Le miracle asiatique peut-il avoir lieu en Afrique ?

A partir de ses impressions sur le livre 'How Asia Works' de Joe Studwell, Bill Gates livre ses réflexions sur l'importance de l'agriculture dans le développement économique et sur le potentiel de l'Afrique.

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J'ai lu le livre de Joe Studwell, "How Asia Works" (Comment l'Asie fonctionne, NDLR) parce qu'il prétendait avoir répondu à deux des plus grandes questions en économie de développement :
  • Comment des pays comme le Japon, Taiwan, la Corée du Sud et la Chine sont-ils parvenus à atteindre et maintenir de tels niveaux de croissance et devenir des réussites –en termes de développement ?
  • Et pourquoi si peu d'autres pays ont-ils pu reproduire cette prouesse ?
Des réponses claires pourraient profiter à des milliards de personnes vivant dans des pays pauvres à l'heure actuelle mais qui possèdent tous les ingrédients essentiels à la naissance d'une économie florissante.
Je me fais un plaisir de vous dire que Joe Studwell, journaliste économique futé, nous apportent des réponses claires – pas le genre d'argumentaire dépourvu de courage et sous forme de "d'un côté, d'un autre côté" qui a poussé un Harry Truman exaspéré à demander "un économiste n'ayant qu'un bras". J'ai trouvé ce livre très intéressant. L'histoire économique y est expliquée de manière concise et compréhensible. J'ai demandé à toute l'équipe d'agriculture de notre fondation de le lire pour ses passages sur l'importance capitale des exploitations agricoles familiales pour le développement économique.
Alors quelles sont les réponses de Joe Studwell à la question -qui vaut des milliers de milliards- sur cette disparité entre certains pays d'Asie qui ont connu un développement rapide et d'autres (Philippines, Indonésie, Thaïlande) non ? Il offre une formule simple en trois parties.
  1. Créer des conditions favorisant l'essor des petits agriculteurs.
  2. Utiliser le produit des surplus agricoles pour construire des usines équipées pour produire des exports.
  3. Soutenir ces deux secteurs (l'agriculture et la manufacture orientée vers l'export) avec des institutions financières contrôlées de prêt par le gouvernement.

Voici la formule légèrement détaillée :

Agriculture : le livre Joe Studwell a mieux expliqué et argumenté que quiconque le rôle clé de l'agriculture dans le développement. Il explique que la chose que tous les pays pauvres ont abondamment, c'est le travail agricole – qui représente environ trois quarts de leur population. Malheureusement, la plupart des pays pauvres ont des régimes de propriété féodaux qui favorise les riches propriétaires et force les pauvres agriculteurs à travailler pour ces-derniers. L'auteur argumente que ces politiques produisent non seulement des iniquités énormes mais elles garantissent aussi de mauvais rendements de culture. A l'inverse, ajoute-il, quand vous permettez à des agriculteurs d'être propriétaires de bouts de terre et ainsi de profiter du fruit de leur travail, les rendements de culture par hectare sont bien meilleurs. Et une hausse des rendements de culture aide un pays à générer les surplus et les économies de dépense dont il a besoin de pour faire fonctionner les machines de ses usines.

Manufacture : Joe Studwell affirme que dès qu'un pays commence à produire un surplus agricole régulier, il devrait commencer la phase de manufacture du développement. En se basant sur plusieurs exemples historiques pertinents, il avance que les pays qui réussissent bien ne se reposent pas seulement sur la main invisible des forces du marché; ils assistent les forces du marché par la lourde main de la politique industrielle exécutée par l'Etat. Ces pays pratiquent une combinaison de protectionnisme (choyer les industries à l'état embryonnaire pour leur donner une chance de devenir compétitif sur une échelle mondiale) et d'élimination des perdants (priver de ressources les firmes qui n'ont pas de succès sur le marché des exports).

Finances : Joe Studwell montre que les pays en développement rapide ont certain intérêt pour les principes du marché libre tout en gardant leurs institutions financières en laisse. En d'autres termes, ils mettent en place des politiques pour se protéger des chocs et des coups de fouet du flow des capitaux globaux, et ils s'assurent que leurs institutions financières sont au service du développement à long-terme du pays plutôt qu'à celui des intérêts à court-terme de financiers.
J'ai tiré du livre de nombreux messages à retenir et partager qui peuvent s'appliquer au travail de notre fondation. En voici deux:

Tout d'abord, j'ai beaucoup aimé le raisonnement de Joe Studwell sur l'économie agricole. A partir de données de rendements de culture et d'agriculture globale, il met en avant l'idée que le développement agricole rapide exige une redistribution plus équitable de la terre à la population d'exploitants agricoles. Jusqu'ici, je me suis moins concentré sur la question des titres de propriété agricole que sur le rôle de meilleurs graines, engrais et pratiques agricoles. Ce livre m'a donné envie d'en apprendre plus sur la sur les régimes de propriété agricole dans les pays où notre fondation finance du travail.

Deuxièmement, Joe Studwell m'a poussé à réfléchir sérieusement à l'applicabilité de sa formule en trois parties au cas de l'Afrique. Sa recommandation sur l'agriculture s'applique bien – et engendre beaucoup de bienfaits économiques et de santé. La grande question pour moi est la suivante: les pays africains peuvent-ils réussir à devenir des hubs de manufactures orientées vers l'export ? Je vois ce potentiel dans des pays comme l'Ethiopie et le Djibouti. Ils ont déjà une relation solide avec la Chine et des projets économiques ambitieux sur le long-terme. Malheureusement, beaucoup d'autres pays ne disposent pas des mêmes outils de réussite, en particulier ceux qui sont éloignés du littoral et qui n'ont que peu d'infrastructures. Aider les exploitants agricoles de ces pays à faire produire plus de nourriture et à gagner plus d'argent serait un gros coup de main.

"How Asia Works" n'est pas un livre haletant, destiné à un grand public et impossible à poser mais c'est un ouvrage qui vaut le coup d'oeil pour n'importe quelle personne intéressée par ce qui détermine réellement le succès d'une économie en développement. La formule de Joe Studwell est rafraîchissante de clarté – bien que très difficile à mettre en place.

 

Traduction par Shane Knudson, JDN.
Cette chronique traduite par le JDN a été publiée via le programme Influencers de LinkedIn, où s'expriment près de 500 leaders d'opinion. Retrouver la version originale en anglais ici.