Véhicule autonome : la laborieuse quête de standards, entre sécurité et business

Véhicule autonome : la laborieuse quête de standards, entre sécurité et business Pour obtenir l'homologation de leurs engins sur les routes, les entreprises du véhicule autonome devront adopter des normes communes. Encore faut-il réussir à se mettre d'accord…

Le développement des véhicules autonomes est un joyeux bazar. Constructeurs, équipementiers et entreprises technologiques, chacun avance dans son coin, avec ses propres méthodes et technologies. Mais pour être autorisés à déployer des véhicules commerciaux sur route, ils devront se plier à tout un tas de réglementations. Et notamment développer des standards auxquels sont soumis les autres véhicules. Une étape cruciale pour permettre l'homologation des voitures autonomes, mais aussi une opportunité de rationaliser leurs coûts de développement.

"Ce ne sont pas des technologies, mais des fonctionnalités que nous cherchons à standardiser", explique Vincent Abadie, responsable du projet véhicule autonome de PSA. Peu importe la techno ou les capteurs choisis, tant qu'ils permettent d'arriver à un même comportement du véhicule. Il s'agit principalement de fonctionnalités de sécurité non-concurrentielles comme le freinage d'urgence, explique Franck Cazenave, directeur mobilités et smart city en France de l'équipementier auto Bosch. "Aujourd'hui, le freinage d'urgence fonctionne de manière totalement différente selon les véhicules autonomes. Il n'existe pas de standard sur la manière de détecter puis qualifier le danger, ni de règle disant quelle puissance mettre dans le freinage en fonction de la distance avec l'obstacle."

"Ce ne sont pas des technologies, mais des fonctionnalités que nous cherchons à standardiser"

Le processus d'homologation est long et complexe lorsqu'il s'agit de véhicules automatisés, explique Dirk Wisselman, responsable conduite autonome chez BMW. "Pour les véhicules traditionnels, il s'attache à des aspects techniques individuels, comme la direction ou le freinage. La voiture autonome nécessite une approche globale : il faut observer l'interaction entre la direction, le freinage, les mécanismes de sécurité dans l'architecture électronique et les communications avec le conducteur." Autre difficulté pointée par Vincent Abadie, les véhicules autonomes seront capables de nouvelles formes d'erreur. "Les normes traditionnelles de sûreté s'assurent que tout est fait pour pallier une défaillance fonctionnelle du véhicule. Sauf que pour un véhicule autonome, il faut réfléchir aux cas où la voiture fera une erreur d'interprétation."

Ces problématiques font l'objet de discussions à 'l'ONU, à laquelle est affiliée l'organisme de standardisation international ISO. "L'objectif est d'autoriser les véhicules autonomes commerciaux de niveau 3 (conduite autonome, attention du conducteur maintenue sur la route, ndlr) d'ici 2020", détaille Vincent Abadie, qui pilote avec PSA un groupe de travail mondial à l'ISO sur la sûreté du véhicule autonome. Cependant, tout ce travail onusien n'a aucune valeur sur les deux plus gros marchés automobiles du monde, la Chine et les Etats-Unis, qui n'ont pas signé la convention de Vienne définissant les grandes règles internationales de l'automobile. "Malheureusement, la Chine et les Etats-Unis avancent plus vite que nous", reconnaît Dirk Wisselman. Comme dans l'automobile traditionnelle, les constructeurs se préparent donc à devoir suivre plusieurs standards, selon les marchés sur lesquels ils opèrent.

Barrière à l'entrée

Les tractations sont d'autant plus compliquées que ces standards ne sont pas un simple moyen de baisser les coûts. Ils revêtent aussi d'importants enjeux business. Les industriels et entreprises technologiques jouent un jeu subtil consistant à défendre des standards les plus proches possible du fonctionnement de leurs propres systèmes, sans pour autant révéler les secrets de fabrication qui les rendront plus performant que les autres. De la même manière, des débats à l'ONU portent sur le niveau de rigueur du processus qui permettra d'homologuer un véhicule autonome : doit-il être aussi lourd que celui de l'aéronautique ou plus léger ? Le premier choix avantagerait des industriels rodés à ces rouages réglementaires, et le deuxième des start-up ou de grands groupes technologiques

"Il ne faut pas être naïf, les normes et standards sont aussi une barrière à l'entrée", estime Franck Cazenave. "Sur le robot-taxi (véhicule pleinement autonome, ndlr), le premier acteur à atteindre le niveau 5 d'autonomie sera en position d'imposer ses standards, car lorsque les régulateurs devront les définir, ils s'adresseront aux entreprises qui maîtrisent déjà cette technologie." A ce jeu-là, les acteurs les plus avancés, Google (Alphabet) et sa filiale de conduite autonome Waymo, sont en bonne position pour imposer leurs vues. "Les plateformes de conduite autonome sont en compétition les unes avec les autres, c'est très clair. Mais dans leurs deuxième ou troisième générations, elles auront développé des synergies entre elles grâce à l'utilisation de standards", tempère Dirk Wisselman. Les standards, arme de compétition et de coopération massive.