Comment la France a séduit le Web3 mondial (et c'était pas gagné)

Comment la France a séduit le Web3 mondial (et c'était pas gagné) Longtemps considéré comme anti-crypto, l'Hexagone fait désormais figure de tête d'affiche en Europe. L'intérêt de Binance et l'arrivée de Crypto.com en sont la preuve.

"Nous voulons que la France soit le hub européen de l'écosystème des crypto-actifs". Cette phrase n'est pas celle d'un influenceur crypto, du PDG d'une licorne française du secteur ou d'un mineur de bitcoins. Elle a été prononcée par le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, dans un entretien accordé à nos confrères de BFM ce lundi 18 octobre 2022.

La citation du ministre peut surprendre au vu de ses déclarations ces dernières années ("Les cryptomonnaies posent un vrai problème de financement du terrorisme", notamment). Cependant, lorsque l'on est observateur en coulisses, ce n'est pas une surprise. L'écosystème français a tout fait pour réconcilier le monde politique avec le secteur des actifs numériques, notamment grâce aux travaux de l'Association pour le développement des actifs numériques (Adan). Nous avions d'ailleurs interviewé sa présidente, Faustine Fleuret, l'an passé.

Si tout est loin d'être réglé, la volonté politique est réelle. Une volonté que l'on ajoute à un cadre juridique assez clair. C'est d'ailleurs ce qui a convaincu la plateforme d'échange singapourienne, Crypto.com, d'établir à Paris son futur siège social européen.

Un cadre juridique établi

Le PSAN, un statut strict mais clair pour le Web3

C'est en matière de fiscalité que les premières dispositions liées aux cryptos ont été prises, dès la loi de finance 2018. Avec une flat tax de 30 % et deux faits générateurs d'imposition, la fiscalité est désormais claire, du moins pour les particuliers. Cependant, l'Etat a voulu aller plus loin.

Marqué par le bull run de 2017-2018 et les nombreuses arnaques de cette époque, le législateur a souhaité créer un statut spécifique, le PSAN (Prestataire de Services sur Actifs Numériques). Délivré par l'Autorité des Marchés financiers (AMF), c'est un enregistrement obligatoire pour les entreprises françaises et les entreprises étrangères qui veulent être promues auprès du public français lorsque, notamment, elles permettent l'échange de cryptomonnaies.

Bien qu'il soit novateur, puisque c'était le premier statut de ce type pour le secteur Web3, le PSAN a été vu comme un boulet par l'écosystème. C'est ce qui ressortait des travaux de l'Adan en début d'année. Depuis, beaucoup de choses se sont améliorées, avec notamment un temps de traitement moyen des dossiers passé de 18 à 6 mois.

En revanche, ce qui n'a jamais changé, c'est la clarté du statut PSAN. Tous les acteurs savent que ce sont les dispositifs de sécurité et de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) qui seront contrôlés en priorité par l'Autorité de Contrôle prudentiel et de Résolution (ACPR). De même, chacun sait s'il doit obligatoirement l'obtenir ou non. Le PSAN a d'ailleurs été repris dans le règlement européen MiCA.

MiCA, consécration du droit français à l'échelle européenne

Mi-octobre, le Parlement européen a définitivement adopté le règlement MiCA et la modification du règlement TFR. Si certaines dispositions font grincer quelques dents dans le secteur, c'est le premier cadre juridique clair du Web3 pour un territoire aussi vaste et important. Et on le doit, en partie, à la France.

Tout d'abord, c'est au moment de la présidence française de l'Union européenne, au premier semestre 2022, qu'ont eu lieu les discussions les plus importantes et l'adoption de la version définitive des deux règlements. Il y avait donc une volonté politique claire que la France soit derrière la future réglementation européenne applicable aux crypto-actifs.

En outre, une partie des dispositions européennes s'inspire des françaises. Nous pensons bien entendu au CASP (Crypto-asset service provider), le PSAN européen. D'ailleurs, la France a poussé pour que les PSAN français enregistrés ou agréés au moment de l'entrée en application de MiCA en 2024 puissent obtenir plus facilement le PSAN européen.

Enfin, c'est aussi la France qui a poussé pour une exclusion de la finance décentralisée (DeFi) de la future réglementation. En résumé, une bonne partie du futur droit européen applicable aux actifs numériques s'inspire directement ou indirectement de la France.

Or, l'expérience française en matière de cryptos pourrait jouer lorsque les grands secteurs devront établir un siège européen. L'annonce mi-octobre de Crypto.com est donc une demi-surprise et elle suit la création en France d'une SAS par Binance à l'automne 2021.

La nouveauté : un soutien politique

D'une longue période de défiance mutuelle…

Bien que le droit français soit clair depuis un moment et que le droit européen s'en inspire, il restait tout de même un problème de taille : le soutien politique. En effet, malgré des discours positifs de temps à autre ou le combat en faveur du secteur de l'ancien député de Paris Pierre Person, il y avait clairement un problème de communication entre l'écosystème et les politiques.

Le point d'orgue a été lors de l'automne 2020. Tout d'abord, un réseau terroriste syrien, se finançant en partie en coupons bitcoin vendus en bureau de tabac, a été démantelé. Ensuite, le professeur Samuel Paty a été assassiné. A priori, il n'y a aucun lien entre les deux. Pourtant, le gouvernement va prendre en quelques semaines plusieurs décrets et ordonnances visant le financement du terrorisme. Parmi eux, l'ordonnance du 9 décembre 2020.

En présentant cette ordonnance, Bruno Le Maire a explicitement lié crypto-actifs et financement du terrorisme, sans y mettre les nuances nécessaires. S'en est suivie une levée de boucliers de l'écosystème crypto. L'ordonnance a durci les conditions d'obtention du PSAN et a bloqué les banques, qui n'acceptaient plus l'ouverture d'un compte bancaire aux PSAN français.

L'année 2021 a été une longue période de défiance entre les politiques et l'écosystème crypto, dont beaucoup ont envisagé de partir à l'étranger. Certains ont même franchi le pas.

… à une volonté d'attirer les gros du secteur

C'est l'élection présidentielle de 2022 qui a tout changé. D'une part, l'Adan a souhaité interroger les candidats sur leur vision envers les actifs numériques et leur programme. D'autre part, durant l'entre-deux tours, Emmanuel Macron a fait part de sa volonté de faire de la France une place forte du Web3.

Résultat, le gouvernement d'Elisabeth Borne remet au goût du jour le ministère chargé du Numérique, avec à sa tête Jean-Noël Barrot. Plutôt pro-crypto, le ministre jouit d'une très bonne relation avec l'Adan et œuvre pour faire de la France une place forte du secteur. Que met-il en avant ? Le cadre juridique clair du pays ! Cette vision positive a attiré le géant Binance, qui a prévu des investissements dans le secteur français, Crypto.com et certaines rumeurs annoncent l'arrivée de Coinbase, au moins comme l'un des prochains PSAN.

Dans son interview, Bruno Le Maire est allé encore plus loin, en se positionnant sur les NFTs et la finance décentralisée. Il souhaite que la France soit pionnière pour l'un comme pour l'autre. Si les actes suivent les paroles, on peut être très optimiste sur l'avenir du Web3 en France.