Le retour en force du gré à gré ? Pas tout à fait !

Le retour en force du gré à gré ? Pas tout à fait ! Les analyses annonçant le retour du gré à gré au détriment du programmatique sont à nuancer, les gains des éditeurs aussi.

2022 est-elle vraiment l'année du retour en force du gré à gré au détriment du programmatique et du garanti au détriment de l'open auction, comme beaucoup le laissent entendre ? Et si c'est vraiment le cas, la commercialisation en mode direct représente-t-elle un véritable gain pour les éditeurs et les annonceurs ? Dans les deux cas, les réponses sont à nuancer.

Le dernier Observatoire de l'ePub indique un "net ralentissement de la croissance du programmatique au profit du gré à gré" notamment au deuxième semestre de 2022. Ce dernier a représenté 41% des recettes display l'année dernière, contre 59% pour le programmatique, soit une hausse de 21% comparé à 2021. Même si cette évolution est significative, voire spectaculaire, il serait prématuré d'y voir une tendance structurelle et générale ne serait-ce que parce que c'est la première fois que cela se produit depuis de nombreuses années : la part du gré à gré pour la commercialisation du display n'a pas cessé de baisser avant 2022, passant par exemple de 54% en 2018 à 37% des montants négociés en 2021. Avant de parler d'un retour en force du gré à gré, il vaudrait mieux attendre de voir comment les annonceurs vont se comporter cette année.

Le vrai et la faux gré à gré

Mais il y a aussi une autre raison à ce besoin de prudence : les chiffres de l'Observatoire n'intègrent pas seulement les recettes déclarées par les régies ; ils tiennent également compte des investissements réalisés par les agences sur l'open web. Or, une partie des ordres d'insertion que les agences passent auprès de réseaux publicitaires externes spécialisés (par exemple en ciblage contextuel, ciblage intentionnistes ou en vidéo outstream, etc.) sont en réalité activés par ces derniers en programmatique, en mode managed. Résultat : l'opération achetée en programmatique auprès d'une sélection d'éditeurs ou dans l'open auction est considérée comme étant du direct basé sur un ordre d'insertion manuel (et donc comptabilisée comme du gré à gré), quand en réalité elle aussi emprunte un cheminement automatisé avec les intermédiaires de la chaîne programmatique.

"Dans ce cas, plus d'OI signés, même s'ils donnent à penser à des opérations de gré à gré, ne génèrent pas de meilleurs revenus pour les éditeurs parce qu'ils impliquent des intermédiaires qui achètent en open auction via le header bidding, lui-même en stagnation", analyse Grégoire Gaffié, directeur de la monétisation de Reworld Media. "Il faut vraiment distinguer le gré à gré du managed. Si on considère uniquement le périmètre des  recettes déclarées par la vingtaine de régies du SRI, la part du programmatique est en réalité restée stable en 2022", atteste Paul Ripart, directeur commercial programmatique et data chez Prisma Media.

Certes, cela n'empêche pas certaines régies, prises individuellement, d'enregistrer des hausses sur le gré à gré, ce qui est remarquable dans un contexte de décélération des investissements liés à la conjoncture économique et sécuritaire en Europe. Chez Media Figaro, où le poids du gré à gré sur les recettes de publicité digitale est de l'ordre de 40%, une tendance à la hausse de ce canal s'observe depuis 2020. En 2022, les recettes en gré à gré ont évolué de 7%. "Les raisons à ce regain d'intérêt sont multiples : le contexte que nous vivons et la montée en puissance des sujets RSE poussent les annonceurs à s'associer davantage aux marques médias de confiance qui contribuent à leur réputation et qui savent les accompagner dans leurs stratégies de plateforme de marque. C'est une tendance chez nous fortement portée par les opérations de brand content assurées par 14H", commente Karine Rielland Mardirossian, directrice générale déléguée digital chez Media Figaro.

Prisma Media a vu elle aussi son gré à gré, qui correspond à 20% des recettes, enregistrer une augmentation de 10% en 2022, mais ce mouvement n'est pas encore analysé comme un changement de cap structurel. Pour ce qui est de Reworld Media, la régie déclare ne pas avoir observé de changements significatifs dans les répartitions entre gré à gré et programmatique en 2022.

Voilà pour la tendance. Maintenant pour les gains : le publisher est-il vraiment gagnant quand il commercialise ses inventaires en gré à gré ?

Nul doute que oui, si on ne prend en compte que les valeurs absolues : sans intermédiaires il est logique que la majorité du budget affecté par l'annonceur à l'achat média finira entre les mains de l'éditeur. "Il y a en effet très peu de déperdition : pas des frais à payer aux DSP parce qu'on est en direct et des frais d'ad serving quasiment nuls. La différence comparé à l'open auction en programmatique est énorme : en open auction on laisse facilement 20% pour payer le SSP, sans parler des frais des plateformes d'achat assumés par les annonceurs, de 20% généralement également. Et comme en gré à gré les marques économisent les frais de DSP, souvent ces montants sont investis en achat média", détaille Paul Ripart.

Mais cette stratégie a priori très intéressante (y compris pour la maîtrise à 100% des annonceurs autorisés à s'afficher chez ses médias) a des limites. Pour l'éditeur, elle ne garantit pas toujours le volume : "Il existe en tout 2 000 annonceurs en France qui font du gré à gré en tout et pour tout. En programmatique, mon inventaire peut être sollicité par 2 000 annonceurs par jour ! L'échelle n'est pas la même", en convient Paul Ripart pour qui le gain de temps dans la conquête d'annonceurs grands et petits est évidente en programmatique. De même pour l'annonceur, le programmatique représente un gain de productivité et de visibilité globale sur un capping unifié tous médias confondus qui n'a pas de commune mesure. Au lieu de disposer d'une vision fragmentée par ordre d'insertion il peut via le programmatique piloter ses KPI de campagne sur l'ensemble des éditeurs et régies. On voit bien que le coût de l'intermédiation du programmatique sert à délivrer de la valeur.

Quant à la montée en puissance en 2022 du programmatique garanti, sorte de gré à gré automatisé, comme mode d'achat de prédilection notamment pour les formats les plus qualitatifs, beaucoup d'analystes l'attribuent à la volonté des annonceurs de disposer de plus de transparence et de maîtrise du cadre de diffusion. "Les annonceurs sont beaucoup plus matures en programmatique. Ils recherchent davantage le mode garanti et les deals pour mieux maîtriser le cadre de diffusion de leurs campagnes, ce qui n'est pas possible en open auction", atteste Karine Rielland Mardirossian, en précisant que la part du programmatique garanti a bondi de 20% en 2022 chez Media Figaro.

Mais ce n'est pas la seule explication. L'essor très marqué du programmatique garanti cette dernière année est aussi le fruit de la politique tarifaire de Google, qui cherche à favoriser ce mode de commercialisation auprès des acheteurs pour justement attirer les investissements du gré à gré classique vers le programmatique, selon l'analyse d'une source qui a souhaité rester anonyme. "Dans l'ad serving en gré à gré, Google ne prend qu'une infime participation alors qu'en programmatique garanti, même en baissant radicalement ses frais comme il l'a fait, il facture bien davantage", explique cette source. On comprendra mieux pourquoi en une seule année, en 2022, les investissements réalisés en programmatique garanti ont explosé de 23% passant de 8% à 11,5% des volumes négociés en programmatique sur près de 500 sites de l'open web, selon la photographie réalisée par le Baromètre du programmatique de l'Alliance Digitale.