Teddy Pellerin (Heetch) "Nous nous déployons au Maghreb et en Afrique de l'Ouest"

Face au verrouillage réglementaire des grands pays d'Europe de l'Ouest, le fondateur du VTC français cherche de nouveaux relais de croissance, sans abandonner ses ambitions en France et en Belgique.

JDN. Où en est Heetch en France aujourd'hui ?

Teddy Pellerin est co-fondateur de Heetch. © Heetch

Teddy Pellerin. Environ 500 000 personnes réalisent au moins une course par mois sur Heetch dans neuf grandes villes françaises. Nous sommes dans le top 3 des VTC en France, avec Uber largement devant, et Kapten. Bolt (ex-Taxify) a eu une stratégie agressive côté passager, mais aussi chauffeur avec de gros bonus de fidélité. Kapten propose très souvent de grosses promotions. Je suis satisfait car nous avons réussi à grossir sur ce marché où tout le monde dépense, en étant bien moins financés que ces acteurs et sans faire trop de marketing. Entre décembre 2017 et 2018, nous avons quasiment doublé notre chiffre d'affaires et notre volume de courses.

Après votre levée de fonds de janvier 2018, vous affirmiez vouloir devenir le "Lyft européen", soit le numéro deux du continent. On est assez loin du compte aujourd'hui. Est-ce toujours votre ambition ?

Effectivement, notre ambition a évolué. Si on regarde l'Europe de l'Ouest, les plus gros marchés VTC sont Paris et Londres, où notre demande d'autorisation est en cours. Ensuite, pour des raisons réglementaires, l'Allemagne reste majoritairement dominée par les taxis, tout comme l'Italie. Pareil à Barcelone, tandis qu'à Madrid, les taxis et les VTC coexistent. Nous sommes déjà présents dans de plus petits marchés favorables aux VTC comme la Belgique. Les régulations sont bien plus intéressantes en Europe de l'Est, comme en Estonie, où n'importe quel particulier peut devenir VTC - ce n'est pas un hasard si Bolt est né là-bas. L'idée est que Bolt sera meilleur que nous en Europe de l'Est et que nous devrions être bons sur l'Europe de l'Ouest. Or la réglementation ne nous permet pas d'aller dans ces grands pays voisins. Nous cherchons donc des opportunités de développement ailleurs, mais nous avons bien l'intention de devenir numéro deux sur tous les marchés européens où nous sommes présents (France et Belgique aujourd'hui).

"Les villes africaines sont en forte croissance, l'offre de transport public y est peu développée et une vraie culture 'à la demande' y existe"

Après des tests concluants à Casablanca (Maroc), nous avons donc décidé de nous déployer dans les pays du Maghreb, puis en Afrique de l'Ouest francophone. Nous allons nous lancer d'ici quelques semaines à Alger et Abidjan (Côte d'Ivoire), puis idéalement dans trois autres villes du continent avant la fin de l'année. Les villes africaines sont très intéressantes pour un VTC. Elles sont en forte croissance, l'offre de transport public y est peu développée et une vraie culture 'à la demande' y existe : la possession de voitures est plus faible qu'en Europe et les taxis sont un moyen de transport populaire. Nous parlons la même langue, ce qui facilite le dialogue avec les autorités. Et des entreprises françaises y sont déjà implantées, ce qui peut aussi aider pour trouver des partenariats, par exemple avec Total pour les stations essence.

Les régulations des pays que vous visez vous permettent-elle de ressusciter le Heetch "à l'ancienne", avec des chauffeurs non professionnels ?

Il y a des réglementations, nous allons les suivre, mais elles sont plus souples. Et l'ogre Uber n'est pas passé par là. Nous pourrions opérer de trois manières différentes selon les pays. Premier scénario, nous travaillons uniquement avec les taxis pour leur apporter une mise en relation numérique avec leurs clients, comme au Maroc. Mais ce n'est pas le meilleur business, car nous allons entrer par le haut du marché et faire augmenter le prix de la course avec notre commission. Sur d'autres marchés, les taxis à plein temps cohabiteront avec des particuliers informels qui font ça de manière moins régulière et petit à petit se professionnalisent, comme c'est le cas en Algérie. C'est la configuration la plus intéressante. Le troisième modèle, tel qu'on le connaît en Europe, consiste à créer le statut VTC, mais avec tellement de contraintes que seuls des professionnels deviennent VTC et entrent en concurrence entre eux ainsi qu'avec les taxis.

L'Afrique est loin d'être vierge de concurrence : Uber y est présent directement ou via le VTC local Careem qu'il vient de racheter, tout comme Bolt. Quelle est la situation concurrentielle dans les pays qui vous intéressent ?

"Nous avons préféré rester en dehors des guerres financières et construire de la croissance plutôt que de l'acheter"

Bolt et Uber sont principalement présents dans les pays d'Afrique anglophone, Careem dans les pays arabes. Dans le reste de l'Afrique francophone, on trouve de petites applis locales mais elles n'ont pas pris le marché. Nous savons cependant que d'autres, comme Uber ou Bolt, s'intéressent aussi à ces pays-là. Nous aurons de la concurrence, c'est certain.

Etait-il devenu trop difficile de vous développer en Europe face à Kapten et Bolt, des prétendants à la deuxième place européenne bien mieux financés que vous ?

Pas vraiment. Bolt et Kapten sont dans une guerre financière. Nous aurions pu décider d'entrer dans cette guerre, mais nous l'aurions perdue puisque nous avons moins de fonds. (La dernière levée de fonds de Heetch s'élève à 16 millions d'euros, celle de Bolt à 175 millions, tandis que Kapten a été racheté par Daimler pour un montant non confirmé de 200 millions d'euros, ndlr). Nous avons préféré rester en dehors et être capables de construire de la croissance plutôt que de l'acheter à coup de promotions. Aujourd'hui, nos meilleurs opportunités de croissance se trouvent en Europe, en particulier en France et en Belgique, où nous sommes clairement numéro deux. Nous savons que la construction de notre business en Afrique demandera du temps, mais il y a des belles positions à prendre.