Joseph Lubin (ConsenSys) "En France, ConsenSys a déjà tokénisé pour environ 30 millions de dollars d'actifs immobiliers"

Le cofondateur d'Ethereum évoque les derniers projets de sa société ConsenSys et nous livre sa vision de la finance décentralisée, à l'occasion de la conférence DLD20 à Munich.

JDN. Depuis sa création en 2014, ConsenSys a dû revoir sa stratégie. Sur quels types de projets êtes-vous désormais focalisés ?

Joseph Lubin est le CEO de ConsenSys. © Zaza Weissgerber

Joseph Lubin. Nous travaillons sur différents projets au sein du secteur de la finance décentralisée, notamment autour de la digitalisation d'actifs. En France, nous aidons par exemple le fonds d'investissement Mata Capital à tokéniser ses actifs immobiliers. Nous avons déjà tokénisé pour environ 30 millions de dollars de leur portfolio et travaillons actuellement sur des projets similaires à Dubaï. Nous tokénisons également des infrastructures, comme par exemple à Hong-Kong où nous collaborons avec la société Link REIT pour des panneaux solaires. Nous travaillons également sur des systèmes de paiement. Aux Etats-Unis, nous aidons par exemple les entreprises du secteur du cannabis légalisé qui rencontrent parfois des difficultés à faire du commerce en raison des différences de législations entre les Etats mais aussi au niveau fédéral. Certaines banques se montrent ainsi frileuses. Notre système de paiement est donc intéressant pour ces entreprises que les banques considèrent comme un risque. 

Plus généralement sur Ethereum, quels produits ou technologies sont à surveiller en 2020 ? 

Nous observons différents projets dédiés à la confidentialité des transactions grâce à des protocoles baptisés zero knowledge proof (ZKP) qui permettent de rendre confidentielles certaines informations, telles que la source ou la destination d'une transaction. Cela permet par exemple à des entreprises de masquer un prix ou de ne pas rendre publiques certaines informations dans le cas où elles ne souhaiteraient pas que d'autres organisations soient au courant de cette transaction. Différentes sociétés travaillent sur ces protocoles, à l'instar du cabinet d'audit et de consulting EY qui a développé une plateforme permettant aux entreprises d'opérer des transactions confidentielles sur Ethereum. 

L'autre secteur en plein boom est celui de la finance décentralisée. Parmi les nombreux projets : des systèmes de paiements mais également des systèmes permettant de réaliser des emprunts, d'émettre des actions, de tokéniser des actifs immobiliers... Les marchés prédictifs font aussi partie de cet écosystème. Le nombre de projets dans cet écosystème de la finance décentralisée est en pleine explosion.

Que pensez-vous de l'émergence des stablecoins et de leur future utilisation ?

Même si les bitcoin et les ether sont parfois utilisés comme des monnaies, ce sont avant tout des utility tokens (jetons utilitaires, ndlr) qui ont été créés pour apporter de l'utilité au protocole. Le Dai de MakerDAO est une forme stable et non volatile de l'ether. Les stablecoins se montrent donc très utiles pour échanger de l'argent ou payer pour des éléments tokénisés. Et aujourd'hui, de plus en plus de choses le sont : actifs immobiliers, droits de propriété, actions et obligations, diamants, marchandises authentifiées...

Que pensez-vous de Libra alors que beaucoup d'entreprises telles que Visa, Mastercard ou Stripe, ont annoncé leur retrait du projet ? 

Je pense que si Facebook n'était pas associé à Libra, le projet n'aurait probablement pas rencontré autant de difficultés. Mais tout le monde sait que Facebook est derrière ce projet et que les membres de l'association Libra travaillent étroitement avec Facebook. Je n'ai, à titre personnel, aucun problème avec Facebook, qui est une plateforme que j'utilisais autrefois mais que j'utilise moins maintenant. Je ne pense pas que les collaborateurs qui y travaillent soient mauvais mais il existe néanmoins des conséquences négatives au produit qu'ils ont créé.

"Je ne pense pas qu'une entreprise devrait avoir le pouvoir de créer ce qui est, in fine, une monnaie"

Facebook a développé une technologie qui lui confère trop de pouvoir. L'entreprise est capable de nous comprendre mieux que nous ne nous comprenons nous-mêmes et d'exploiter toutes les informations personnelles que nous leur donnons. La plateforme exploite notre attention et sait comment nous rendre addictif. Je ne pense pas qu'une entreprise devrait avoir le pouvoir de créer ce qui est, in fine, une monnaie. L'une des raisons est que cela donnerait à Facebook beaucoup d'informations sur notre identité personnelle en lui donnant accès à ces informations financières. 

Quel impact aura le développement de stable coin et autres crypto-monnaies sur Wall Street à votre avis ?

Les gens de Wall Street sont très intelligents et ont toujours su s'adapter au fil des années et des différentes générations de technologies. D'une manière générale, les organisations qui continuent de s'adapter et d'accueillir les nouvelles technologies s'en sortiront bien, à l'inverse de celles qui préfèrent faire l'autruche en se mettant la tête dans le sable.

Autre sujet important pour ConsenSys en 2020, la sortie probable de la version 2.0 d'Ethereum. En quoi consiste-t-elle ? 

 Cette version sera 500 fois plus scalable et sera déployée en trois phases. La première - phase zéro – marque le passage d'un algorithme d'un système de validation par preuve de travail (proof of work) à la preuve d'enjeu (proof of stake). La phase 1 permettra d'améliorer considérablement le volume de données pouvant être traitées par rapport à Ethereum 1.0. Enfin, la phase 2 sera dédiée à l'exécution pour que les programmes qui fonctionnent sur Ethereum 1.0 puissent être exécutés sur Ethereum 2.0 tout en permettant le fonctionnement d'autres types de programmes. Ces deux dernières phases devraient être lancées d'ici la fin d'année ou début 2021.

Qui seront les gagnants et les perdants de la révolution blockchain ?

Idéalement, les perdants de ce Web 3.0 seront les organisations très centralisées. Les gagnants seront, je l'espère, beaucoup de petites organisations mais aussi des personnes qui pourront interagir en utilisant un système de confiance et objectif, plutôt que d'utiliser des infrastructures subjectives. Ces réseaux collaboratifs nous permettront de mieux contrôler notre identité ainsi que nos différents actifs.

Pensez-vous qu'une entreprise issue du secteur blockchain puisse atteindre la taille d'un Google ou d'un Facebook dans les prochaines années ?

Je l'espère. Mais je ne peux pas prédire l'avenir.

Joseph Lubin est l'un des cofondateurs d'Ethereum et le fondateur de ConsenSys, une entreprise créant des solutions et des technologies sur la bockchain Ethereum. L'entreprise combine plusieurs activités : développement de solutions, investissements, consulting, incubation de start-up... Avant de travailler sur Ethereum, Joseph Lubin était vice president of technology dans la division private wealth management de Goldman Sachs. Il est diplômé en electrical engineering et computer ecience de l'université de Princeton.