Didier Pouillot (Idate) "Les opérateurs ne pourront pas revenir sur les forfaits d'abondance"

A la veille du Digiworld Summit 2011, dont le JDN est partenaire, le directeur de la practice "Economie des Télécoms" de l'Idate analyse les marges des opérateurs, la progression des MVNO et la stagnation de la fibre en France.

JDN. Comment expliquez-vous l'accélération de la prise de part de marché des MVNO cette année ?

Didier Pouillot. Ce succès montre que certains pans de marché étaient jusqu'ici inoccupés par les opérateurs. On disait le marché mobile français en retard par rapport à ses voisins. Ce retard est en train de se combler. D'une part, les MVNO ont baissé le prix d'entrée sur le mobile, le rendant accessible à des populations qui ne pouvaient pas payer 20 euros par mois. D'autre part, le phénomène du multi-équipement – lorsqu'un utilisateur a deux cartes sim, voire deux mobiles - se développe assez rapidement, notamment au profit des MVNO. Le taux de multi-équipement – nombre de cartes sim par utilisateur effectif de mobile - est désormais de 1,35 en France contre 1,7 en Italie, où il n'est pas rare que les utilisateurs aient 3 ou 4 abonnements mobiles. En outre, les 10 % de part de marché que viennent de dépasser les MVNO en France ne comptent pas les licences de marque, comme par exemple M6 Mobile sur le réseau Orange.

La croissance des MVNO va-t-elle continuer ?

Les MVNO proposent des offres attractives sur des niches. Lorsque ces niches atteignent une taille suffisante, les opérateurs installés y vont. C'est par exemple ce qui s'est passé au Danemark. Les MVNO ont représenté jusqu'à 25 % de part de marché il y a quatre ans, puis les opérateurs installés ont repris le dessus. Soit en proposant des offres concurrentes, soit en rachetant des MVNO et en intégrant leur offre. Aujourd'hui, les opérateurs virtuels ne représentent plus que 7 % de part du marché mobile danois.

Plus largement, la France est plutôt en avance par rapport à la représentation des MVNO. En Italie et en Espagne, c'est normal, ces acteurs sont plus récents que chez nous. Quant au Royaume-Uni et à l'Allemagne, les MVNO sont au dessous des 10 % de part de marché.

Quelle est votre analyse de la baisse des marges des opérateurs ?

Pour expliquer les difficultés des opérateurs et la diminution de leur marge, on a mis en avant le contexte de crise, qui effectivement apporte une pression supplémentaire. Mais même si le trafic voix mobile stagne voire diminue légèrement, le mobile fait maintenant partie des dépenses que l'on considère comme de première nécessité : elles sont peu compressibles et les populations à faibles revenus sont aussi consommatrices de ces services. Il n'empêche que les opérateurs se montrent désormais plus prudents et réduisent leurs investissements. Or cette situation n'est pas tenable sur le moyen et long terme, car le marché va exiger d'augmenter les capacités des réseaux fixes et surtout mobiles.

Les opérateurs sont donc pris en tenaille entre, d'une part, la dynamique de trafic et les volumes de téléchargement en forte hausse, qui nécessitent de nouvelles capacités, en particulier via le LTE et la fibre, et d'autre part des revenus et des niveaux de marge mécaniquement contraints par la façon dont le marché s'est organisé aujourd'hui.

Que vont-ils faire ?

Il sera difficile de revenir sur les forfaits d'abondance, maintenant ancrés dans les esprits. On peut par contre revenir en arrière sur la discrimination en fonction du débit grâce à l'arrivée du très haut débit. On peut aussi imaginer du paiement à l'acte pour les services premium du type VOD ou TV à la demande. C'est une possibilité pour les opérateurs. A eux de garnir leur catalogue de droits vidéo. Enfin, ils peuvent également jouer sur la qualité de service, c'est-à-dire le débit et la garantie du débit. C'est d'ailleurs aussi là-dessus que les opérateurs peuvent jouer face à Google, qui ne maîtrise pas les éléments de réseau.

Les opérateurs ne se pressent pas pour déployer la fibre, ni les utilisateurs fibrés pour s'y abonner. Qu'est-ce qui pourrait faire décoller le marché ?

Le développement ne sera pas tiré par les usages. Nous scrutons différents marchés étrangers où la fibre s'est développée, mais les usages n'ont jamais constitué un facteur de développement. Au Japon, aux Etats-Unis, en Corée, cela a toujours été des facteurs concurrentiels ou règlementaires. Au Japon, NTT avait besoin de retrouver du souffle sur le haut débit et s'est tourné vers la fibre, aidé en cela par une réglementation permettant de déployer la fibre en aérien.

La particularité de la France est l'extrême modernité de notre réseau haut débit traditionnel, en particulier ADSL, avec des débits relativement élevés. Cette situation est d'ailleurs le contrecoup de notre retard sur le téléphone il y a 40 ans. D'où un besoin peu marqué – et peu ressenti par l'utilisateur – pour un débit plus important.

La fibre ne décollera-t-elle donc jamais en France ?

Le jour où nous aurons un écran dans chaque pièce et besoin de diffuser en HD sur chacun d'eux, l'ADSL n'y suffira pas. Mais à mon sens, le multi-écran sera le seul facteur de développement lié aux usages. Comme dans les autres pays, ce seront plutôt des facteurs réglementaires et concurrentiels qui feront décoller la fibre. Par exemple, Numericable est parti très en avance sur la fibre, les autres opérateurs vont être obligés de réagir, pour ne pas se laisser trop distancer. On observe d'ailleurs depuis six à neuf mois un rattrapage de leur part de marché par rapport à Numericable. Des obligations plus contraignantes pourront également être imposées par les pouvoirs publics ou par Bruxelles.

Didier Pouillot, diplômé de l'Essec en 1982, débute sa carrière au sein du cabinet de conseil B.I.P.E. Il rejoint l'Idate en 1996 et prend la tête du département d'analyse industrielle. Il est aujourd'hui directeur de la practice "Economie des télécoms" de l'Idate.