et les mouvements de balancier entre ces deux tendances semblent assez fréquents. L’arrivée des IA génératives devrait d’ailleurs jeter une nouveau pavé dans la marre.

Je prends le pari que certains annonceurs y verront une aubaine pour internaliser/uberiser même la production de contenu et l'exercice créatif ; quand d’autres y verront la nécessité de travailler avec des cabinets spécialisés pour essayer d’en tirer le maximum de valeur. Rendez-vous dans trois ans pour en reparler ?