Menacé par le Data Act, le Web3 européen se serre les coudes

Menacé par le Data Act, le Web3 européen se serre les coudes Les acteurs de l'écosystème crypto et Web3 s'adressent aux législateurs de l'UE dans une lettre ouverte. En cause, une mauvaise définition de ce que sont les smart contracts

Le règlement européen sur les données, ou Data Act, soumis à une ultime négociation technique ce lundi 19 juin, inquiète les acteurs de l'industrie du Web3 et des cryptomonnaies, dont Ledger et Coinhouse, entre autres champions européens. En effet, alors que le règlement MiCA - célébré à travers le monde comme le premier cadre réglementaire clair et compréhensif - publié au Journal officiel de l'Union européenne le 9 juin dernier, ne transcrit aucune définition légale des smarts contracts, le Data Act, lui en propose une.

Et c'est bien ce qui pose problème. Car ce que le Data Act nomme smart contract n'a que peu à voir avec les smart contracts déployés sur des blockchain publiques comme Ethereum. Le règlement sur les données n'a d'ailleurs pas vocation à encadrer les pratiques liées aux cryptomonnaies - c'est le rôle de MiCA. Son objectif principal est de réglementer l'accès et l'usage des données produites par les objets connectés (IoT) sur le territoire de l'Union européenne.

"Le texte a le potentiel de changer fondamentalement l'industrie des cryptomonnaies"

Ainsi, dans l'éventualité d'une adoption du Data Act tel quel, la compréhension juridique des smarts contracts se retrouverait entérinée et, pour leur malheur, bien éloignée de celle qu'en ont les acteurs de l'industrie du Web3. S'il est adopté, le règlement sur les données entrera en vigueur à la mi-2025.

C'est consciente des potentiels dommages que le Data Act pourrait causer à l'industrie que l'Initiative européenne pour la crypto (EUCI) a rédigé une lettre ouverte (à retrouver ci-dessous) envoyée ce 16 juin à l'ensemble des parties prenantes de l'institution européenne.

Dans cette lettre, l'EUCI explique que le règlement sur les données tel qu'il se présente actuellement pourrait limiter l'utilisation des smarts contracts hébergés sur des technologies de registres distribués (DLT) publiques, et engendrer un climat d'incertitude juridique pour les très nombreux smarts contracts déjà déployés sur les non moins nombreuses blockchains publiques. Afin de pallier ces préjudices potentiels, l'EUCI émet trois propositions, présentées dans l'ordre d'adoption préféré :

  • La substitution du terme "smart contract" par celui de "digital contract".
  • La clarification de l'applicabilité de l'article 30 du règlement.
  • La limitation de l'article 2, paragraphe 16, aux enregistrements de données électroniques exploités à titre privé et autorisés

Ce qui inquiète précisément les rédacteurs de la lettre, c'est qu'il n'existe pas de consensus explicite autour du terme "smart contract". L'industrie du Web3 l'utilise pour faire référence à un ensemble spécifique de codes qui utilisent la blockchain pour exécuter des ordres, lesquels permettent en retour le fonctionnement des applications décentralisées (dApps) et l'existence de la finance décentralisée (DeFI). L'article 2, paragraphe 16, du Data Act, propose lui une définition beaucoup plus large : "un programme informatique automatisant l'exécution d'un accord ou d'une partie de celui-ci, en utilisant une séquence d'enregistrements de données électroniques et en garantissant leur intégrité et l'exactitude de leur ordre chronologique".

Pour Vyara Savova, responsable politique de l'EUCI ayant participé à la rédaction de cette lettre, "le sujet a le potentiel de changer fondamentalement l'industrie des cryptomonnaies d'une manière qui pose le risque de l'effacement de ses valeurs clés." Car le problème se pose lorsque cette définition est appliquée en conjonction avec l'article 30 : "cet article définit les caractéristiques et les exigences de conception des smarts contracts pour le partage de données et pourrait rendre illégaux une proportion importante des contrats intelligents reposant sur des blockchains publiques"

Ce qu'en pensent les signataires

Au total, ce sont 55 entreprises européennes évoluant dans l'univers de la blockchain qui ont signé cette lettre ouverte, assurant ainsi l'EUCI de leur support. Parmi elles, on retrouve des grands noms de l'industrie tels que Binance, Coinbase, Cardano Foundation, ou encore Polygon Labs. Ledger, la seule licorne française de cet écosystème, ainsi que Coinhouse, première entreprise ayant obtenu de l'AMF le statut PSAN en France, ont aussi apposé leur signature.

Le vice-président en charge de la politique globale de Ledger, Seth Hertlein, impliqué dans la rédaction de la lettre ouverte, alerte de surcroit sur l'incompatibilité potentielle de MiCA et du Data Act. Il considère que la réglementation "MiCA a judicieusement exclu de son champ d'application la DeFi, et qu'il serait absurde que cette dernière soit intégrée dans un règlement visant à régir les relations en matière de données quelques mois plus tard." Il souligne aussi l'importance des demandes exposées par l'EUCI et la facilité avec laquelle les législateurs pourraient y accéder. "Ce que nous demandons dans la lettre est une solution si petite et si simple : se référer simplement aux accords de partage de données automatisés en tant que tels au lieu de s'approprier un terme avec une signification entièrement différente. En changeant seulement ces deux mots, la loi sur les données atteindrait plus précisément son objectif sans étouffer l'avenir des logiciels décentralisés dans l'UE."

"En changeant seulement deux mots, la loi atteindrait son objectif sans étouffer l'avenir des logiciels décentralisés dans l'UE"

De son côté, Coinhouse, nous a, par la voix de son CEO, Nicolas Louvet, précisé qu'elle est  membre de l'International Association for Trusted Blockchain Application (INATBA), laquelle a corédigé la lettre ouverte. C'est de concert avec la position exprimée par l'INATBA que Nicolas Louvet déclare: "Si nous soutenons les propositions de la lettre ouverte, c'est pour que l'Europe ne rate pas à nouveau l'opportunité d'être un marché compétitif et innovant. Nous sommes à la pointe de la compétitivité sur le marché mondial de la blockchain. Si nous ne voulons pas être en troisième position, derrière les Etats-Unis et la Chine, il nous faut saisir cette opportunité offerte par MiCA de faire de l'Union européenne le hub mondial de la blockchain".

Si cette lettre ouverte a trouvé le support indivis de l'ensemble de l'écosystème Web3, c'est qu'en matière d'innovation technologique et de sa régulation, les acteurs de l'industrie concernés tombent souvent d'accord. Surtout quand c'est leur dernière chance de se faire entendre par les législateurs européens.