La diffusion de photos prises lors d'un événement public peut violer la vie privée

Le droit au respect de la vie privée connaît certaines limites, en particulier lorsque les personnes sont filmées ou photographiées dans un lieu public. Et que le cliché est publié, notamment pour rendre compte de l'actualité.

Cependant, ce principe n'est pas absolu et il est régulièrement jugé que la vie privée peut également avoir lieu dans les lieux publics. La Cour d'appel de Paris a ainsi énoncé dès 1981 que "la vie privée des particuliers ne se réduit pas à l'intimité du foyer et aux seules activités poursuivies dans un lieu privé, mais peut tout aussi bien se dérouler dans un endroit public".
Par un arrêt du 16 mai 2012, la première Chambre civile de la Cour de cassation a donné une nouvelle illustration de ce principe, dans une affaire où l'ancien présentateur du journal télévisé le plus regardé de France avait poursuivi la société Hachette Filipacchi pour atteinte à sa vie privée et à son droit à l'image.
Dans cette affaire, ledit présentateur avait été photographié lors de manifestations officielles en galante compagnie. Les clichés avaient été diffusés dans le magazine Ici Paris, assortis de commentaires tels que "Le chevalier blanc de l'information a le vent en poupe. Alors qu'il prend un nouveau départ professionnel, il s'est affiché la semaine dernière avec une jeune et jolie blonde", "ce tout jeune mannequin serait-elle la nouvelle princesse du roi de l'information ?". Poursuivie sur le fondement de l'article 9 du Code civil, la société Hachette Filipacchi avait été condamnée à indemniser le préjudice de l'ancienne star du journalisme.
L'éditeur s'était alors pourvue en cassation et son pourvoi reposait essentiellement sur l'idée que la liberté de communication autorise la publication de personnes impliquées dans un événement public, "particulièrement lorsqu'il s'agit de personnes publiques s'étant exposées sciemment aux objectifs des photographes, dès lors que cette diffusion est en relation directe avec l'événement et ne constitue pas une dénaturation de l'image de ceux qui y sont représentés".
Il est vrai que la justice doit opérer une conciliation entre deux intérêts légitimes contradictoires : le droit au respect de la vie privée, d'une part, et le droit à l'information du public, d'autre part. Il convient donc d'établir une balance entre ces deux droits fondamentaux.
En l'espèce, la Cour de cassation n'a pas suivi la société Hachette Filipacchi dans sa démonstration. Si elle n'a pas critiqué la publication des photographies, elle a en revanche reproché à l'éditeur d'y avoir ajouté des commentaires qui, eux, portaient atteinte à la vie privée du journaliste.
L'arrêt a ainsi approuvé la Cour d'appel d'avoir relevé qu'"au lieu de se contenter du constat objectif de faits ou clichés saisis lors d'événements médiatisés et concernant un journaliste jouissant d'une certaine notoriété, [le journal] lui avait prêté des sentiments sur la nature desquels le lecteur ne pouvait se méprendre, spéculant sur sa vie sentimentale et s'immisçant dans l'intimité de sa vie privée".
Ainsi, la publication des photographies n'était pas en soi illicite ou attentatoire à la vie privée du journaliste. Mais alors, pourquoi condamner également Hachette Filippachi pour atteinte au droit à l'image du journaliste ? Parce que, selon la Cour, "la publication de photographies représentant une personne pour illustrer des développements attentatoires à sa vie privée porte nécessairement atteinte à son droit au respect de son image".
La boucle est bouclée : dans cette affaire, les commentaires litigieux rendaient la publication des images elle-même illicite.