Le secteur crypto français prospère pendant la crise

Le secteur crypto français prospère pendant la crise Coinhouse, Ledger ou encore Just Mining enregistrent des croissances inattendues depuis deux mois. Mais le confinement n'est pas forcément le seul facteur de cet engouement.

Et les valeurs refuge de la crise liée au coronavirus sont l'or... et les cryptomonnaies, dont la star est le bitcoin. Même si le cours de ce dernier n'a pas atteint les sommets de fin 2017 (il avoisinait les 20 000 dollars contre 8 500 aujourd'hui), les volumes d'échange ont explosé ces dernières semaines dans le monde. Le 19 mars dernier, l'exchange américain Coinbase a par exemple processé plus de 2 milliards de dollars de volumes. Le secteur crypto français profite aussi de cet engouement généralisé. "Les acteurs en contact avec le grand public, c'est-à-dire les brokers et les exchanges, voient une augmentation de leurs volumes. On constate un intérêt renouvelé pour la crypto en France", confirme Simon Polrot, président de l'Association pour le développement des actifs numériques (Adan). "Les acteurs BtoB ont, eux, plus de mal", ajoute-t-il.

Le broker Coinhouse en est le parfait exemple. "La croissance a été particulièrement forte durant le premier trimestre 2020 et elle s'est accentuée à la fin du trimestre", témoigne son directeur général Nicolas Louvet. "Et la situation s'est prolongée en avril", ajoute-t-il, sans dévoiler les volumes exacts. Selon le courtier, le nombre de visiteurs uniques a été multiplié par deux ces derniers mois sur la plateforme, le taux de conversion s'est amélioré et les activations ont augmenté de 30%. Les activations correspondent aux comptes créés qui ont réalisé une transaction dans le mois suivant.

Le nombre de visiteurs uniques sur le site de Coinhouse a été multiplié par deux

 

"Les gens viennent avec une vraie intention d'achat alors que d'habitude, ils regardent les marchés, cherchent un point d'entrée et prennent un délai avant d'acheter", indique Nicolas Louvet, qui précise que 80% des opérations sont des ordres d'achat. Le montant moyen a quant à lui augmenté de 10% ces trois derniers mois pour atteindre 1 500 euros. Le jeune exchange français Deskcoin, qui n'est pas entièrement ouvert au public, est aussi en forme. Habituellement, la plateforme processe environ pour 150 000 euros de bitcoins par mois. Aujourd'hui, c'est près d'un demi-million. Même constat chez Paymium, français lui-aussi, qui parle d'une "belle croissance" depuis mars sans donner plus de précisions.

Une maîtrise de la production en France

Le spécialiste de la sécurisation des cryptomonnaies Ledger n'est lui non plus pas touché par la crise. "Le business a été très bon au premier trimestre et le mois d'avril est encore meilleur. On est sur une croissance à deux chiffres qui se rapproche même des trois chiffres depuis le début de l'année", se félicite Pascal Gauthier, CEO de Ledger. Son produit phare, le Ledger Nano, sorte de clé USB qui permet de conserver en toute sécurité ses cryptomonnaies, tire la majorité de cette croissance. "Quand les Etats-Unis ont annoncé le confinement, nos ventes ont beaucoup augmenté", précise Pascal Gauthier, qui évoque des dizaines de milliers d'unités. Ledger a pu assurer sans mal l'envoi de ses produits grâce à son usine de Vierzon (Cher). "Comme on a fait le choix de rapatrier une partie de la production en France et que nous avions aussi décidé de garder la partie livraison en interne, cela nous a permis d'assurer la continuité du business, de la production à la vente en ligne", raconte le dirigeant.

"Quand les Etats-Unis ont annoncé le confinement, les ventes de Ledger ont beaucoup augmenté"

Moins grand public que Coinhouse ou Ledger, Just Mining tire aussi son épingle du jeu depuis le début du confinement. Cette société basée à Florange propose des solutions pour investir dans le secteur (machines pour valider des transactions sur le réseau blockchain, noeuds de réseau, immobilisation d'une quantité de cryptomonnaies en échange de récompenses…). Son chiffre d'affaires a été multiplié par trois en mars par rapport à février et encore par trois en avril. "Nous comptons deux à trois fois plus de nouveaux clients mensuels et les historiques commandent plus que d'habitude", se réjouit Owen Simonin, son patron.

Facteur crise ou facteur halving ? 

Cet appétit pour les cryptomonnaies n'est pas une grande surprise pour les principaux concernés. "A chaque crise financière, le bitcoin reprend tout son sens", constate Owen Simonin. "Les gens veulent se réfugier. Ils voient le bitcoin comme une réserve de valeur et de la liquidité qu'ils peuvent retirer à tout moment. Ils ont compris qu'il ne faut pas mettre tous les oeufs dans le même panier", complète-t-il. "Le bitcoin a été moins impacté que d'autres actifs depuis le début de la crise. Il a quasiment récupéré le prix d'avant mars. Le discours martelé depuis un moment par l'écosystème à savoir que le bitcoin est une valeur refuge ou une valeur alternative a fini par porter. Les gens se disent que c'est l'occasion d'en acheter", renchérit Simon Polrot.  

Mais comme toujours dans le monde des crypto, il est difficile d'isoler un facteur, en l’occurrence le confinement, pour comprendre l'engouement du moment pour le secteur. Une autre raison pourrait expliquer cette croissance : le halving. Cet événement, qui doit se produire le 11 mai, va diviser par deux la récompense des mineurs. Comme pour les deux derniers halving (qui arrivent environ tous les quatre ans), les volumes d'échange de cryptomonnaies augmentent avant la fameuse date étant donné que l'offre va se raréfier. "Le halving peut être un driver de volumes et un thème de communication pour bitcoin en général", note Pierre Noizat, CEO de Paymium. 

La combinaison de trois facteurs, à savoir le confinement, le halving et la crise financière, pourrait bien expliquer la bonne santé du secteur. "Je ne sais pas si c'est la combinaison de ces trois événements, ou si c'est l'un des trois. Ou juste une engouement pour les crypto. En tout cas, beaucoup de gens se disent qu'avoir un peu de bitcoin n'est pas une mauvaise idée en ce moment de crise. On ne sait pas trop combien un euro ou un dollar vaudra demain", élude Pascal Gauthier. Demain, c'est aussi la grande inconnue pour le bitcoin, et pas seulement pour sa valeur : une fois le déconfinement arrivé, les consommateurs continueront-ils à s'intéresser à ce point à leurs finances personnelles ? Rien n'est sûr dans le monde des crypto.