MaaS : les assureurs accélèrent pour s'emparer du sujet

Alors que le MaaS a pour ambition de réunir dans une même application différents services de mobilité et d'offrir un canal de paiement unique à ses utilisateurs, son développement représente un défi de taille pour les assureurs.

Principalement urbain, le MaaS (Mobility as a Service) répond à des enjeux importants d’accessibilité à la mobilité liés notamment à une urbanisation en forte croissance. En agrégeant des solutions de transports peu émettrices de gaz à effet de serre, il favorise aussi les modes de transport propres, qu’ils soient publics ou privés, et l’optimisation de leur taux d’utilisation. Le MaaS participe ainsi à l'organisation d'une alternative durable au véhicule individuel généralisé.

A l’échelle urbaine en France, les formes les plus abouties du MaaS émergent sous l’impulsion de collectivités de taille moyenne comme à Saint-Etienne ou Mulhouse. Ces dernières, en partenariat avec Transdev, ont lancé des offres regroupant un large spectre de services de mobilité. Sur le territoire francilien, la RATP a été chargée par Ile-de-France Mobilités de la création d’une application de MaaS regroupant l’ensemble des modes de déplacements. Si des expérimentations ont été lancées, cette application ne sera pas ouverte au public avant 2021. A l’échelle nationale, la SNCF a lancé en juin 2019 son "Assistant SNCF", un agrégateur de mobilités permettant de réserver des billets de train à travers la France en intégrant aussi des services de VTC et taxis.

Parmi les nombreux acteurs composant cet écosystème complexe, on trouve également des opérateurs de transport individuel, des constructeurs automobiles, mais aussi des acteurs majeurs du numérique, l’émergence du MaaS s’apparentant à une transformation digitale de la mobilité. Google Maps intègre désormais un calculateur d’itinéraires multimodal et semble en position de devenir un facilitateur de ce nouveau marché. Cet ensemble d’acteurs très hétérogènes rend nécessaire la mise en place de partenariats pour favoriser le développement du MaaS, et conduit à l’émergence de nouveaux défis.

La gouvernance de la donnée, cruciale pour la réussite des projets

Prérequis au MaaS, le partage de données pose la question de la conciliation des objectifs de nombreuses parties prenantes (autorités organisatrices de la mobilité, opérateurs, prestataires techniques, usagers, etc.), parfois antagonistes. En France, la Loi d’Orientation des Mobilités (LOM) du 24 décembre 2019 prévoit "l’ouverture des données nécessaires au développement de services numériques de mobilité" pour de nombreux acteurs de la mobilité, publics et privés, à partir du 1er janvier 2022. En encadrant le partage des données liées à la mobilité, cette loi vise aussi à les ordonner en un bloc cohérent et simple à exploiter pour toujours disposer de données actualisées et ainsi favoriser l’émergence de nouvelles offres de MaaS.

L’enjeu de gouvernance de la donnée est donc crucial pour les acteurs de premier plan de cet écosystème, mais aussi pour faciliter l’intégration d’acteurs issus d’un périmètre plus large. C’est notamment le cas des assureurs, dont l’accès aux données est indispensable, à la fois pour calculer le niveau de risque et le montant à indemniser. Ainsi, l’enjeu data est double pour les assureurs : il pose la question de l’accessibilité des données par le biais de la plateforme MaaS et de l’exploitation des dites données pour tarifier l’offre MaaS, la tarification des assurances se basant aujourd’hui avant tout sur les modes de transport plutôt que sur les personnes.

Des enjeux réglementaires et commerciaux de taille pour les assureurs

Pour accéder à cet écosystème, les assureurs sont également confrontés à d’autres défis, en premier lieu liés à l’évolution des besoins assurantiels. La bascule de la propriété du bien automobile vers la location ou le partage à l’usage et l’utilisation croissante des nouveaux moyens de mobilité urbaine refaçonnent déjà les modèles d’assurance et sont souvent accompagnées d’évolutions réglementaires. L’apport du MaaS accélèrera sans doute ces tendances ou en créera d’autres, accentuant la pression sur les acteurs du secteur.

Les assureurs seront aussi soumis à un enjeu commercial fort, les parts de marché des acteurs traditionnels faisant face à l’émergence inévitable de nouveaux concurrents pour intégrer l’écosystème du MaaS. Des assurtech bien sûr, mais aussi des experts numériques plus à l’aise pour traiter la masse de données liée aux mobilités ou des solutions tout en un directement proposées sur la plateforme, au risque de voir les assureurs relégués au rang d’assistant technique et de payeur, sans emprise sur la relation client.

Le choix de l’expérimentation pour s’emparer du sujet

Face à ces défis, les acteurs de l'assurance ont fait le choix de l’expérimentation pour participer au processus de construction du MaaS et intégrer son écosystème.

En 2018, certains acteurs lançaient déjà des initiatives en ce sens, tels que la Matmut avec son contrat auto 4D proposant une réduction tarifaire aux assurés complétant leur mobilité par un autre mode de transport urbain. Pour aller plus loin, les assureurs s’entourent aussi de start-up et tentent de construire leur propre écosystème. C’est par exemple le cas d’Allianz France, qui lançait fin 2018 un partenariat avec Toyota Tsusho Europe pour accélérer des projets de start-up sur les nouvelles mobilités.

Néanmoins, passer du stade de l’expérimentation au déploiement à l’échelle d’une ville nécessitera certainement pour les assureurs de maitriser la chaîne de mobilité dans son ensemble avec une politique de tarification adaptée au MaaS. Dans le cas de la plateforme Moovizy à Saint-Etienne, Allianz France couvre pour le moment certaines "briques" de mobilité : le service d’autopartage et celui des vélos en libre-service, avec ou sans assistance électrique. 

L’expérimentation constitue un premier pas important pour les assureurs, mais leur capacité d’innovation et de prise d’initiative doit encore être renforcée pour ne pas subir les transformations à venir. En l’absence de point de repère dans ce paysage en construction, tout l’enjeu pour les assureurs sera d'oser suffisamment pour s'insérer de manière pérenne dans l’écosystème du MaaS.

Par Pierre Couet et Hugues Charbonnier, consultants Colombus Consulting